Napoléon : ce film ultime de Stanley Kubrick qui n'a jamais existé

L’histoire du cinéma est remplie de projets cultes maudits n’ayant jamais vu le jour. Le Napoléon de Stanley Kubrick est peut-être le plus grand de tous.

Aussi banal que ça puisse paraître de le répéter, Stanley Kubrick est un des plus grands cinéastes de l’histoire du cinéma. Non seulement parce que sa filmographie déborde de chefs-d’œuvre, mais aussi parce que l’illustre réalisateur n’a jamais cessé de réinventer chaque genre qu’il a traité. Le film noir avec L’Ultime Razzia, le film de guerre avec Les Sentiers de la gloire, le péplum avec Spartacus, la science-fiction avec 2001 : l'odyssée de l'espace, et la liste est encore longue.

S’il y a bien un genre que Kubrick rêvait de transcender, c’est le film historique. À la fin des années 60, il se lance le défi de réaliser le plus grand film historique de tous les temps avec son projet Napoléon. Retour sur ce projet fou.

Redécouvrir le cinéma grâce à Kubrick

La ruée vers l'or

Tout commence en 1968. Stanley Kubrick sort tout juste du triomphe de 2001 : l’Odyssée de l’espace. Toujours poussé par sa soif d’innover, le cinéaste pense alors à une figure historique qui le fascine depuis bien des années : Napoléon Bonaparte. Un destin grandiose et tragique, un personnage aussi ambigu que charismatique, tous les éléments sont là pour une expérience cinématographique unique.

Kubrick rêve d’un film-fleuve qui surpasserait tout ce qui s’est fait auparavant. Intransigeant au possible, le génie du 7e art estime au passage qu’aucun grand film historique n’a jamais été réalisé. Et puisqu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il décide d’y remédier. En septembre 1969, le cinéaste achève son scénario de 186 pages pour un film qui durerait ainsi plus de trois heures.

Toujours moins long que le Snyder Cut 

S’il y a bien une chose pour laquelle Stanley Kubrick est connu, c’est son goût de la démesure. Pour l’occasion, il se lance dans des recherches approfondies dont le perfectionnisme a quelque chose de névrotique. Kubrick envoie des dizaines d’assistants à travers l’Europe pour explorer les lieux et rencontrer divers historiens. La légende raconte qu’il aurait lu pas moins de 500 ouvrages consacrés à Napoléon rien que pour préparer son scénario.

Autre anecdote improbable, son assistant envoyé à Waterloo est chargé de lui rapporter un échantillon de terre afin que le réalisateur puisse la reproduire le plus fidèlement possible à l’écran. Au final, le dossier Napoléon contiendra pas moins de 15 000 photographies et 17 000 diapositives. Le chiffre le plus impressionnant sera du côté des figurants. En effet, Kubrick avait exigé 50 000 soldats pour filmer la grande bataille.

49 950 soldats de plus ou de moins...

S’il a toujours été un technicien extrêmement exigeant, le cinéaste réclame également ce qui se fait de mieux à Hollywood pour son casting. Afin d'incarner l’empereur, il songe d’abord à Jack Nicholson, avec lequel il travaillera évidemment sur Shining quelques années plus tard. Mais certaines sources avancent également le nom de David Hemmings, qui illuminait l’écran quelques années plus tôt dans Blow Up.

Pour ce qui est de Joséphine de Beauharnais, le nom de la légendaire Audrey Hepburn revient très souvent. L’actrice avait pourtant annoncé mettre un terme à sa carrière en 1967. Cependant, on ne peut que rêver de cet univers parallèle dans lequel elle aurait tourné pour Kubrick dans un projet aussi colossal.

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K le maudit

De nombreux facteurs expliquent pourquoi le Napoléon de Kubrick n’a jamais vu le jour. Premier point, le budget semblait intenable aux yeux des grands studios de l’époque. Même la MGM qui avait touché le jackpot en distribuant 2001 : l’Odyssée de l’espace trouvait le pari trop risqué. Idem pour United Artists qui refusait d’investir autant d’argent.

D’autant que les producteurs redoutaient l’aspect sulfureux du scénario. Stanley Kubrick se faisait une idée fortement érotique et libertine du film comme de ses personnages. Il tenait à mettre en scène un Napoléon aux mœurs décadentes. Le cinéaste s’intéressait également à la liaison scandaleuse entre Joséphine de Beauharnais et Hippolyte Charles. Visiblement, les passions torrides ne faisaient pas bon ménage avec ce que les studios attendaient d’un spectacle grand public.

Un grand film familial selon Stanley Kubrick

Mais le dernier clou dans le cercueil sera planté en 1970 par un élément extérieur au projet. Cette année-là marque la sortie en salles du film Waterloo réalisé par Sergueï Bondartchouk et produit par le trublion Dino De Laurentiis. À l’annonce de la sortie, plusieurs studios pensent que sortir un film Napoléon dans la foulée condamnerait à la redite.

Particulièrement quand ce Waterloo semble se donner les moyens de ses ambitions avec pas moins de 17 000 figurants pour la grande bataille, un record pour l’époque. Pire encore que la peur de se répéter, le film de Bondartchouk est un échec total au box-office. À ce stade, plus personne ne se risquerait à investir le moindre dollar dans le projet de Kubrick.

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Citizen Stan

Stanley Kubrick étant l’artiste têtu et acharné que l’on connaît, il continuera de chercher à faire vivre son projet jusqu’à l’aube des années 80. Mais il est impossible de ne pas voir une première revanche sur le destin dans son Barry Lyndon sorti en 1975. De façon évidente, ses préparations approfondies et son envie de reconstitution historique grandiose trouvent un nouvel accomplissement avec cet immense film d’époque.

On retrouvera également des traces de Napoléon dans tous les films qui suivront. La stratégie militaire qui vire au chaos sanglant dans Full Metal Jacket, l’érotisme dans Eyes Wide Shut, rien ne se perd et tout se transforme. Preuve qu’une grande œuvre abandonnée peut tout de même changer des carrières et modeler le cinéma de son époque.

Un des rejetons de Napoléon

Lors des décennies suivantes, de nombreux cinéastes rêvent de relancer ce projet maudit. On lit dans la presse spécialisée que Ridley Scott ou encore Ang Lee s’étaient même vu proposer d’adapter le scénario de Stanley Kubrick. Au passage, Scott n’a pas totalement lâché l’idée puisqu’il travaille actuellement sur sa version à lui de Napoleon avec Joaquin Phoenix et Vanessa Kirby pour Apple TV+.

Plus fou encore, il semblerait qu’on puisse rêver que le projet de Kubrick finisse par voir le jour d’ici peu sous la direction de Cary Fukunaga, le papa de Mourir peut attendre. En octobre 2021, le cinéaste déclarait en interview travailler sur ce projet fou. L’idée serait de réadapter le scénario en mini-série pour HBO. Certaines rumeurs annoncent même un certain Steven Spielberg à la production. Voilà qui pourrait renforcer encore plus la connexion entre tonton Spielberg et Kubrick après A. I. Intelligence artificielle et le segment en hommage à Shining dans Ready Player One.

Cependant, avec les récentes polémiques autour du réalisateur de Beasts of No Nation, difficile d'imaginer le voir reprendre un tel projet dans les années à venir.

Un chef-d'oeuvre à la place d'un autre

Au final, comme beaucoup de projets maudits, Napoléon a eu un immense impact sur la filmographie de son réalisateur, tant dans ses thématiques que dans son ambition. Et si le plus grand film historique de tous les temps n’a finalement pas vu le jour, on peut se rassurer en songeant à quel point il a tout même changé indirectement l’histoire du cinéma.