Immaculée : critique Marie-accouche-toi-là

Antoine Desrues | 20 mars 2024 - MAJ : 20/03/2024 11:56
Antoine Desrues | 20 mars 2024 - MAJ : 20/03/2024 11:56

Ramener la nunsploitation sur le devant de la scène : voilà le pari assez improbable d’Immaculée, où Sydney Sweeney se retrouve malgré elle embarquée dans un couvent bizarre, au moment où un miracle se produit dans les lieux. Le concept est alléchant, et le résultat, bien qu’imparfait dans sa gestion des codes horrifiques, aborde l’imagerie judéo-chrétienne avec pas mal de malice. De quoi avoir envie de donner sa chance au film de Michael Mohan, en salles le 20 mars.

Like a virgin

Alors qu’on ne cesse de parler d’un star-system hollywoodien à l’agonie, il faut reconnaître à Sydney Sweeney son ambition d’actrice, et son implication dans les films qu’elle choisit de mettre en avant. Bien que Tout sauf toi soit loin d’égaler les classiques de la comédie romantique, sa vibe old-school a su réveiller avec malice un glamour nostalgique, idéal pour l’image de la jeune comédienne.

À première vue, Immaculée semble moins passionné, avec ses airs assez opportunistes de film d’horreur conceptuel (une nonne exilée en Italie tombe enceinte par le pouvoir du Saint-Esprit). Pourtant, Sweeney avait passé les castings pour le rôle principal dès 2014, avant que le scénario ne tombe dans les habituels limbes d’Hollywood. Forte de sa renommée depuis Euphoria, l’actrice en a profité pour acheter les droits du long-métrage avec sa société de production, revoir le script, trouver un réalisateur et s’octroyer le rôle principal.

 

 

Cette dévotion (!) ne pouvait que rendre curieux, surtout au vu du goût de la star pour les revivals de genres plus ou moins improbables. Toucher à la nunsploitation dans une période où le regard sur (et par) les femmes est plus que jamais interrogé est en soi une note d’intention démente. Là réside la grande force du résultat final, mais aussi sa limite.

Immaculée ne fait que traquer cet horizon critique et subversif, et a le mérite de retenir ses coups pour que sa montée crescendo laisse une vive impression. En contrepartie, il faut accepter un démarrage assez laborieux, qui essaie de mixer ses inspirations avec les codes ronflants du cinéma d’horreur contemporain (Blumhouse en tête). Un petit effet gore gentillet par-ci, un petit jumpscare par-là : cette mise en place n’est qu’une esquive facile, bien qu’on reconnaîtra le talent de Michael Mohan (The Voyeurs, déjà avec Sydney Sweeney) pour exploiter au mieux l’ampleur inquiétante de ce couvent campagnard aux intérieurs baroques.

 

Immaculée : photoUne très belle séquence

 

La croix et la bannière

Ce jeu de cache-cache est d’autant plus contradictoire (ou complémentaire ?) que le film s’intéresse à l’inverse : à la pleine vision, à la pleine monstration par le retour d’une dimension divine explicite. C’est à ce moment-là que l'on comprend l’attachement de Sydney Sweeney au rôle de Soeur Cecilia. Ses yeux, aussi arrondis que ses pommettes, traduisent sous sa coiffe une innocence vouée à être transformée, instrumentalisée par le regard masculin. D’une coupe vers un plan au lyrisme assumé, la voilà métamorphosée en madone, dépossédée de sa propre image afin de représenter un idéal de pureté féminine.

Immaculée fait ainsi apparaître son vrai visage. Plutôt que de tomber dans les éternels travers du catho-porn réac et inoffensif, son emploi de l’imagerie judéo-chrétienne se veut vraiment anxiogène. Le modèle de la Vierge Marie, auquel Cecilia est contrainte de se conformer, laisse suinter sa nature oppressive. Le film a l’intelligence de ne pas pointer du doigt le symbole, comme on pointerait du doigt Ève pour avoir croqué dans la pomme. Aux mains d’une Église dirigée par les hommes, le long-métrage ose expliciter un certain vertige de l’histoire religieuse, et sa création d’une matrice sociétale qui jette la faute sur tout un genre depuis plusieurs millénaires.

 

Immaculée : photoUn prêtre qui vous veut du bien

 

Le scénario d’Andrew Lobel condense ce temps par l’intrusion progressive de décors modernes et cliniques au sein des murs poussiéreux du couvent. Cette mutation des styles et des esthétiques vrille – avec son twist principal – vers un gonzo aussi assumé que jubilatoire, qui reprend à son compte la final girl pour la pousser dans ses retranchements. Immaculée en profite pour questionner tout le paradoxe d’une quête de pureté artificielle, qui se traduit par une fétichisation de la souffrance féminine teintée d’un arrière-goût éminemment sexuel.

L'occasion pour le film d’oser quelques élans de body-horror bienvenus, qui replacent le corps de Sydney Sweeney au centre de la mise en scène. C’est bien pour cette raison que son personnage est aussi génial à incarner : tout son parcours repose sur une hargne, une réappropriation colérique de son image qui passe d’un intangible spirituel à quelque chose de beaucoup plus concret et charnel.

Au même titre que son actrice, Immaculée brille dans cette gradation, jusqu’à son final d’une violence et d’une noirceur assez inouïes, qui nous ferait presque pardonner les manquements de sa première moitié.

 

Immaculée : affiche française

Résumé

Immaculée ose beaucoup, surtout dans sa dernière partie, au point où sa hargne anticléricale et féministe fait pardonner ses ressorts un peu faciles. Et Sydney Sweeney y est, comme souvent, fantastique.

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commentaires
pc
20/04/2024 à 22:19

Malgré l implication de Sydney Sweeney qui y donne à outrance de sa personne , ce film est une bouse intersidérale. Que fait Alvaro Morte pourtant bon comédien mais ici à côté de ses pompes dans ce nanard du samedi soir ?

Flo1
28/03/2024 à 13:11

"Si "Madame Web" ne cartonne pas, je me fais nonne" :⁠-⁠)

Il est clair que ce film n'aurait pas eu le même intérêt s'il n'avait pas été porté par la sensation du moment, Sydney Sweeney. L'actrice qui n'a même pas eu le temps d'être une pin-up à la Marilyn Monroe (à part dans un clip des Stones, par exemple) qu'elle désacralisait déjà son corps voluptueux dans des séries ou films high concept. Plus vite encore qu'une Margot Robbie (elle n'a de vaguement australien que son prénom) la demoiselle sait ce qu'elle veut, a fait des études de management et produit avec sa boîte Fifty Fifty. Et est prête à pousser son corps dans les extrêmes puisque adolescente... elle faisait du MMA !?
Reprenant un script pour lequel elle avait passé le casting dix ans avant (c'est à dire mineure !). Et qui, avec son visage de madone aux grands yeux clairs, ne se contente pas de réactiver le sous-genre de la Nunsploitation, avec tout son côté blasphématoire et surtout érotique.
Au contraire, c'est bien un film qui intègre les questionnements contemporains, tout en restant assez universel.

Elle retrouve le réalisateur Michael Mohan qui l'avait dirigé dans des séries, et dans un long-métrage de plateforme ("The Voyeurs") qui avait l'avantage d'être proche du huis-clos. Idéal pour ce sujet. Mais pas nécessairement fait avec un certain génie, et ce n'est pas ce qu'on demande avec ce film, ouvertement conçu comme une agréable pelloche de type Série B, pas longue du tout, avec toutefois une certaine exigence formelle - c'est pas moche, et comme ça se passe en Italie on a un tas de dialogues sous-titrés, pratique pour accentuer l'isolement de l'héroïne, jeune américaine innocente qui doit alors souvent décrypter ce qui se passe par le ton de la voix, par les attitudes et par ce qu'elle voit (ou croit voir).
Après, la mise en scène et les sursauts sont assez classiques pendant une bonne partie de la mise en place de l'histoire. On aura une explication plutôt prévisible pour qui a déjà lu un comic de Preacher par exemple (d'ailleurs Álvaro Morte, en prêtre séducteur, a de faux airs de Dominic Cooper, le preacher adapté en série télé).
Des instants à l'air surnaturel et diabolique (il y a quand même quelque chose de pourri là dedans) représentent une fausse piste, tout comme les nombreuses extrapolations qui peuvent émerger à chaque scène où un personnage s'exprime à propos de la beauté, du dévouement, de la santé mentale, de la fin de vie (ça fait beaucoup sur un laps de temps aussi court...).

Car à un moment donné, on comprend très clairement que ce long-métrage n'est pas un film d'horreur qui fait peur, mais plutôt un thriller à suspense. Et on voit alors très bien dans quelles directions précises il va : dénoncer le fanatisme religieux, avec un mal présent non pas à l'extérieur de l'humanité mais intrinsèquement en elle.
Ainsi que l'appropriation du corps féminin par autrui, donc par ricochet le droit à choisir ou non d'être enceinte. Au point qu'on aurait même pu sous-titrer ce film : "L'Événement 2 : La Revanche"... ;⁠-⁠)
Comme chez Audrey Diwan, on a une jeune femme qui voit sa vocation être bouleversée à cause de la présence en elle d'un corps inattendu (avec une complicité extérieure), symbiotiquement attaché à son organisme mais pas du tout accepté par l'intéressée.
Comme chez Diwan le hors-champ (même si avec très peu de plan séquence ici) empêche de déterminer tout de suite dans quelle direction se trouve la menace, ni même à quels hommes et femmes ont peut placer sa confiance - mais ça de toute façon, c'est typique d'un thriller. Et les deux films partagent aussi un cadre resserré qui donne une allure intemporelle, où l'époque à laquelle ça se passe ne vient jamais parasiter le déroulé du récit sauf si ça se justifie (ici par exemple c'est un coup de fil crucial au Père Tedeschi, qui nous rappelle d'un coup en quelle année nous sommes... au détriment de l'héroïne).
Et comme chez Diwan on a un compte à rebours avant l'inévitable (même si avec juste deux inscriptions à l'écran ici). Puis Mohan emballe la machine (dès qu'arrivent les premières morts), et pousse le récit quasiment vers l'horrifique le plus crû, certes trop proche d'un slasher ridicule... avant la redescente, mais pas si sereine.

À cet instant le film devient de plus en plus jouissif à mesure qu'il rejette tout ce qui concerne L'Amour de son prochain, les bondieuseries un tantinet hypocrites... Pour verser dans l'instinct primal pré-Religieux, où la survie revancharde compte plus que la politesse, le dialogue et la compassion. Rien à fiche de la Bonté, place à la barbarie vacharde ! :⁠-⁠O
Jusqu'à un plan séquence ultime, merveille d'image et de cris (plein pot ou hors champ), tempête d'émotions contradictoires (mais enfin que va-t-elle décider ?)...
Ce n'est donc pas seulement pour Sydney Sweeney, la sensation du moment, qu'on doit voir ce film. C'est surtout pour elle Dans cette scène, au sein d'un film heureusement pas bien long, et dont le point final est d'une radicalité dantesque.

Ah là, immaculée bien fort - Aïe ! >⁠.⁠<

Obi
24/03/2024 à 14:56

Honnêtement, j'en attendais rien, et maintenant je suis très curieux de voir çà :)

Zeeg
24/03/2024 à 14:08

Bonne séance pour ma part
Une ambiance horrifique efficace et crédible, un casting impliqué, un vrai savoir faire dans la réalisation, le montage et la photo...du beau travail.
Seul bémol pour moi, un twist "à la Get Out" auquel je n'ai pas cru et qui m'a un peu sorti de mon immersion.
Le film aurait peut-être eu plus de poids si il était sorti avant le film de Peele.

Raz0rBlack
22/03/2024 à 14:17

Pire film que j'ai vu depuis un bail, et pourtant je ne suis pas difficile.
La critique d'Ecran large et une habile bande annonce m'ont bien eu .
Dans la salle hier, on pouvait voir les visages navrés des spectateurs, voir entendre des rires gênés lors du générique de fin.
Les acteurs sont plutôt investis dans ce film pourtant.
Mais que "l'histoire" (en fait le pitch c'est l'histoire, il n'y a rien de plus) est "débile", j'utilise ce terme car franchement la fin est si peu crédible que les scénaristes nous prennent pour des neuneus.

Leduk
21/03/2024 à 10:01

Ça ne vaut sûrement pas le prix d'une place de ciné mais ça pourra être regardable en vod dans qques temps, par curiosité.

JPsg1973
20/03/2024 à 17:01

Suicidal Tendencies : "Lovely, la la la la la la la la la lovely". Ma femme s'est demandée pourquoi je voulais regarder Tout sauf toi. Elle a compris quand elle l'a vue. Hihihi ! Sérieusement, elle était très bien dans Reality et évidemment aussi dans Euphoria

Kyle Reese
20/03/2024 à 14:56

J'aime bien Sidney Sweeney, elle a vraiment de la suite dans les idées et beaucoup de talent en plus d'être jolie et de jouer avec son physique aux formes avantageuses. Cool que ce soit une belle petite réussite.

Coucouhibou
20/03/2024 à 12:21

J'avais peur d'un énième film d'horreur catho réac, mais vous me donnez vraiment envie d'aller le voir !

JPsg1973
20/03/2024 à 12:20

Sydney Sweeney ! Hahaha je meurs !!! Sérieusement, elle était très bien dans Reality

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