Critique : Mort d'un cycliste

Sandy Gillet | 11 novembre 2013
Sandy Gillet | 11 novembre 2013

Le nom de Juan Antonio Bardem ne vous dit rien. Ou alors si car il vous fait penser à Javier Bardem. Bingo c'est la même famille puisque l'acteur bien connu est le neveu du cinéaste quasi inconnu donc. Sous Franco, le cinéma espagnol fait penser à une momie. Mais de temps à autre ont émergé des voix qui ont su contourner la censure le temps d'un film... ou deux. Mort d'un cycliste est l'un de ceux-là. Influencé par le néoréalisme italien et le film noir étasunien, il est surtout l'état des lieux d'une société espagnole gangrenée par ses élites, à commencer par cette bourgeoisie forcément de droite. Celle qui en voiture écrase au détour d'une route déserte enveloppée par un paysage lunaire, dont on apprendra plus tard qu'il fut l'un des théâtres les plus sanglants de la guerre civile, un cycliste symbole du prolétariat muselé. Un épisode tragique qui donnera le la à toutes les traitrises, vicissitudes et lâchetés d'une classe sociale littéralement accusée ici de tous les maux.

Si la charge semble aujourd'hui quelque peu épaisse, elle n'en demeure pas moins le précieux écho d'une époque tant sur le plan historique qu'artistique qui vaudra d'ailleurs à Juan Antonio Bardem d'être considéré depuis, et à juste titre, comme l'architecte du cinéma espagnol moderne. C'est qu'au-delà des classes sociales qu'il oppose, Bardem nous parle aussi de deux générations qui cohabitent encore. Celle qui a fait la Guerre Civile et qui s'est soumise (ex-Républicains mais aussi pro-Franquistes) et la jeunesse qui se rebelle déjà. En tant que sympathisant communiste, Bardem y livre sa vision d'une société débarrassée de tous ceux qui ont baissé les bras et dont le salut ne peut venir que par le réveil intellectuel des masses. Position qui lui vaudra d'ailleurs plus tard la prison. Dans Mort d'un cycliste cette jeunesse est représentée par cette étudiante qui considère avoir été injustement notée lors de son examen final occasionnant donc la révolte de ses camarades vis-à-vis de ce professeur de géométrie (l'un des deux auteurs de la mort du cycliste) en place uniquement grâce à ses connections familiales.

La critique internationale, lors du Festival de Cannes 1955, a dû être sensible à tout cela en lui attribuant le Prix FIPRESCI. Elle qui fut certainement aussi perméable au magnifique N&B qui force encore plus le trait ou à l'étonnante mise en scène qui joue admirablement des codes du mélodrame pour les plier à une grammaire binaire d'un montage efficace (les champs/contre-champs impliquant à chaque fois deux lieux bien distincts, la longueur des plans permettant de mettre en valeur des cadrages sur-signifiants...). On trouvera même, quant à nous, que la fin imposée par la censure n'altère pas trop le propos qui lorgnait alors du côté de la rédemption.

Film iconoclaste ou contrebandier (selon la définition chère à Scorsese), Mort d'un cycliste est sans conteste une date au sein d'un cinéma espagnol de cette époque (des années 50 jusqu'à la fin des années 70) qui n'en comporte malheureusement que très peu. Raison déjà bien suffisante pour le (re)découvrir.

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