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Dahomey : critique qui réveille les statues 

Par Antoine Desrues
11 septembre 2024

Repartie avec le Grand prix de Cannes en 2019 avec son premier long-métrage Atlantique, Mati Diop s’est instantanément imposée comme un nouvel espoir du cinéma français. Le Festival de Berlin 2024 l’a prouvé, puisque la cinéaste franco-sénégalaise y a remporté l’Ours d’or pour son deuxième film : Dahomey. Cette fois, l’artiste s’est tournée du côté du documentaire, tout en teintant son approche d’un fantastique envoûtant, qui redonne vie à des œuvres africaines spoliées par la France. En salles le 11 septembre.  

Dahomey : critique qui réveille les statues © Canva Les Films du losange

Jeu de la statue

Novembre 2021. La France restitue, dans le cadre d’une action diplomatique, 26 œuvres d’art au Royaume du Dahomey, devenu depuis le Bénin. Ces trésors royaux ont été volés par l’armée française en pleine colonisation du territoire à la fin du XIXe siècle. Si le film de Mati Diop s’ouvre sur le démontage méticuleux des statues dans l’enceinte du musée du Quai Branly, elle débute son récit par quelques images d’Épinal nocturnes de Paris, entre des tours Eiffel miniatures vendues à la sauvette et des bateaux-mouches. En bref, un détournement de la culture, sa pâle copie ou sa vision lointaine, touristique et désincarnée.  

Or, Dahomey est tout entier dévoué à la notion de réincarnation. À la manière d’une magicienne, Mati Diop se rapproche le plus possible des œuvres restituées pour leur rendre une âme qu’elles semblaient avoir perdue derrière les vitres froides du musée, ses coulisses immaculées aux airs de cellules capitonnées et ses caméras de surveillance.  

Minutie des gestes

Sa caméra, d’une infinie délicatesse, s’attarde sur le ballet des gestes qui rangent soigneusement les œuvres, et en particulier le lot 26, une statue du roi Ghézo. L’hypnotisme de son montage ne s’arrête pas là. Soudainement, une voix ténébreuse émerge du film, et personnifie la sculpture en plein réveil. Cette voix d’outre-tombe (ou plutôt d’outre-monde), mélange de masculin et de féminin, existe dans les interstices que le long-métrage se permet d’avoir dans le noir complet.  

Ces élans poétiques et oniriques, récités en fon (l’une des langues majoritaires du Bénin), ne font pas que redonner une parole nécessaire à un art longtemps privé de ses origines. Ils existent dans un entre-deux, entre les images, entre les genres, entre les époques et entre les territoires. 

Regards, reflets, surimpressions

Du Quai Branly à Cotonou

C’est toute l’intelligence du montage de Mati Diop, qui nous enferme avec la statue dans la caisse qui annonce son voyage. En une transition rapide, le silence religieux de Paris laisse place à l’arrivée festive des statues à Cotonou. Par sa dimension fantastique, Dahomey renforce un contraste, une sorte de temps suspendu, où les œuvres ont continué d’exister sans pleinement s’épanouir, symbole d’une colonisation indifférente.  

Les 130 ans qui séparent l’aller et le retour des œuvres sont aussi pesants que la distance géographique entre ces deux terres d’accueil. De cette cassure, de cette césure, Mati Diop appelle à un nouveau dialogue, à la fois matérialisé par cette « voix des trésors » du lot 26 (le nom qui lui est donné au générique) et par la dernière partie de son film, débat passionnant entre des étudiants de l’Université d’Abomey-Calavi.  

Une dernière partie sous forme de débat passionnant

Tandis que les vitres entourant les œuvres reflètent les visages des visiteurs de nouveau en contact avec leur patrimoine, les jeunes présents s’interrogent sur le sens de cette restitution, promise par Emmanuel Macron lors de son discours de Ouagadougou. Que signifient 26 pièces, quand des milliers ont été volées au Bénin ? Comment reconstruire sa culture quand d’autres se la sont appropriée ?  

Dahomey conjugue l’énergie salvatrice de cette jeunesse concernée avec les cicatrices du passé. Mati Diop ne donne raison à aucun participant, mais jongle avec leurs interventions pour mieux mettre en perspective le vertige philosophique de son approche, qui s’accorde à la forme libérée de son documentaire. Cette croisée des genres, impossible à cataloguer, entreprend ce pas de côté essentiel par rapport à son sujet. Dans cette apesanteur aux allures fantomatiques, Dahomey erre et capte au passage la parole de ceux qui avaient longtemps été oubliés ou méprisés par l’Histoire. 

Rédacteurs :
Résumé

Alors que la restitution des œuvres spoliées ouvre la porte d’une réflexion sur les conséquences de la colonisation, Mati Diop ouvre aussi la porte d’un imaginaire foisonnant, pour un film qui s’affranchit de toute barrière.  

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Captain Jim

Je suis bien content qu’on puisse écrire sur ce genre de films sur Écran Large 🙏. Et je suis largement d’accord avec toi Antoine. J’ai même trouvé ce plan sur les tours eiffels au début fascinant à posteriori, dans tout ce que le film met en scène à propos des objets et de la vie qu’on leur insuffle.