Lisa Frankenstein : critique (re)venue d'entre les morts

Axelle Vacher | 28 avril 2024 - MAJ : 28/04/2024 18:43
Axelle Vacher | 28 avril 2024 - MAJ : 28/04/2024 18:43
 

Après deux courts-métrages et une poignée de clips musicaux, l'ancienne actrice Zelda Williams s'est finalement sentie fin prête à signer son tout premier long format. Fantasmée par la géniale, quoique tristement controversée, Diablo Cody (Jennifer's Body, Juno), Lisa Frankenstein se veut réinterprétation sauce années 80 du chef-d'oeuvre de Mary Shelley. Portée par Kathryn Newton (Freaky, Ant-Man : Quantumania) et un Cole Sprouse fraichement libéré du carcan de Riverdale, cette romcom horrifique pour ado-mais-pas-que explore diverses névroses avec un sens de l’humour noir plutôt sympathique.

 
 

"hell is a teenage girl"

"L'enfer est une adolescente". Ainsi s'ouvre, non pas Lisa Frankenstein, mais le Jennifer's Body de Karyn Kusama. Un constat sans équivoque, simultanément ode au tourbillon propre à la puberté, mais aussi, réponse au monstrueux féminin théorisé par Barbara Creed en 1993. Si le film de Williams ne prétend nullement plagier sa grande soeur spirituelle, il en porte fièrement l'ADN. Entre la patte très reconnaissable de Cody et les influences horrifiques de la réalisatrice, Lisa Frankenstein se conçoit comme le composite du Jour des morts, Carrie, Edward aux mains d’argent ou encore Beetlejuice

Autant de références qu'assume pleinement la cinéaste, dont elle a par ailleurs confié regretter les ambitions créatrices à Rolling Stone. Mais plus encore qu'un empiècement d'inspirations piochées dans la cinéphilie de ses têtes pensantes, ce premier film a principalement été conçu comme un retour de bâton résolument féministe au Créature de rêve de John Hughes (dont l'intrigue se résume peu ou prou à deux lycéens désireux de créer ce qu'ils estiment être la femme parfaite). 

 

Lisa Frankenstein : photo, Kathryn NewtonQuand tu emmerdes le male gaze

 

"J'ai grandi en regardant ce type de films", a reconnu Cody, toujours pour Rolling Stone, "mais je me demandais toujours : où sont les films où la fille se façonne son homme idéal ?". C'est ainsi qu'au point d'orgue de la désormais célèbre pandémie de 2020, la scénariste s'est attelée à développer sa propre "créature de rêve" avant d'en faire parvenir une copie à Williams. Là, c'est le coup de foudre (sans mauvais jeu de mots) pour cette dernière qui décide, ni une ni deux, d'en faire son premier film.

Les enjeux sont majeurs pour cette amatrice de zombies, de couleurs saturées et de tignasses gaufrées. Aussi, il n’est pas question d'y aller de main morte et de diriger une production sans saveur. Au contraire, l'expérience se doit d'être sciemment loufoque, de réemployer les codes du slasher tout en y associant une dose généreuse d'humour grinçant, et surtout, d'être pétrie de personnages dont la satire frôle la caricature

 

Lisa Frankenstein : photo, Kathryn NewtonOne can of hairspray a day keeps the ozone layer away

 

zombieland

Ainsi se construit le petit monde de Lisa Swallows (une allusion lubrique parmi tant d'autres), sale gosse aux épaules perpétuellement rentrées et au maniérisme directement pompé à Bella Swan. Son quotidien se résume à déambuler comme une âme en peine, à nourrir une fascination pour George Méliès, fantasmer sur le rédacteur en chef de la revue littéraire du lycée, et bien sûr, à s'occuper de la tombe d'un bougre décédé en 1837 – parce qu'après tout, chacun ses hobbies. Mais un orage vaguement suspect plus tard, voilà ledit bougre revenu d'entre les morts et désormais couvert de boue à l'entrée de la résidence familiale. 

Autant prévenir le spectateur dès maintenant : à l'instar d'une bonne partie des productions dont Zelda Williams s'est inspirée, Lisa Frankenstein demande une sacrée suspension d'incrédulité. Pas tant parce que le récit n'a aucun sens (qu'est-ce qui en a un de nos jours ?) que par désir manifeste de rentrer dans le vif du sujet et distribuer des coups de hache à tout va. En soi, la démarche n'a rien de réellement répréhensible. Le fait est qu'en dépit de ses prémisses engageantes, on ne peut pas dire que le film démarre sur les chapeaux de roues.

 

Lisa Frankenstein : photo, Kathryn Newton, Cole SprouseBarbie Addams

 

Si l’esthétique est jolient soignée et que la mise en scène semble plutôt solide, rythme et trame narrative peinent initialement à donner le ton. Inutile de compter sur l'héroïne titulaire pour rattraper le coup, puisque cette dernière ne s'en chargera pas non plus. Que l'on ne s’y méprenne pas, la performance de Newton – à mi-chemin entre une Lydia Deetz et une Veronica Sawyer – tient debout, et le concept derrière le personnage ne manque pas de charme. Mais il manque un on-ne-sait-quoi à cette Prométhée hormonale, un petit quelque chose qui participerait à la rendre crédible à son audience.

Heureusement, à mesure que Williams trouve son équilibre, sa Lisa presque Frankenstein gagne, elle aussi, en épaisseur et parvient même à faire ses preuves à l'occasion d'un troisième acte gentiment déjanté.

 

Lisa Frankenstein : photo, Kathryn Newton, Cole SprouseOn laisse au spectateur le loisir de découvrir cette scène

 

dead parents society

Plus qu’un premier jet sans concessions, Lisa Frankenstein s'impose surtout comme une belle métaphore des deuils impossibles. Aussi, le fait que la Créature interprétée par Cole Sprouse nécessite d'être rapiécée peu à peu n'est pas seulement un gag justifiant le massacre auquel se livrera l'improbable duo ; c'est aussi la projection d'une reconstruction progressive du soi après la mort. 

Williams n’a jamais cherché à se cacher de l’impact qu’a eu le décès de son père (le comédien Robin Williams) sur sa personne et a fortiori, sa carrière. Une tragédie dont elle explore les intrications non pas au moyen de séquences tire-larmes, mais par un sens de l'humour prompt à déclencher un AVC à n'importe quel quinqua conservateur

 

Lisa Frankenstein : photo, Kathryn Newton, Cole SprouseIls moururent heureux et n'eurent aucun enfant

 

Marquée par la disparition de sa mère, Lisa peine à évoluer dans un monde qui n'a de cesse d'aller de l'avant. Ses heures passées au cimetière à lustrer la tombe d'un parfait inconnu ne sauraient se réduire à une excentricité d'adolescente maussade ; Lisa est lasse, et de cette lassitude survient le quiproquo sur lequel repose l'élément déclencheur du récit. Par souci de préserver la surprise, on se gardera d'en dévoiler les tenants et aboutissants entre ces lignes. Disons simplement que la bande-annonce du film est sciemment trompeuse.

Au demeurant, inutile de pousser le bouchon et vendre ce premier long-métrage comme un chef-d'oeuvre. À vrai dire, le produit fini est à l’image de son protagoniste déterré : lacunaire, inégal... mais pas moins séduisant pour autant. Le spectateur regrettera sûrement que Williams ne soit pas allée plus loin dans ses idées et sa réalisation, mais ce serait juger bien sévèrement un film qui n’a pas la prétention de jouer les classiques.

Lisa Frankenstein sera disponible en DVD dès le 5 juin 2024

 

Lisa Frankenstein : Affiche officielle

 

Résumé

 

Malgré un premier acte bancal et un potentiel globalement inexploité, Lisa Frankenstein s'impose comme un premier long-métrage solide pour Zelda Williams. Pétrie d'influences savoureuses sans jamais jouer les pastiches, cette ode aux slashers et aux teen movies des années 80 propose en sous-main une lettre d'amour au temps qui passe, et a tout ce qu'il emporte avec lui.

 
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commentaires
Saul
28/04/2024 à 19:33

@Axelle & @Nico1 : Ok ! Merci de vos réponses ! Le w. word quoi... ^^

Bon sinon quand au film, au voir donc du coup, même si à priori pas parfait au moins intéressant.

RobinDesBois
28/04/2024 à 19:15

@Axelle c'est dommage, ça méritait une sortie en salle.

Axelle Vacher - Rédaction
28/04/2024 à 18:53

@RobindesBois | aucune sortie en salle n’est prévue non. Peut-être y aura-t-il une sortie VoD mais, ça m’étonnerait.

Axelle Vacher - Rédaction
28/04/2024 à 18:52

@Saul | c’est une histoire de misogynie parmi tant d’autres ! Cody n’a (à ma connaissance) rien fait de répréhensible, mais ses scénarios résolument féministes ont tendance à faire jaser – le plus pointé du doigt étant bien-sûr son Jennifer’s Body (porté à l’écran par K. Kusama).

Nico1
28/04/2024 à 18:49

@Saul
Diablo Cody a été strip-teaseuse et je pense que c'est à cette partie de sa vie que sont liées les controverses évoquées en début d'article

RobinDesBois
28/04/2024 à 18:20

Il n'y a pas de sortie ciné en France ? Uniquement un DVD ?

RobinDesBois
28/04/2024 à 18:11

En tout cas côté photo, décors et costumes ça l'air sympa.

RobinDesBois
28/04/2024 à 18:10

Ca a l'air sympa.

"J'ai grandi en regardant ce type de films", a reconnu Cody, toujours pour Rolling Stone, "mais je me demandais toujours : où sont les films où la fille se façonne son homme idéal ?".

J'espère que ça n'est pas sa motivation première parce que "ce premier film a principalement été conçu comme un retour de bâton résolument féministe au Créature de rêve de John Hughes", mouai, on remplace la créature féminine (nommée Lisa, l'hommage est évident) par un gars et ça change tout ?

Dans "Une créature de rêve" et sa série dérivée "Code Lisa", Lisa n'est pas juste belle, elle est intelligente, drôle, presque omnipotente et elle a un sacré caractère. Ca nécessitait une réponse "féministe" ?

J'y vois plus un remake où les sexes sont inversés parce que ça correspond au fantasme de la réalisatrice. Mais les teen movies de John Hughes ne se concentraient pas que sur les problèmes des garçons.

Saul
28/04/2024 à 17:34

@Axelle Vacher : quelles sont les controverses sur Diablo Cody ? J'ai cherché sur les internets sans trouver de piste viable, ni en français, ni en anglais, ni sur google, ni sur wiki (pourtant habituellement friand du genre). Tout au plus qu'elle referait pas Juno dans le contexte actuel, mais ca me parait soft et peut abordé... bref si vous pouvez m'éclairer ^^
(en espérant que ce n'est pas un sujet à troll...)

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