Critique : The Fall

François Provost | 29 août 2008
François Provost | 29 août 2008

4 ans de tournage disséminés dans 28 pays, un budget encore inconnu à ce jour et, d'après la petite histoire, le chagrin d'amour d'un ami qui l'aura convaincu de prendre la route avec son équipe : c'est ce qu'il aura fallu à Tarsem Singh, réalisateur-clippeur de The Cell, pour achever son projet inspiré d’un film bulgare des années 80. Œuvre, même, parce qu'à un tel niveau d'ostracisme, de ténacité, d'autonomie et de confidentialité, il en faut difficilement plus pour mériter cette appellation.


Présenté pour la première fois en 2006 au Festival de Toronto, il aura fallu un moment pour que le film gagne en notoriété sur la toile et commence petit à petit à faire son chemin dans les salles obscures jusqu'au spectateur (même si la France est encore bonne dernière).

 

Après une introduction plastiquement sidérante qui met en confiance, Tarsem Singh scinde son récit en deux parties distinctes : on y voit évoqué en premier lieu la vie calme d'un hôpital colonial des années 20, où un cascadeur en convalescence rencontre une petit fille, avant que l'on suive soudainement la traque bornée du Gouverneur Odious par une bande de pieds nickelés.

 

Sans vampiriser l’intrigue première, assistant à la rencontre de deux êtres vulnérables, Tarsem Singh développe rapidement en parallèle une sorte de Ligue des Gentlemen Extraordinaires qui aurait été plus respectueuse de l'œuvre de Alan Moore, comprenant parmi ses rangs un bandit de grand chemin, un esclave africain, un guerrier indien, un expert en explosifs... et Charles Darwin. De quoi interpeller et nous faire rapidement basculer avec eux.

 

Malgré l’apparente disparité entre les deux sujets, c’est tout naturellement que les deux niveaux de l’intrigue vont se mêler, alors que le narrateur inventif, racontant son histoire en temps réel, se voit parfois forcé de revenir sur certains de ses choix scénaristiques par une auditrice très attentive.

 

Car s'il règne dans ce monde fantasmé une grande théâtralité dans la mise en scène héritée de son narrateur, les échanges entre Lee Pace et Catinca Untaru (débutante extraordinaire), par ailleurs largement improvisées, apportent une fraîcheur et une émotion surprenante à l’histoire. Rapidement, le scénario instaure un rapport touchant entre deux êtres meurtris différemment, et dont la complicité est pour beaucoup dans la réussite émotionnelle du film, contrebalançant élégamment avec la plongée enivrante dans le royaume fictif dépeint. Lequel en appelle autant à l’expressionnisme qu’à la débauche exubérante de Salvador Dali.

 

A la crainte, légitime, de n'avoir que de jolies images sans âmes, on rappellera que les séquences bluffantes illustrant l'histoire racontée ne marchent qu'en concordance avec le dialogue qu'entretiennent les deux personnages principaux, étirant l'épopée jusqu'à une conclusion trouvant de singulières concordances dans le monde réel.


D'une beauté éblouissante, The Fall ne cède en plus pas à la facilité du recours systématique à l'effet spécial. D'après son réalisateur, le film a été réalisé entièrement en prises réelles, dans des lieux authentiques qu’on arrivera parfois à identifier. Une performance ahurissante en regard du temps consacré au tournage du film, des dépenses entrant en ligne de compte et, surtout, de la beauté plastique des lieux représentés. Car de l'éblouissante séquence d'introduction en noir et blanc au final dans un palais d'aspiration assyrienne, chaque plan de l'histoire n'est pas loin d'être un tableau en lui-même, tant la beauté qui s'en dégage ne peut trouver d'égal que dans les peintures éternelles d'artistes du passé.


En somme, le retour inattendu de Tarsem Singh est le joli prétexte à une immersion absolument réjouissante dans un monde fantasmé, parfois aussi cruel et inattendu dans ses détours qu’un conte de fées peut l'être. Donnant aussi plus à réfléchir qu'à première vue, grâce à ses niveaux de lecture où s'entrechoquent les deux histoires, The Fall achève de nous brusquer, la larme à l'œil et le cœur plein d'espoir en rejoignant malicieusement l'histoire du cinéma dans son épilogue. Au final, la beauté ultime du film tient surtout en la ténacité de son instigateur, preuve encore que des projets alternatifs peuvent encore exister en dehors des circuits balisés...

Résumé

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