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Cannes 2025 : on a parlé horreur, jeu vidéo et métro avec Genki Kawamura, le réalisateur d’Exit 8

Par Antoine Desrues
25 mai 2025
Cannes 2025 : on a parlé horreur, jeu vidéo et métro avec Genki Kawamura, le réalisateur d'Exit 8 © ARP

Exit 8, l’adaptation du jeu vidéo d’horreur du même nom, nous a impressionnés. Rencontre à Cannes avec son réalisateur, Genki Kawamura.

C’était de loin la séance de minuit la plus excitante du 78e Festival de Cannes. Adaptation d’un phénomène du jeu vidéo indépendant, Exit 8 a créé la surprise, bien loin de la déception hongkongaise Sons of the Neon Night, ou le Black Mirror français et pourri Dalloway. La teneur de sa transposition, à la fois très littérale et inventive, repose sur une boucle temporelle et spatiale à la règle simple. Coincé dans un couloir de métro infini, le personnage principal doit repérer des anomalies dans son parcours. S’il n’en voit pas, il continue d’avancer. S’il en croise une, il doit faire demi-tour, pour espérer trouver la sortie.

Si le long-métrage nous a emballés, c’est en partie parce qu’il se réapproprie avec déférence la mode actuelle des espaces liminaux, une horreur typique d’Internet dépeignant des lieux transitifs du quotidien empreints d’une inquiétante étrangeté (les fameuses backrooms ont imposé leur succès). Osons le dire, on tient peut-être là l’une des meilleures adaptations du dixième art, qu’on doit au réalisateur Genki Kawamura, dont c’est seulement le deuxième long-métrage, après le drame N’oublie pas les fleurs.

Mais ce serait omettre le pedigree impressionnant de l’artiste, à la fois écrivain, scénariste (notamment de L’Innocence de Kore-eda) et producteur de grands noms de l’animation, comme Makoto Shinkai (Your Name, Suzume) et Mamoru Hosoda (Les Enfants loups, Belle). C’est donc sur la fameuse terrasse du Palais des festivals qu’on a rencontré le réalisateur pour creuser les thèmes de ce coup d’éclat.

Métro, boulot mais pas dodo

Comment avez-vous découvert le jeu Exit 8 et qu’est-ce qui a motivé chez vous cette adaptation ?

J’ai une curiosité pour le jeu vidéo indépendant, et j’étais surpris d’apprendre que le créateur d’Exit 8 avait à peine 26 ans (surnommé Kotake Create, en référence à son studio qu’il gère seul, ndlr). Dans le jeu, il n’est question que de ce décor et de cette règle : avancer dans le couloir s’il n’y a pas d’anomalie, reculer s’il y en a une. J’ai trouvé que c’était une mécanique incroyable, et que ce couloir de métro était idéal à utiliser comme une scène de théâtre nô (forme traditionnelle du théâtre au Japon, connue pour ses pantomimes et chroniques versifiées, ndlr).

Le film s’inscrit dans la mode horrifique des espaces liminaux, ces lieux de transit qui deviennent inquiétants et infinis. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce concept ?

Dans mon précédent film, N’oublie pas les fleurs, je parlais d’une mère qui a la maladie d’Alzheimer, et on en vient à la même chose : elle vit dans une boucle de souvenirs qui vont et viennent. Les plus grandes frayeurs, on ne les a pas devant un extraterrestre ou un kaiju. On les a quand quelque chose cloche dans la réalité. Dans N’oublie pas les fleurs, je voulais que le spectateur se sente perdu dans cette autre continuité temporelle et spatiale, qu’il ait peur des conséquences d’Alzheimer. L’anomalie dans le réel, c’est le plus terrifiant, et dans Exit 8, ça passe aussi par la banalité de ce couloir de métro.

C’est beau mais c’est loin

Qu’est-ce qui rend cette banalité du métro si angoissante ?

Le métro, il y en a dans toutes les grandes villes, donc ça reste assez universel comme décor. Ce qui m’a toujours marqué, c’est le visage des passagers. On y perçoit toujours une forme de tristesse et de mélancolie. Pour moi, cet espace est un purgatoire, un endroit entre le paradis et l’enfer. Les êtres humains qui y passent sont confrontés à leur culpabilité, qui va se manifester au travers des anomalies. Jusqu’à quel point peut-on nier ce qui nous ronge de l’intérieur ? C’est aussi ça le métro : quand on assiste à une agression et qu’on fait semblant de ne pas la voir, est-ce qu’on ne contribue pas à nier l’anomalie devant nous ?

On peut projeter beaucoup de choses dans les espaces liminaux. Exit 8 parle notamment de paternité, et des peurs qui y sont liées.

C’est une question plus actuelle que jamais. J’ai l’impression que beaucoup d’hommes ne savent pas comment trouver leur place de père dans la société. Au Japon, on a tellement cette image du père autoritaire et exemplaire qu’on n’a plus l’impression d’être à la hauteur. Quand je vois tous ces travailleurs, ces employés en costard-cravate similaires dans le métro bondé, il est clair que quelque chose a changé. C’était le point de départ d’Exit 8, mais ce thème traverse d’autres œuvres plus anciennes que j’avais en tête. Je pense aux Contes de la Lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi ou à Shining de Stanley Kubrick. Dans ces deux cas, il y a la même question : est-ce que le père est encore digne de ce nom ?

Des pickpockets peuvent être présents en station

C’est un thème récurrent de votre filmographie, comme dans le scénario que vous avez écrit pour L’Innocence d’Hirokazu Kore-eda. Ça vous travaille personnellement ?

A côté du cinéma, j’ai écrit six romans, et ils sont tous traversés par cette absence de la paternité. C’est lié au fait que je n’ai pas ressenti une présence claire et nette du côté de mon père. Par ailleurs, je trouve la société contemporaine très égocentrique. Elle ne privilégie que le confort et le plaisir personnel, et ça se ressent à l’échelle mondiale, y compris sur le plan géopolitique. Les Américains pensent qu’ils doivent juste se sauver eux-mêmes. Pourtant, être père, c’est faire face à une existence plus importante que la vôtre.

D’un point de vue pratique, comment recrée-t-on l’espace d’Exit 8 ? Votre mise en scène aime les longs plans, qui donnent vraiment la sensation d’être dans la boucle.

C’est un secret (rires). Je pense que le premier pas, c’est la curiosité du spectateur, qui doit se demander où on l’emmène sur le plan spatial et narratif. Donc c’est important qu’il s’interroge sur la forme, qu’il se demande comment on a composé un tel espace. Je tenais à ce qu’il y ait peu de coupes au montage pour suggérer cette fluidité de la boucle, et donner la sensation qu’on ne triche pas.

exit 8
Constipation occasionnelle ?

Beaucoup d’adaptations de jeux vidéo se trompent dans les grandes largeurs. Quelle était l’erreur à éviter ?

Ce qui marche avec ce jeu, c’est qu’on a repris son level design et la règle au centre de son gameplay. Il n’y avait pas d’histoire. Si on veut adapter un jeu avec une histoire, il faut se confronter à la narration qui émerge du joueur. Là, c’était plus simple de se projeter cinématographiquement dans ce décor, et d’y ajouter nos éléments propres.

Avant d’être réalisateur, vous êtes un grand producteur pour des cinéastes comme Makoto Shinkai ou Mamoru Hosoda. J’ai l’impression qu’on retrouve dans Exit 8 beaucoup d’éléments communs avec leurs films : la solitude en milieu urbain, des personnages qui doivent apprendre à se reconnecter aux autres. Vous y voyez un mouvement du cinéma japonais ?

Quand je suis dans le métro à Tokyo, et que je vois tous ces gens qui ont l’impression de se connecter au monde via leur smartphone et les réseaux sociaux, ça renferme en réalité leur profonde solitude. Et elle s’accentue pour la jeune génération et ceux qui ont adopté un mode de vie citadin. Cette perte du contact direct avec les autres, je voulais aussi l’interroger dans le film. En se retrouvant dans cette boucle, à croiser la seule et même figure inquiétante qui passe dans le couloir, est-ce que le héros va oser lui parler ? A quel moment on sort de sa carapace pour aller vers l’autre ?

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