La Caméra d'or de Cannes 2013 est un bon film, mais un film comme on en voit cent autres par an. Un film qu'on risque d'oublier sitôt vu. Néanmoins, il ne manque pas d'intérêts et on se prend facilement au jeu de cette histoire simple et juste située en 1997 d'une famille singapourienne de classe moyenne, en condition de crise, dont le fils est une vraie teigne et qui embauche une domestique/nourrice. Ce sera d'ailleurs elle la ligne directrice : on ne suit pas son parcours mais celui de l'entité familiale et de ses individualités, pas à pas, pourtant le film commence avec son arrivée et il se clôt sur son départ.
La grande question est : pourquoi à mille lieues d'écart, on se sent à l'aise avec cette histoire de famille ? Si loin, si proche. C'est ce qui participe, en soi, à la réussite et au problème du film. Ces individus pourraient être nous : ils ne sont pas tellement différents, ce qui rend l'identification bien plus aisée. On assiste à l'histoire de gens qui ont des problèmes au travail, à l'école, qui sortent parfois, qui se blessent, qui se hurlent dessus, qui fument et qui boivent. On est face à un couple en situation de crise : chômage, problèmes d'argent, femme enceinte, à un enfant dont l'existence est suspendue et à une tierce personne qui arrive comme elle repart.
Bien sûr les différences existent entre eux et nous : la ville et ses lumières, les langues et ses accents, l'école et ses punitions corporelles, la qualité de vie, les anniversaires ou enterrement où les cultures tentent de cohabiter. Puis la domestique/nourrice : figure importante là-bas, quasi absente de chez nous. Mais son irrégularité et la précarité de son emploi renvoient l'image des populations immigrées et le multiculturalisme qu'on voit poindre à différentes reprises est également partie prenante du paysage quotidien. D'où l'impression de pouvoir s'y fondre.
Mais c'est là que se niche le défaut du film : le réalisateur nous propose une famille comme une autre. Le couple est ordinaire, ni méchant ni gentil, parfois juste parfois non. Seul le garçon est turbulent, mais sa nourrice l'apaise et il n'est plus qu'un gamin comme les autres. Ils ne vivent ni dans l'opulence ni dans la misère. Ils sont quelconques. Et si leur histoire est un peu la nôtre, une fois l'écran éteint, on l'oublie pour revenir à nos existences : ils auront juste été nos "voisins" le temps d'un film.
On appréciera néanmoins la grande maîtrise stylistique du réalisateur. Pour un premier film, il est plus que prometteur. La scène du suicide d'un inconnu, tout en sobriété, est admirable : le travail du cadre, du son, des lumières amènent quelques plans, entre brutalité incompréhensible et douceur mortifère, que peu de cinéastes savent utiliser. D'ailleurs, on assiste à aucun scandale, drame ou moments terrifiants : tout est souvent suggéré, filmé de loin, caméra à l'épaule mais dont on ressent à peine les soubresauts. Juste des impressions flottantes que ne viennent perturber que certains moments légèrement plus sombres et durs mais qui ne tombent jamais dans un pathos larmoyant.
Et rien que pour ça, même s'il ne ressort d'Ilo ilo rien d'autre que le temps qui passe, un moment de vie aussi personnel que délicat, le film est une réussite.