Le retour du roi de la déprime
Adam Elliot est du genre à se faire désirer. Après la claque de Mary et Max en 2009, les amateurs d’animation pour adulte et plus précisément de stop-motion dépressive en pâte à modeler (ils existent), ont dû se contenter d’Ernie Biscuit, son dernier court-métrage qui remonte déjà à 2015. En même temps, la réalisation d’un long-métrage d’animation en volume est toujours une entreprise terriblement chronophage et Mémoires d’un escargot ne fait pas exception.
Rien que la conception des personnages et des environnements dans lesquels ils évoluent a nécessité un an de travail, auquel il faut encore ajouter les 33 semaines de tournage (selon le dossier de presse). Dans une démarche 100% artisanale, chaque élément du décor et chaque accessoire ont ainsi été confectionnés à la main et il suffit d’un seul aperçu de la chambre surchargée de la protagoniste pour prendre conscience du travail titanesque qui a été abattu.
Surtout que Mémoires d’un escargot se veut moins statique que son aîné. C’est le cas de l’animation en elle-même, un peu plus minutieuse et détaillée, mais aussi du récit qui varie davantage les décors (urbains comme ruraux) en balandant ses personnages d’un bout à l’autre de l’Australie. Le film est donc un autre bijou d’orfèvre qui cultive l’exigence technique de la stop-motion, mais aussi la singularité du cinéaste.
Celui-ci s’est en effet trouvé une place à part, loin de l’excentricité gothique et fantastique d’Henry Selick ou de Tim Burton, de la méticulosité obsessionnelle de Wes Anderson, des palettes bigarrées de Claude Barras (Ma vie de courgette) ou de l’humour ultra-référencé des productions Aardman. Mais plus qu’une continuité esthétique (le filtre marronâtre pour preuve), le film est aussi une nouvelle étude des mécanismes de la dépression et de l’aliénation psychologique.

BOURDIEU POUR LES NULS
Mémoires d’un escargot s’intéresse une fois de plus à des marginaux et étale sans détour les raisons de leur(s) malheur(s), ne faisant jamais du sujet un sous-texte poreux. Un autre trouble bien précis du comportement succède ainsi à l’autisme asperger : la syllogomanie ou l’accumulation compulsive. De quoi déborder sur la solitude et ce qui la conditionne et la rend aussi tenace, en particulier la pauvreté dans laquelle vivent Grace, son frère jumeau Gilbert et leur père, handicapé et veuf.

Le fait que la narration se repose en grande partie sur des voix off (celle de Grace à l’aube de son renouveau ou de Gilbert dans ses lettres) est d’autant plus pertinent pour souligner l’absence de libre arbitre desdits personnages (symboliquement privés de leur voix), tout en justifiant le charabia ou le silence de ceux qui ne devraient pas avoir voix au chapitre (les discours dévots et rigoristes des Appleby, typiquement) .
Ce n’est donc pas à travers une métaphore que le film traite son sujet, mais une obsession, celle de Grace pour les escargots ou tout ce qui leur ressemble de près ou de loin. La suggestion est lourde de sens, que ce soit le sentiment d’inertie qu’inspire l’animal, sa fragilité, l’idée de repli sur soi qu’il véhicule, de coquille vide ou de cercle vicieux. Et tant qu’à parler de symbolique maline, on peut aussi préciser que Gilbert lit Sa Majesté des Mouches de William Golding, c’est-à-dire une histoire sur des enfants livrés à eux-mêmes qui reproduisent mécaniquement les schémas sociaux des adultes pour survivre.

TOUT EST FINI (ou presque)
Mémoires d’un escargot est donc autant une étude psychologique et comportementale qu’une étude sociale. Le film a d’ailleurs beaucoup à raconter, et même trop pour le faire correctement. Misère, alcoolisme, deuil, emprise psychologique, cleptomanie, travail forcé des enfants, homophobie, harcèlement scolaire, dérives sectaires et endoctrinement religieux sont autant de sujets que le film empile sans ménagement, quitte à faire perdre de vue l’essentiel.
Le scénario aurait probablement gagné à être plus épuré, plus resserré autour de Grace et Pinky, ou de Grace et Gilbert. D’autant que le film avait réussi à ne pas tomber dans un misérabilisme passif. En misant sur un humour noir et désespéré, Adam Elliot réalise un numéro d’équilibriste entre pathétique et grotesque.

Il ne sombre pas dans un total nihilisme (quand bien même rien ne vient un tant soit peu égayer l’image), mais ne se complaît pas non plus dans un pathos grandiloquent. Du moins jusqu’à la fin qui se veut optimiste et balaye le deuil chèrement payé de Grace. Sur la dernière ligne droite, le scénario reprend des motifs ampoulés propres à la fiction (voire au soap-opéra) dans un revers scénaristique assez déroutant.
Malgré tout, on conseillera plutôt de profiter des qualités que de scruter les maladresses étant donné qu’Adam Elliot va continuer à se faire rare. Mémoires d’un escargot est son deuxième long-métrage, mais surtout le septième opus de sa «Trilogie des trilogies», sa stratégie de carrière qui consiste à ne réaliser que neuf films, trois courts-métrages, trois moyens-métrages et trois longs-métrages.
S’il s’y tient, il ne lui resterait donc plus qu’un long et un moyen-métrage à faire pour boucler la boucle. Espérons juste qu’il ne faudra pas attendre 16 ans de plus pour découvrir le prochain.

Voilà un autre retour inattendu après Wallace & Gromit… décidément 2025, année de la patte à modeler ? (et c’est tant mieux !)
Ça a l’air vachement bien… mais je suis pas sûr d’être dans le bon mood pour regarder un film déprimant…