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De film X à légende des Oscars : l’incroyable destin de ce classique avec Dustin Hoffman

Par Ange Beuque
21 janvier 2024
MAJ : 2 juin 2024

Malgré une classification X due à son propre distributeur, le subversif Macadam Cow-boy de John Schlesinger marque l’histoire avec Jon Voight et Dustin Hoffman.

Macadam cowboy : Une dossier Film X légende des Oscars

1969, année érotique ? Jon Voight joue les gigolos sur les "bons" conseils de Dustin Hoffman dans Macadam cowboy de John Schlesinger (Midnight Cow-boy en VO). Son sujet scabreux lui vaut une classification X... qui ne l'empêchera pas d'entrer dans l'Histoire du cinéma en décrochant l'Oscar suprême ! Pourtant, ce n'est pas dans sa représentation de la sexualité que le film se montre le plus subversif.

Iron Man et Superman n'ont qu'à bien se tenir : le plus grand des super-héros se déplace à cheval et porte un stetson. Quel personnage peut se prétendre plus emblématique d'Hollywood que le cow-boy ? Défenseur viril de la veuve et de l'orphelin, ultime protecteur des valeurs de la nation... Bien que des cinéastes ne se soient pas privés d'explorer ses failles, il demeure une icône absolue.

Rien de tout cela dans Macadam Cow-boy : les temps ont changé et l'aura du héros a terni. John Schlesinger dépeint un pauvre type drapé dans un prestige périmé, contraint de vendre son corps pour survivre à New York. Un gagne-pain qui vaut au long-métrage porté par Dustin Hoffman et Jon Voight d'écoper, tel un sceau d'infamie, d'une classification X.

 

Macadam cowboy : Jon Voight, Brenda VaccaroQuand le colt s'enraie

 

Un réalisateur déterminé à ignorer les obstacles

Macadam Cow-boy est adapté du roman Midnight Cow-boy, publié en 1965 par James Leo Herlihy. John Schlesinger, membre éminent du free cinema, l'équivalent britannique de notre Nouvelle Vague, insiste pour le porter à l'écran. Sauf que les astres ne semblent pas particulièrement alignés : bien qu'ayant récolté quelques nominations aux Oscars et Golden Gobe, son précédent film, Loin de la foule déchaînée, a fait un bide qui a échaudé les studios.

Son propre agent, conscient du caractère scabreux d'un tel sujet, tente de le dissuader. Pour ne rien arranger, le roman est adapté par Waldo Salt, longtemps victime du maccarthysme. Blacklisté pour son appartenance au mouvement communiste, le scénariste n'a pu contribuer au moindre projet hollywoodien durant toute la décennie 1950. Macadam Cow-boy lui permettra de prendre sa revanche avec l'Oscar du meilleur scénario adapté.

 

Macadam cowboy : Dustin Hoffman, Jon VoightSous le macadam, la plage

 

C'est la seconde partie de l'ouvrage qui concentre son attention, afin de mettre l'accent sur les (més)aventures new-yorkaises de Joe Buck et Rico "Ratso" Rizzo. Le passé de Buck est modifié et réduit à quelques flash-back rapides. C'est à la femme du scénariste, Jennifer Salt, qu'échoit l'interprétation traumatique de la compagne violée par un gang.

Jerome Hellmann, qui ne compte alors que deux longs-métrages à son actif, en sera le producteur. Le budget de 3 600 000 dollars ne permet pas d'extravagances. Le rôle de Buck est offert à Michael Sarrazin, qui a la carrure de l'emploi puisqu'il vient d'enchaîner deux westerns de William Hale. Mais la Universal, à qui appartient l'acteur, réclame plus d'argent que prévu, faisant capoter la piste. L'année 1969 sera toutefois favorable à Sarrazin, qui trouvera son incarnation la plus célèbre dans On achève bien les chevaux.

 

Macadam cowboy : Jon VoightHard Rider

 

Robert Redford et Warren Beatty se montrent intéressés, Harrison Ford est recalé, le nom d'Elvis Presley est vaguement mentionné, mais c'est finalement le débutant Jon Voight qui décroche la timbale. Il accepte pour cela de toucher le salaire minimum prévu par la Screen Actors Guilde – une manière de se brader qui n'est pas sans offrir quelques échos avec son personnage.

Dustin Hoffman est quant à lui si déterminé à endosser le rôle complexe de Ratso qu'il se serait déguisé en sans-abri afin de casser son image trop lisse et bluffer le responsable du casting. Coup de chance, il vient d'achever Le Lauréat : le film sort en parallèle du tournage et fait un carton, transformant l'acteur en star.

 

Macadam cowboy : Dustin HoffmanLe boiteux qui s'entraînait pour Marathon Man

 

De la classification X à l'apothéose libératrice

Étant donné le caractère sensible du scénario, qui n'aurait eu aucune chance d'être produit quelques années plus tôt, la décision de la Motion Picture Association of America (MPAA) était scrutée. Celle-ci lui décerne un "R" plutôt raisonnable, soit la nécessité pour les mineurs d'être accompagnés d'un adulte. Pour l'institution, la page du Code Hays se tourne enfin : son président Jack Valenti avait initié sa mise au rebut dès son intronisation en 1966, et obtenu son remplacement par ce fameux système de classification, un an à peine avant la sortie de Macadam Cow-boy.

Arthur Krim, à la tête de la United Artist, décide curieusement de le faire quand même passer en "X". Il n'est pas banal de voir la société chargée de distribuer le film se tirer ainsi une balle dans le pied, cette classification limitant son audience potentielle en excluant radicalement les mineurs et dissuadant certains cinémas de le programmer.

 

Macadam cowboy : Jon Voight, Dustin Hoffman Après le Code Haï

 

La décision est d'autant plus surprenante que le film n'a strictement rien de pornographique. Si les scènes charnelles ne sont pas éludées, elles n'exposent à aucun moment le moindre attribut génital. Aussi abject soit-il, le viol est davantage suggéré que montré. De manière générale, le sexe y est d'ailleurs introduit sous un angle assez repoussant, plus souvent contraint ou pragmatique que désirable.

Cette confusion provient du fait que, la catégorie étant libre de droits, l'industrie pornographique s'en est généreusement emparée, accolant parfois fièrement plusieurs X à ses productions pour en accentuer l'image sulfureuse. En réalité, c'est plutôt l'hypothèse d'une mauvaise influence de Macadam Cow-boy sur la manière dont les plus jeunes se représenteraient la sexualité qui engendre ce revirement.

 

Macadam cowboy : Dustin Hoffman, Jon Voight "Un certain McGiver. Aucun rapport."

 

La peur de paraître promouvoir l'homosexualité est sans doute entrée en ligne de compte. En effet, Buck accepte une fellation d'un homme, et l'amitié entre les deux héros peut prêter à interrogation. Le personnage de Buck, ouvertement questionné sur ses penchants, fait mine de s'interroger : "Quelqu'un oserait-il traiter John Wayne de pédale ?" Dans la vraie vie, la légende du western ne s'est d'ailleurs pas gênée pour dépeindre Macadam Cow-boy comme "une histoire sur deux pédés", avant de coiffer Voight et Hoffman au poteau pour l'Oscar du meilleur acteur.

En dépit de ces restrictions, Macadam Cow-boy obtient un grand succès tant public que critique. Outre la fameuse scène (plus ou moins) improvisée par Dustin "I'm walking here" Hoffman, il est considéré comme une œuvre majeure du XXe siècle et devient la première et unique production classée X à décrocher trois Oscars, dont celui de Meilleur Film. Il récupère d'ailleurs son classement "R" initial dès 1971. À noter qu'en France, il n'a jamais été interdit qu'aux moins de 12 ans.

 

Macadam cowboy : Jon VoightLe cowbaye

 

La vraie subversion du film

Ce n'est pas tant dans sa représentation de la sexualité que Macadam Cow-boy se montre subversif, mais plutôt dans la manière dont son récit désosse le rêve américain. Il s'attaque frontalement à son plus éminent symbole : le cow-boy, ici rendu à l'état de gigolo pathétique, bien loin de son statut de valeureux pionnier.

À la fin des années 60, le western est un genre toujours vivace : La Horde sauvage (Sam Peckinpah) et Butch Cassidy et le Kid (George Roy Hill) sortent notamment la même année. Et si sa forme traditionnelle tend à décliner, sa célèbre variante européenne, le western spaghetti, bat son plein. Certes, l'héroïsme du cow-boy est parfois soumis à très rude épreuve (l'effroyable Le Grand silence de Corbucci date de 1968), mais il évolue au moins dans un univers dont les règles lui sont familières : un shérif, des bandits, des chevaux, un revolver...

 

Macadam cowboy : Jon Voight Près de la foule déchaînée

 

Joe Buck commet une erreur majeure en misant sur cet imaginaire dépassé. Abandonnant le Texas pour New York, il se retrouve plongé dans un univers dont il n'a pas les codes. S'il débute le film avec la certitude d'être conquérant, dopé tant par les illusions familiales (la voix off de sa grand-mère) que par le récit patriotique de la supériorité du cow-boy, il ne tarde pas à déchanter, confronté à une faune urbaine aussi excentrique qu'égoïste et qui se révèle bien plus coriace que lui.

En décalage complet avec son costume traditionnel d'un autre temps, Buck court de déceptions en échecs : il s'enfonce dans la misère tandis que ses supposés clients le manipulent pour éviter de le payer. En refusant de recourir à la violence, il entérine une position de faiblesse dont ses semblables profitent sans scrupule. Sa gentillesse le désarme et son impuissance criante finit par se matérialiser physiquement.

 

Macadam cowboy : Jon VoightL'étalon domestiqué

 

Tiraillé entre le fantasme d'une vie meilleure et les spectres de son passé, il s'enferme dans son illusion jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Le rêve américain, censé octroyer à chacun des opportunités au-delà de tout déterminisme social, s'est transformé en miroir aux alouettes sur lequel les espoirs des deux héros se fracassent. Le cow-boy est mort, et le film lui inflige les derniers outrages.

Auteur de documentaires pour la BBC dans les années 50, le Britannique Schlesinger tire avec une acuité impitoyable le portrait d'une Amérique en voie de déliquescence. Macadam Cow-boy fut en partie tourné à Times Square, haut-lieu à l'époque du sexe mal famé, de la délinquance et de la drogue. Symboliquement, même l'hôtel qui a servi aux prises de vue fut démoli dès 1972.

Si on aurait pu penser que sa reconnaissance institutionnelle le mettrait à l'abri des censeurs, que nenni : pour sa première diffusion télévisée (plus de cinq ans après sa sortie au cinéma), une grosse vingtaine de minutes sont coupées. Insuffisant toutefois pour empêcher Macadam Cow-boy de s'inscrire dans l'Histoire pour son importance artistique, ni sa (controversée) scène improvisée d'entrer dans la légende.

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Hocine

Midnight Cowboy est un grand film et mérite amplement ses récompenses. L’un des atouts de ce film est les deux personnages joués par John Voight et Dustin Hoffman: deux hommes paumés et errant dans les rues de New York, que l’on suit avec beaucoup d’intérêt. Ce film annonce le cinéma américain des années 70 et celui du Nouvel Hollywood, mettant en avant des marginaux mis au ban du rêve américain et de la société bien-pensante. L’ironie étant que Midnight Cowboy a remporté l’Oscar du meilleur film, tandis que Dustin Hoffman et John Voight, nominés tous les deux pour l’Oscar du meilleur acteur, l’ont perdu face à John Wayne, figure du cow-boy et du western par excellence.

Xprocessor

@Eomerkor

L’adhésion à votre analyse est totale. Ce film, dans son essence même, brillait par sa capacité à décrypter la marginalité au sein de l’idéal du rêve américain, ce dernier alors embourbé dans les méandres de son intervention au Vietnam. Cette œuvre s’inscrivait dans la lignée de ce que le Nouvel Hollywood avait de plus audacieux à offrir : des films à la fois politiques et résolument modernes, empreints d’une ambition débordante et d’une extravagance calculée. Ils se donnaient pour mission de dépeindre une Amérique sous un jour inédit, loin des conventions.

Toutefois, dans le contexte actuel, où la sensibilité aux différentes perceptions sociales et politiques s’est accrue, un tel film, ainsi que la majorité de ceux produits durant cette ère d’innovation cinématographique risquerait de se heurter à une vague de critiques acerbes souvent amplifiées par les réseaux sociaux.

Et pourtant, ce cinéma là savait parler aux adultes. C’est aujourd’hui tellement rare.

Eomerkor

Classification X complètement bidon accolée au film du fait de sa représentation d’un bouseux devenu gigolo et de son traitement de l’homosexualité. C’est en fait surtout la représentation de la marginalité dans une Amérique du rêve américain empêtrée dans son intervention au Vietnam qui suinte derrière ce classement. La supercherie n’a pas fonctionné et Macadam Cowboy a remporté l’oscar du meilleur film et Schlessinger celui de meilleur réalisateur.
Ce qui transparait derrière le côté glauque et underground c’est la misère morale et la détresse des deux protagonistes qu’on suit partagé entre empathie et parfois un peu de dégout. Voight et Hoffmann sont parfaits. Un film qui fait le lien vers le nouvel hollywood avec un sujet fort et bien traité. Un film comme on n’en fait plus et qu’on n’aurait du mal à refaire sans se prendre une avalanche de réaction de tout bord. Schlessinger réalisera aussi le « Day of the Locust » tiré aussi d’un scénario de Waldo Salt. Un film qui m’a fait le même choc que la fin de Soldat Bleu pour une scène d’une rare violence qui nous prend à l’improviste, le visage dément de Sutherland (bourreau puis « victime ») et son final apocalyptique. Schlessinger a surtout réalisé Marathon Man absolument culte et magistralement interprété par Scheider, Hoffman et Olivier.
Un genre de cinéma quasiment disparu avec un travail scénaristique qui puise au plus profond des névroses de l’humain. Loin des films à quotas et à message d’aujourd’hui. Et pourtant tellement plus efficace pour faire évoluer les mentalités. Macadam Cow Boy, à voir et revoir, pour ceux qui aiment les « vieux » films et le cinéma sans se focaliser sur les rides.