The Pod Generation : critique d'une GPA version Black Mirror

Geoffrey Crété | 25 octobre 2023
Geoffrey Crété | 25 octobre 2023

Et si on pouvait faire un bébé dans une jolie boîte en plastique pour se faciliter la vie ? C'est l'idée de The Pod Generation, nouveau film réalisé par Sophie Barthes (Âmes en stock), avec Emilia Clarke et Chiwetel Ejiofor. Il sera forcément comparé à un épisode de Black Mirror, comme si la série de Charlie Brooker avait inventé la science-fiction. Mais il mérite un peu mieux que ça.

BABY BLuetooth

The Pod Generation aurait pu être le titre d'une énième adaptation des Body Snatchers. Et il y a bien une forme de cauchemar dans cette fausse utopie rose bonbon où une entreprise propose des utérus artificiels aussi chics et chers qu'un iPhone 45. Avec leur design de grosse enceinte Bluetooth, ces œufs high-tech offrent la liberté aux femmes, la sécurité aux couples et la sérénité à la start-up nation. On peut sélectionner le sexe du fœtus et diffuser de la musique pour le réconforter, mais aussi transformer l'utérus en sac à dos et donc les hommes en hippocampes, capables de participer à la grossesse.

Derrière cette idée, il y a la réalisatrice et scénariste Sophie Barthes, et c'est quasiment la continuation de son premier film passé inaperçu en 2010. Dans Âmes en stock, Paul Giamatti se payait les services d'une entreprise qui soulageait les gens malheureux en extirpant et stockant leur âme. Quoi de plus normal d'imaginer la même chose avec une grossesse extra-utérine d'un nouveau genre ?

Cette fois, c'est le problème d'Emilia Clarke et Chiwetel Ejiofor, couple solide mais mal assorti. Elle aime cette vie de citadine du futur, lui regrette le temps où il y avait moins de béton et plus de forêts. Ce bébé-en-boîte va évidemment compliquer les choses, et c'est ainsi que The Pod Generation devient une sorte de comédie douce-amère, semi-romantique semi-dystopique, et plutôt étonnante.

 

 

utopire

The Pod Generation n'échappe pas aux clichés de la petite fable SF. La métropole est propre, froide et grise, avec quelques îlots de verdure artificiels – on peut payer pour respirer l'air frais de plantes sous cloche. Le bureau est un monde où tout le monde travaille avec l'assistance/surveillance d'une IA à la voix flippante, et sur un tapis roulant parce que c'est bon pour la santé. Le mari travaille littéralement les mains dans la terre, histoire de bien signifier son attachement à la nature.

Et pour revenir à l'inévitable Black Mirror : les formes ovales et les couleurs pastel de tous les côtés rappellent forcément Chute libre, l'excellent épisode réalisé par Joe Wright.

 

The Pod Generation : photoL'air de rien

 

Il y a quelques idées très amusantes (la thérapie par IA), mais le plus intéressant dans The Pod Generation est moins cosmétique que thématique. L'utopie féminine (les pods comme moyen de s'émanciper, et de ne pas mettre en pause sa carrière) est évidemment un leurre, et c'est particulièrement évident dans l'entreprise où travaille l'héroïne, incarnée par Emilia Clarke. La boss est une femme, les pods sont encouragés et soutenus par le comité d'entreprise, un joli placard est prévu pour les accueillir, mais il suffit d'un faux pas pour que la machine à culpabilité soit lancée.

La grossesse nouvelle génération est moins là pour aider les individus et la société que les entreprises et les actionnaires, en déplaçant les rôles sans changer les règles. Cette illustration de la parfaite et douce hypocrisie, cachée derrière de beaux sourires, est grinçante. De quoi faire de ce Pod Generation une belle représentation de toutes les meilleures choses de notre époque – le capitalisme sauvage, le néolibéralisme, la marchandisation du corps. Et sans donner de leçon, Sophie Barthes place suffisamment d'éléments pour donner à réfléchir et rire (jaune).

 

The Pod Generation : photo, Chiwetel EjioforEn thérapIA

 

l'amour est dans le pré

À mesure que le couple s'attache à ce bébé high-tech, l'objectif de The Pod Generation devient clair : il s'agit d'un film sur un couple qui veut "faire famille" comme on dit (une expression devenue la norme cool depuis une dizaine d'années), en allant contre les règles ; d'abord celles de la nature, puis celles de l'entreprise.

La science-fiction n'est qu'une toile de fond qui s'éloigne de plus en plus tandis que le projecteur est braqué sur les tiraillements intimes des deux personnages. Le mari réfractaire devient un papa poule avec son sac-utérus, et la mère s'étonne et subit la distance physique avec le bébé. Les rôles sont redistribués, et le duo devra faire front pour trouver un équilibre.

 

The Pod Generation : photo, Chiwetel EjioforBoire ou porter, il faut choisir

 

Passé quelques malins moments comiques autour de ce décalage (les papas qui paradent avec leurs œufs, la maman qui rêve d'un supermarché pour bébés) et de l'absurdité terrifiante de ce monde (les règles et surprises de l'entreprise des pods, formidables de bêtise), The Pod Generation s'enfonce ainsi dans les bons sentiments.

La manière dont le pod lui-même est traité dans la dernière partie du récit montre bien que ce n'est plus le sujet du film. La vraie belle vie n'a évidemment besoin de rien d'autre que d'amour et d'eau fraîche, et tant pis pour la SF, finalement traitée comme une grosse bestiole secondaire. Heureusement, Emilia Clarke et Chiwetel Ejiofor jouent très bien le jeu, avec un mélange adroit de légèreté et de petites larmes, qui permet d'avaler la dernière ligne droite un peu trop sage.

 

The Pod Generation : Affiche

Résumé

The Pod Generation sera forcément comparé à Black Mirror, mais le nouveau film de Sophie Barthes vaut mieux que beaucoup d'épisodes de l'anthologie. Notamment grâce à quelques bonnes idées sur cette fausse utopie qui ressemble à un vrai cauchemar de société pas si difficile à imaginer.

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commentaires
F. Poncherello
25/10/2023 à 17:33

Cela semble un avenir fort probable... mais une guerre de civilisation peut encore changer la donne.

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