Le Mal n'existe pas : critique somptueuse

Antoine Desrues | 10 avril 2024
Antoine Desrues | 10 avril 2024

Si l’on pouvait s’attendre à une fable écologique teintée de thriller politique, Le Mal n'existe pas est bien un film de Ryūsuke Hamaguchi (Drive My Car, Contes du hasard et autres fantaisies). Sa caméra, toujours aussi douce et sinueuse, s’attarde avant tout sur des corps, pour une balade hypnotisante où les points de vue s’alternent et s’opposent. En salles le 10 avril.

L’appel de la forêt

Il y a quelque chose de génialement indicible dans le cinéma de Ryūsuke Hamaguchi. Qu’il s’agisse de ses inspirations rohmériennes, de la beauté lancinante de ses images ou de son amour du dialogue aux orées de la poésie, sa mise en scène hypnotise par sa sérénité. Même lorsqu’on ne sait rien de ses personnages, la concentration de la caméra sur leurs gestes quotidiens et leur expertise nous les ferait suivre jusqu’au bout du monde.

C’était déjà le cas dans Drive My Car et dans les différents sketchs de Contes du hasard et autres fantaisies, mais Le Mal n’existe pas va encore plus loin en nous plongeant d’entrée de jeu dans la plénitude du village de Mizubiki et de sa forêt resplendissante. Après un travelling zénithal renversant sur le ciel et les arbres, Takumi (Hitoshi Omika) est filmé en train de (longuement) couper du bois. Nous voilà dans la ritournelle, la répétition paisible du mouvement, qui semble conduire la vie de cet homme à tout faire, pilier de la communauté vivant seul avec sa fille Hana. Il y a là une souffrance enfouie, effacée par cette osmose avec la nature.

 

Le mal n'existe pas : photoFaire feu de tout bois ?

 

Bien entendu, on attend de ce monde rural fantasmatique qu’il soit soudainement bouleversé. Hamaguchi s’amuse d’un contraste fort. Après avoir valorisé des instants suspendus dans le temps et des suites de mouvements de caméra en extérieur, il enferme Takumi et les autres villageois dans une salle des fêtes, lors d’une réunion où leur est présenté un projet de glamping (contraction de camping et de glamour) censé être installé au cœur du parc naturel.

Ces entrepreneurs véreux et inconscients, ou du moins leurs représentants, semblent être les antagonistes logiques du long-métrage. Pourtant, suite au débat fascinant et tendu que construit le cinéaste, c’est vers ces entremetteurs, Takahashi (Ryûji Kosaka) et Mayuzumi (Ayaka Shibutani), que se tourne le film. Cette bascule du point de vue est d'abord inattendue. Alors qu’on s’attendrait à voir la présentation du projet virer à l’engueulade indignée, les habitants exposent très sobrement les limites – osons dire le désastre écologique – de cette entreprise préparée dans la précipitation.

 

Le mal n'existe pas : photoHana, le regard de l'innocence

 

Rashomon version Hamaguchi

De retour à Tokyo, le duo de personnages ne peut que faire face à la bêtise et l’incompétence de leur patron, cliché d’entrepreneur dont le rapport au dialogue se résume au confort d’une visio-conférence. Takahashi et Mayuzumi veulent bien faire, ramener de l’éthique dans ce capitalisme vorace, mais rien n’y fait. Ryūsuke Hamaguchi ne juge pas et alterne avec beaucoup de précision les variables de sa mise en scène. Tantôt affectueux, tantôt moqueur (surtout avec Takahashi, citadin trop heureux de redécouvrir les joies simples de la vie “sauvage”), le réalisateur laisse sa caméra vivoter, au point où il devient difficile d’estimer la direction du récit. En même temps, là n’est pas sa priorité.

Pour mieux saisir cette zone de flou, il est intéressant de revenir sur les origines particulières du film. L'inspiration du Mal n’existe pas provient de la compositrice Eiko Ishibashi (collaboratrice d’Hamaguchi sur Drive My Car) qui a demandé au cinéaste de lui créer des images pour accompagner un concert intitulé Gift. La dernière création de l’auteur est avant tout un dispositif, qui explique l’avancée à tâtons du scénario et des personnages. De ce tronc commun, Le Mal n’existe pas a d’ailleurs un montage différent de celui de Gift, permettant aux mêmes images de raconter différentes histoires.

 

Le mal n'existe pas : photoMayuzumi et Takahashi, toujours largués

 

Si ce plaisir de l’expérimentation est évident (qu’on connaisse le contexte avant le visionnage ou pas), le long-métrage n'évite pas quelques frustrations, en particulier avec sa fin, à la fois ouverte et abrupte. Habitué à sculpter un temps long, Hamaguchi troque l'abstraction de son univers filmique pour une dimension soudaine de thriller. Mais à la réflexion, tout le propos du film se trouve dans cette surprise, qui redéfinit sa force indicible.

Dès le départ, on sent bien que le calme supposé de l’œuvre, de ses personnages et de leur environnement renferme quelque chose, un bouillonnement qui se confirme à chaque coup de hache dans du bois, à chaque louche d’eau versée dans un jerrican. Derrière la précision du geste et sa répétition, il y a un cycle. Pas un cycle du Mal avec des méchants définis, mais la désagrégation inévitable d’un monde à cause de ceux qui l’habitent. L’harmonie face au chaos.

 

Le mal n'existe pas : affiche française

Résumé

Le Mal n’existe pas cache bien son jeu. Derrière ses images somptueuses, son montage envoûtant et son esthétique paisible, le film de Ryūsuke Hamaguchi porte en lui une violence enfouie, magnifiquement soutenue par ses alternances de point de vue.

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commentaires
critique
28/04/2024 à 21:02

quelle daube ce film. perdez pas votre temps et argent !

Terryzir
21/04/2024 à 19:49

Grand film qui habite le spectateur longtemps après la projection.
La fin est d'une cruauté et d'une malice inattendue.
"Le mal n'existe pas" est une belle dénégation en soi.
Vu 3 fois, je ne m'en lasse pas.
Il y a un cousinage évident entre ce chef-d'oeuvre et Faute d'Amour de Zviaguintsev.

Cidjay
11/04/2024 à 11:12

l'affiche est superbe ! ça change de ce qu'on a l'habitude de voir !

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