Daft Punk : 5 preuves que les rois de l'électro ont été façonnés par et pour le cinéma

Antoine Desrues | 12 mai 2023
Antoine Desrues | 12 mai 2023

Alors que l'album Random Access Memories fête ses dix ans avec une nouvelle édition, retour sur le lien privilégié de Daft Punk avec le cinéma.

La nouvelle a brisé le cœur du monde entier : le 22 février 2021, le mythique groupe Daft Punk a annoncé sa séparation, après 28 ans de collaboration. Pionnier de la French Touch et plus globalement de la musique électronique, le duo formé par Thomas Bangalter et Guy-Manuel De Homem-Christo a marqué les esprits avec ses loops entêtantes et ses sonorités uniques. Avec leur persona casquée, les membres de Daft Punk ont créé un sens du mystère qui a contribué à leur aura, confrontant une perfection robotique à une humanité sensible et imprévisible.

En somme, les deux musiciens ont façonné leur succès grâce au son, mais aussi grâce à l’image. En plus d’avoir révolutionné à plusieurs reprises la promotion et le marketing de leur musique, Daft Punk a clairement eu un lien privilégié avec le cinéma. A l'occasion du dixième anniversaire de leur ultime chef-d'oeuvre Random Access Memories, et de sa réédition avec des morceaux inédits, explorons une autre facette du génie du duo, au travers de cinq étapes essentielles de leur carrière.

 

photo, Daft PunkNe pas pleurer, ne pas pleurer

 

Phantom of the Paradise, une influence majeure de leur style

Les Daft Punk ne s’en sont jamais cachés : ils ont vu en boucle Phantom of the Paradise durant leur adolescence, et il est évident que l’opéra-rock de Brian De Palma a infusé l’art des Français. Après tout, même leur look à base de vestes en cuir et de casques a puisé son inspiration des costumes de Winslow Leach, génie obsessionnel qui a choisi de se focaliser sur sa musique, quitte à cacher son identité au reste du monde.

Difficile alors de ne pas voir dans l’ADN du groupe l’importance de leur cinéphilie. Brian de Palma a signé avec ce bijou un pur objet pop, mixant Le Fantôme de l'Opéra au Portrait de Dorian Gray. Alors que Phantom of the Paradise est un film tout entier centré sur la question de l’appropriation de l’art, de Palma a réfléchi sur la notion de réécriture comme les Daft avec leurs samples. Son spectacle total et coloré a développé avec le temps une force synesthésique essentielle dans la musique du duo, tandis que ces élans technologiques et paranoïaques ont pu nourrir la vision orwellienne des DJ sur Human After All.

Et si Phantom of the Paradise a toujours été hanté par le personnage de Swan, producteur machiavélique incarné par Paul Williams, ce dernier a illuminé de sa voix l’un des meilleurs morceaux des Daft Punk sur Random Access Memories : Touch. Cet héritage ne pourrait pas être plus clair.

 

photoOne More Time

 

Gondry, Jonze... De grands noms pour de grands clips

Très vite, les Daft Punk ont saisi l’importance d’accompagner leurs rythmiques entêtantes par des visuels forts. Bien avant la mythique pyramide du live de Coachella, le duo s'est s’entouré des meilleurs pour les clips de l’album Homework. Da Funk a notamment profité de Spike Jonze, talent émergeant dans le domaine de la vidéo.

Le réalisateur de Her a réalisé un véritable court-métrage, en filmant les déambulations d’un chien anthropomorphe au cœur d'un New York grouillant. Les riffs endiablés du morceau ont ainsi pris le pouls d’une ville oppressante, en sortant du ghetto-blaster de son triste héros, pour un périple aussi éprouvant que joyeusement cacophonique.

 

 

 

Le groupe s’est aussi offert les services de Roman Coppola (fils de Francis Ford) pour l’hallucinant clip de Revolution 909, mais s’il y a bien une collaboration que tout le monde a retenue, c’est bien celle avec Michel Gondry sur Around the World.

Bien avant Eternal Sunshine of the Spotless Mind, le petit génie de la publicité a su transcender le morceau des Daft en le décomposant. Sur une plateforme ronde symbolisant notre planète bleue, le réalisateur a accordé chaque instrument de cette piste imparable avec un type de personnages (des squelettes, des momies, des androïdes...) le tout en les faisant danser en rythme sur les sons qu’ils illustrent. Gondry a ainsi déployé un clip aussi inventif qu’harmonieux, qui a su magnifier la riche composition de Bangalter et d’Homem-Christo.

 

 

 

Interstella 5555, un mythique space-opera-rock

Avec l’album Discovery, Daft Punk a souhaité aller encore plus loin, et marquer ses inspirations pop-culturelles en allant chercher Leiji Matsumoto, le créateur d’Albator. Celui-ci a alors signé, sous leur direction, un long-métrage intitulé Interstella 5555, pure déclaration d’amour à la japanimation.

En suivant les déboires d’un groupe de rock de l’espace enlevé pour être contrôlé par un imprésario tyrannique, Interstella a servi de guide visuel à Discovery, tout en propulsant la musique des Daft Punk au rang de conception extraterrestre. Les riffs distordus d’Aerodynamic et les voix remixées de Harder, Better, Faster, Stronger n’en ont paru que plus envoûtants et nouveaux dans cet écrin de space-opera onirique. On retiendra d’ailleurs la magnificence de Digital Love, et sa douce rêverie romantique frôlant le surréalisme à chaque plan et chaque transition.

 

 

 

Electroma, le saut dans l’inconnu du cinéma expérimental

Pour annoncer sa séparation, Daft Punk a sorti une vidéo basée sur un extrait de leur long-métrage Electroma. Si le duo avait déjà réalisé certains des clips de l’album Human After All, ce passage derrière la caméra (Bangalter faisant même figure de chef opérateur) a permis au groupe d’entériner ses thématiques phares, tout en allant explorer le domaine du film expérimental.

Présenté à Cannes en 2006, Electroma a connu une exploitation volontairement confidentielle, notamment en France où il n’a été montré que lors de séances de minuit, en hommage aux midnight movies des années 70, ces rendez-vous de contre-culture qui ont vu émerger des auteurs comme Alejandro Jodorowsky et David Lynch.

 

 

 

Cette démarche n’est d’ailleurs pas sortie de nulle part, étant donné qu’Electroma a pris la forme d’un périple existentiel, où les deux robots se lancent à la recherche d’une forme d’humanité. Aussi épuré que sensible, le film réussit l’exploit de donner vie à ces deux êtres esseulés sans leur donner de dialogues ni de visages, au point de toucher du doigt un sentiment de perdition.

Mais surtout, la crise identitaire des protagonistes d’Electroma a été accompagnée par le regard des Daft Punk sur la mise en scène. Si une partie de leurs tubes a été façonnée à partir de samples de leurs morceaux fétiches, leur long-métrage a poussé encore plus loin leur réflexion sur la réécriture et le réassemblage.

 

photo, Daft PunkBromance d'Arabie

 

En convoquant explicitement des plans du Gerry de Gus Van Sant ou de Zabriskie Point d’Antonioni, les deux réalisateurs ont moins déployé le voyage initiatique de leurs alter-ego que le tissu d’inspirations qu’ils se retrouvent à suivre.

Pour autant – et comme souvent avec les Daft – le propos de leur création s’est révélé assez ambigu. Étant donné que leurs protagonistes ont fini par errer dans le désert, Electroma peut bien être perçu comme un signe de l’amour profond du groupe pour le melting-pot culturel, ou comme l’image terminale d’un vide existentiel et créatif souligné par la mort de l’individu.

 

photo, Daft PunkL'état des fans de Daft Punk après leur séparation

 

Tron, l’héritage des Daft Punk envers la musique de film

Si Disney a pu paraître assez fou en produisant une suite à Tron (film pionnier des effets spéciaux aussi charmant que désuet), le studio a eu l’idée de génie d’y accoler les Daft Punk, en leur faisant signer la bande-originale.

Derrières les néons et les polygones des eighties, la présence de Bangalter et d’Homem-Christo a sonné comme une évidence, au point qu’une partie de Tron : L'Héritage s’est logiquement déroulée dans une boîte de nuit, où le duo casqué est apparu sans même détonner avec l’esthétique de la Grille.

 

Photo Daft PunkCaméo de la folie

 

Mais la note d’intention de Tron : L’Héritage est devenue encore plus claire lorsque les Daft lancent le morceau culte Derezzed lors d’une séquence de combat. Les artistes se sont accaparés le film de Joseph Kosinski, et s’y sont répandus tel un virus informatique. Or, Tron Legacy se concentre sur la contamination des mondes physiques et virtuels, que le groupe a sublimée en confrontant ses loops électroniques à un orchestre symphonique.

En piochant autant dans les cuivres bourrins d’Hans Zimmer, dans les synthés de Vangelis et de John Carpenter ou encore dans les leitmotivs de John Williams, les Daft ont, non seulement, signé l’une des meilleures bandes-originales des années 2010 (voire de tous les temps, comme on a pu l'affirmer ici), mais ont aussi théorisé avec brio la place de la musique dans les films.

 

 

 

À la suite de cette expérience plus acoustique, le groupe a admis que la composition de Tron : L'Héritage lui a donné la confiance de s’attaquer à son chef-d'œuvre terminal : Random Access Memories. La nouvelle édition renforce d'ailleurs ce fait au travers de l'inédit Prime, qui mixe les synthés et la rythmique de Tron avec les sonorités disco de RAM, à la manière d'une passation de pouvoir.

En plus de retracer une certaine histoire de la pop, Daft Punk a offert dans cet album l’un de ses plus grands morceaux avec un hommage à Giorgio Moroder, génie de l'électro lui aussi reconnu pour ses bandes-originales mythiques (Midnight Express, Scarface).

À partir du témoignage de cette légende, Giorgio by Moroder s’est donné la forme étonnante d’un biopic musical, en faisant muter son thème selon l'époque et les styles abordés. Sans même avoir recours aux images, les Daft Punk ont su retranscrire le rapport au temps du septième art, et sa fuite en avant absolument grisante. Une belle manière pour le groupe de boucler la boucle, et de suspendre son art dans une forme de dimension spatio-temporelle alternative... et éternelle.

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commentaires
Birdy l'inquisiteur
13/05/2023 à 20:07

Dire que ça critique même les Daft Punk dans ce forum...
Doit bien y avoir un génie ici qui saura pas cuisiner un œuf sur le plat mais va te dessouder Alain Passard.

Zapan
13/05/2023 à 07:57

Attendez encore un peu, ça arrive.

Gizmoket
12/05/2023 à 22:01

En vrai, ça faisait 10 ans qu'ils ne faisaient rien, donc séparation ou non... Qu'importe ?
J'ai apprécié quelques sons de ce groupe (dafunk, around the World, la face A de discovery), mais je n'ai jamais compris le culte autour... Il y a quand même plein de chansons très moyenness.. (Robot rock, get lucky, instant crush)
L'album human After all est assez infâme d'ailleurs ! Pourtant amateur d'électro en tout genre, j'ai trouvé ça extrêmement répétitif, a en devenir saoulant.
Mais c'est vrai que pour Tron, j'avais été impressionné qu'ils arrivent à se réinventer.

Loozap
12/05/2023 à 21:48

C'est vraiment ce que j'aime comme film

Kyle Reese
12/05/2023 à 21:34

Et pour fêter la ressortie de leur album culte car quasi parfait ils y ont mis un inédit très jazz fusion cool avec une très belle vidéo animé avec pleins de références à la clef. Daft Punk F.O.R.E.V.E.R ..

4Infinity Repeating (2013 Demo) (Official Video)

https://y*utu.be/imBlPXbAv6E (remplacer le * par un o)

Rorov94m
12/05/2023 à 20:52

Il reste KAVINSKY.

Kris
01/03/2021 à 12:19

Article hyper intéressant. D'ailleurs leur séparation a fait surgir un nombre important d'articles très instructifs. Comme quoi une séparation c'est un peu une mort par la réaction et la créativité des médias sans la disparition des protagonistes qui peuvent donc profiter de ces éloges; le beurre et l'argent du beurre !
Oui, les Daft, c'est une époque, la mienne, qui prend fin. Mais pour moi, elle a pris fin après Homework. Quel déception pour la suite et on peut dire qu'ils se sont quand même un peu endormis sur leurs millions.
Comme dit précédemment, il est difficile et plus de rare de cartonner pendant 30 ans dont ils ont préférés mettre un terme au massacre. De plus Thomas souffre d'acouphènes depuis ses années rave d'où l'obligation du port d'un casque ;)

dams50
28/02/2021 à 21:44

En terme d'influences musicales, il suffit d'écouter leur "Teachers" sur le 'opus "Homeworks", tout y est dit explicitement (à l'instar de l'intro de l'album séminal "Frequencies" de LFO). Techno de Détroit, House de Chicago, ... les références aux compositeurs et DJs cités y sont légions.
Pour ma part, je me suis arrêté à Homeworks, avec le fabuleux "Da funk", et surtout le sauvage "Rollin & scratching" qui était ma genre de came à l'époque, avec toute la techno qui venait de Détroit (UR), ou encore les prods de Luke Slater aka Planetary Assult Sytems "The Battle", ou du Joey Beltram, Mike Dearborn, et certaines prods des français de Fnac Dance Division (devenu F communication) avec Garnier, Deepside, qui avant Daft Punk avaient creusés (non sans mal) le sillon. La 1ère victoire de la musique, c'est quand même le "Acid Eiffel" de Choice (trio composé de Garnier, Navarre, Shazz).
Avec tout le respect que j'ai pour JM Jarre bien sûr (concert live Lyon/Houston, mon tout premier CD).
Mais je m'égare ...

Bon, peut être que le duo de Daft Punk a encore des choses à dire, mais plus sous cette forme tout simplement.

Carlito B.
28/02/2021 à 16:05

Daft Punk, Justice, Carpenter Brut... des styles totalement différents qui ont pour point commun la musique électronique, mais pas que.
C'est vrai que les DP sont une musique de club, sans doute pour cela que j'y suis resté insensible malgré mes efforts et l'écoute de leurs albums. Chacun son truc. Du coup, tient, je vais me taper un Tangerine Dream de la belle époque (rien à voir et totalement HS, mais c'est pour faire chier les haters !!)

C. Ingalls
28/02/2021 à 14:00

"J'aime pas Daft Punk, mais j'adore Justce et Carpenter Brut."
MDR ! LOL !

Très bien l'article. Je savais déjà tout ça, mais c'est bien raconté.

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