The Deep House a donc été le carton surprise de l'été, face à Conjuring 3

Raphaël Iggui | 19 septembre 2021
Raphaël Iggui | 19 septembre 2021

En pleine morosité pandémique, The Deep House surnage et éclabousse le cinéma de genre français de sa réussite. 

Lorsque The Deep House sort le 30 juin 2021 dernier, les pronostics ne jouent pas particulièrement en sa faveur. Les salles sont rouvertes depuis un peu moins d'un mois et demi, les vacances vont bientôt ravir les spectateurs aux cinémas, et deux mastodontes américains monopolisent le créneau horrifiqueConjuring 3 : Sous l'emprise du Diable sorti le 9 juin, et Sans un bruit 2 le 16 juin. 

The Deep House n'a pas une force de frappe comparable, ne repose sur aucune franchise, et n'a aucun nom vraiment identifié par le grand public, même si les deux réalisateurs Alexandre Bustillo et Julien Maury sont dans le paysage horrifique français depuis À l'intérieur en 2007.

Le film traîne aussi un autre poids mort, par principe : la mauvaise image du cinéma de genre français dans l'inconscient collectif. Et c'est un véritable cercle vicieux avec un public sur ses gardes, des producteurs et distributeurs frileux, et donc moins d'argent investi, moins de marge de manoeuvre créative, moins de copies, moins de chance d'arriver au public, et ainsi de suite.

 

photoOn n’est pas là pour rigoler

 

Avec un budget de 5,6 millions d'euros et un parc de copies 2 à 3 fois inférieur (199 copies) à ses concurrents hollywoodiens, The Deep House ne pouvait prétendre rivaliser. Ajoutez à ça une crise pandémique avec des pincées de restrictions sanitaires, et le film partait pour boire discrètement, mais sûrement la tasse

Sauf que non. The Deep House s'est discrètement imposé comme un petit succès, avec près de 210 000 entrées. Pourquoi ce score a priori très modeste est une vraie belle surprise, et un joyeux signal ? On décrypte.

 

 

French kiss of death

Premier carton : The Deep House est le plus gros succès des réalisateurs, devant À l'intérieur (71 000 entrées en 2007). Aux yeux des vivants et Livide étaient passés inaperçus en salles, et leur aventure américaine, Leatherface, est sortie directement en DVD et VOD en 2017.

S'il fallait élargir la comparaison à la faune du cinéma de genre français cru 2021, c'est là encore très honorable. Avec plus de 210 000 entrées, The Deep House brille, devant Le Dernier Voyage (89 000 entrées), Méandre (70 000 entrées), La Nuée (44 000 entrées) et Teddy (29 000 entrées).

 

photo, Béatrice DalleAvoir la Dalle au box-office

 

Il n'y a guère que Titane qui tient la comparaison en 2021avec près de 280 000 entrées depuis sa sortie le 14 juillet 2021. L'effet Palme d'or a sans doute aidé, bien que l'arrivée du pass sanitaire lui ait sans doute cisaillé les jambes. Les deux longs-métrages font cependant mieux que Grave, premier long-métrage de Julia Ducournau qui avait terminé son ascension à 154 000 entrées. 

En fait, cette visite de maison hantée aquatique se place facilement dans le top 5 box-office des films de genre français sur ces cinq dernières années. Seul Ghostland de Pascal Laugier a fait mieux en 2018, avec près de 248 000 entrées, peut-être grâce au star power de Mylène Farmer. D'ailleurs, il est presque ironique de constater que le seul film de Laugier a avoir dépassé les 500 000 entrées, The Secret, était celui placé sous bannière américaine.

Bilan : The Deep House est une petite réussite à l'échelle française.

 

photoLes réalisateurs nageant dans le bonheur

 

The deep white house

Difficile de ne pas se laisser tenter par une comparaison avec le cinéma d'horreur américain, qui jouit de plus de bienveillance en France, notamment parce que le genre est plus associé à Hollywood qu'au pays de Molière et Keen V. Le film d'horreur est donc devenu une machine de guerre (et de rentabilité), avec des films conçus comme des machines à fric.

La saga des Conjuring en est un exemple parfait. Vendu à l'origine sur le nom de James Wan (Insidious, Saw), deux têtes d'affiche "je-l'ai-déjà-vu-quelque-part" (Patrick Wilson, Vera Farmiga), et la mention "Tiré d'une histoire vraie", le Conjuring-verse (Annabelle, La Nonne) a régulièrement flirté avec le million d'entrées en France. En 2021, Conjuring 3 a explosé cette limite avec plus d'1,8 million d'entrées, pour un budget de 32,9 millions d'euros (39 millions de dollars) hors coûts marketing.

 

photo, Julian HilliardSe plier en 4 pour attirer l'attention

 

Le cinéma de genre américain en 2021, c'est aussi Sans un bruit 2  (environ 650 000 entrées, similaire au premier), et American Nightmare 5 : Sans limites (envrion 411 000 entrées, loin du million du quatrième). Deux films là encore portés par des budgets marketing conséquents. À côté, The Deep House fait donc figure de minus, sans surprise.

Finalement, c'est peut-être avec les productions Blumhouse que la comparaison serait la plus pertinente pour The Deep House. Avec une formule de petit budget et maxi rentabilité, autour d'idées simples, mais malicieuses, la société derrière Paranomal Activity et Insidious s'est imposée. Get Out a attiré plus de 1,1 million de spectateurs, là où The Hunt n'a pas atteint les 60 000. On souhaite en tout cas à The Deep House une carrière américaine plus proche du premier que du deuxième puisque le film a été racheté par Jason Blum, totalement tombé amoureux du projet.

  

photoProducteurs se baignant dans l'opulence, reconstitution couleur

 

Paranormal attractivity 

Bien avant The Deep House, Alexandre Bustillo et Julien Maury avaient été repérés par Hollywood. C'est quasiment une tradition :  les réalisateurs de genre un tant soit peu talentueux (et désespérés par le manque d'opportunité dans la contrée de Marianne) sont débauchés dès le berceau par les studios hollywoodiens. Mais pour un Alexandre Aja (La Colline a des yeux, Mirrors), combien de Xavier Gens et autres Eric Valette (One Missed Call), soumis à l'extrême aux producteurs américains ?

Maury et Bustillo n'y ont pas échappé, même s'ils ont plusieurs fois résisté. Dès 2007, ils étaient engagés pour écrire et tourner un remake de Hellraiser, validé par Clive Barker à l'époque. Au bout de presque un an, le duo s'en allait, incapable de trouver un terrain d'entente avec le producteur Bob Weinstein. Pas vexés, les Weinstein étaient ensuite revenus leur proposer de réaliser Halloween 2, suite du remake de Rob Zombie, qu'il décidera finalement de gérer lui-même.

 

PhotoPoker face après un nouvel échec

 

Le duo a aussi refusé le remake de Freddy, les griffes de la nuit, et a régulièrement parlé de ces rencontres et conflits très courants à Hollwyood. Mais ils ont fini par céder avec Leatherface, prequel de Massacre à la tronçonneuse. Qui a sans surprise été une expérience compliquée, le film ayant été charcuté par la boîte de production Millenium Images.

Le tandem a pu garder le contrôle du projet durant le tournage, mais l'a perdu au fil du montage. Les producteurs ont fini par couper des passages entiers, et même la fin, si bien que les réalisateurs affirment que ce n'est plus réellement leur film - sans toutefois le renier entièrement. Malgré son petit budget, Leatherface a été un bide au box-office, et n'a eu droit qu'à une sortie vidéo en France en 2018.

 

Photo Stephen DorffQuand le producteur fait faire coucou au montage

 

Revenus en France avec The Deep House, le duo a repris une bouffée d'air. Côté artistique, avec une liberté plus claire, et côté business, avec un joli petit succès. Vu le contexte pandémie, c'est peut-être même un petit miracle, et un beau signal envoyé aux productions hexagonales de genre - surtout comparé aux déceptions financières de Teddy et La Nuée

D'autant que la carrière de cette maison hantée aquatique n'est pas terminée, loin de là. Au-delà de son exploitation américaine via Blumhouse, le film continue sa vie à travers le monde. DVD, Blu-ray, TV, VOD, SVoD : tous ces canaux sont majeurs pour le cinéma de genre, dans la continuité de ce qui aurait auparavant été un succès de vidéoclub. De quoi lui assurer une visibilité qui ne fera que grandir, notamment avec un boost côté américain si Blumhouse y croit.

Dans tous les cas, le duo n'a pas chômé, profitant même de la production interrompue de The Deep House au cours de l'année 2020 pour tourner Kandisha, autre film d'horreur sorti directement en VOD le 28 juillet 2021. Même si vous habitez une maison au fond d'un lac, vous ne pourrez sans doute pas échapper à Alexandre Bustillo et Julien Maury dans les années à venir...

Tout savoir sur The Deep House

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commentaires
Geo
23/09/2021 à 12:41

C'était bien naze même si l'idée était prometteuse. Peu importe les considérations artistiques, ce film est certes médiocre mais il encouragera les producteurs et financiers en France à faire confiance à ce genre qui se développe chez nous (avec notamment Teddy, la Nuée, Titane cette année...) d'autres suivront et ce genre finira par s'installer durablement dans l'esprit des producteurs français qui pensent surtout rentabilité.

Mera
20/09/2021 à 11:09

le duo prépare NORTH SENTINEL sur l'ile avec le peuple sentinelle.

Sess
20/09/2021 à 10:19

Quelle purge ce Deep House...

Syarus
20/09/2021 à 08:20

Ce qui clive et donne une mauvaise image, c'est l'appellation cinéma de genre. Cela ne veut rien dire. C'est un film d'horreur, d'épouvante. Les films américains comme Conjuring sont des films d'horreurs, ils assument. Il n'y a pas de honte et ne se cachent pas derrière l'appellation film de genre qui ne veut rien dire.

Vins62370
19/09/2021 à 22:39

Sûrement le pire film que j'ai pu voir depuis la.reouverture des.cinemas (et pourtant avec l'abonnement gaumont j'ai vu des m....de mais franchement celui là était juste une purge avec une voix.insupportable.pour la.fille


19/09/2021 à 17:15

C'est un succès pour un film de genre français, qui a été bien aidé par son titre en anglais, mais surement pas pour ses qualités artistiques, tant l’œuvre est d'un vide intersidéral.

La Nuée et Teddy lui sont largement supérieurs. Ils auraient mérité un meilleur sort mais ils ont un titre français, ainsi que d'être en langue française, ce qui rebute un public persuadé, à cause des productions précédentes du genre française, que cela sera des plus ennuyeux. Dommage, je souhaite à ces œuvres, une réhabilitation avec le temps.

Geoffrey Crété - Rédaction
19/09/2021 à 15:52

@T.

Et comme on l'écrit cher monsieur, la carrière d'un film ne se joue pas uniquement en France :) Surtout le cinéma d'horreur, qui est très bien exploité à l'international. D'où l'accent mis sur l'achat par Blumhouse et les autres canaux d'exploitation, comme expliqué dans l'article.

T.
19/09/2021 à 15:43

5.6 millions d'euros de budgets et seulement 210000 entrées, c'est loin d'être rentable et clairement pas un succès messieurs de chez Ecran Large.
Il aurait fallu taper au moins 500 000 entrées pour espérer rentrer dans ses frais avec ce budget mine de rien assez important pour un film de genre français.

Abdel
19/09/2021 à 15:39

Je suis sorti du cinéma après 20 mn de film tellement il a été ennuyeux,

MacReady
19/09/2021 à 15:10

@Dario 2 Palma

C'est pour ça que je parlais à la fois pour le public amateur de film de genre, et au cinéma de manière générale - deux effets différents qui, cumulés, ont été imparables. La durée de vie d'un film est encore plus réduite lorsque les nouveautés occupent le terrain et accélèrent sa date de péremption. En deuxième semaine, The Deep House était totalement écrasé par d'énormes nouveautés portées par des promo conséquentes, et le buzz cannois a boosté plusieurs films d'un coup. C'était alors ça l'actu ciné, et The Deep House était déjà "périmé" en 7/10 jours. Titane ayant été évidemment le plus évident concurrent. Par la suite, il n'y avait plus d'oxygène, plus d'espace pour marcher sur la durée. Juillet ayant été plus que rempli, il fallait nécessairement une grosse promo pour résister (Titane l'a eu par ex).

L'effet fête du cinéma, oui, bien sûr ! Mais il n'a rien fait pour "sauver" Teddy ou La Nuée par ex. Effet à nuancer du coup.

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