Cannes 2018 : critique à chaud de Les Filles du Soleil d'Eva Husson

Chris Huby | 13 mai 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Chris Huby | 13 mai 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Entre posture esthétique appuyée, sujet faussement brûlant et discours ambigu, Bang Gang, premier film d'Eva Husson, n'avait pas échappé à quelques coups de boule critique. Elle est de retour avec Les Filles du Soleil, propulsée en compétition officielle à Cannes.

 

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Les combattantes Kurdes ont longtemps attiré l'attention des médias occidentaux désireux de couvrir la lutte contre l’Etat Islamique tout en fournissant au grand public européen un angle jugé accrocheur. Mais Eva Husson, si elle fait mine de s'intéresser à leur condition, préfère projeter ses fantasmes sur une unité féminine, chose déjà rarissime dans les rangs kurdes, qui dissémine des combattantes ici et là, dans un rôle qui rappelle plus celui des porte-tambours des guerres napoléoniennes que des Amazones 2.0.

Le métrage reprend dans les grandes lignes le documentaire de Xavier Muntz Encerclés par l'Etat Islamique. Le réalisateur se retrouve ici cantonné à un caméo et au rôle de conseiller technique. Muntz avait effectivement passé plusieurs semaines dans le Sinjar avec les combattants kurdes et en a ramené un coup de poing diffusé il y a quelques années sur Arte.

 

photo les filles du soleil

 

C’est ce que vit ainsi l’héroïne du film d’Eva Husson, une journaliste qui se lance dans un reportage sur les combattantes kurdes au milieu du Sinjar. Ce qui gêne d’emblée, c’est l’hommage grossier, pour ne pas dire irrespectueux, à la journaliste Marie Colvin. Le personnage joué par Emmanuelle Bercot lui ressemble effectivement et aurait perdu un œil à Homs, en Syrie, là où précisément Marie Colvin a été tuée. On se dit qu’il s’agît d’une maladresse, mais ça n’est que le début du film.

S’en suivent une horde de clichés on ne peut plus éculés sur le reportage de guerre et sur un personnage de journaliste au bout du rouleau : son compagnon a été tué, elle pleure en pensant à sa petite fille, elle se bat pour une certaine forme de justice, etc. Si seulement les dialogues et les situations pouvaient faire passer la pilule, mais non, Bercot articule malheureusement ses phrases comme à un cours d’orthophonie, ce qui fait poser la question immédiatement au spectateur : si c’est si difficile que ça, que fait-elle encore là ?

 

photo les filles du soleil

 

MARQUES DE BRONZAGE

Après une introduction à la Apocalypse Now du pauvre, la réalisatrice choisit de dérouler l’histoire via des flashbacks du point de vue de la kurde qui a perdu toute sa famille. La pourtant géniale comédienne Golshifteh Farahani fait ce qu’elle peut pour animer des séquences qui sont d’une pauvreté scénaristique et émotionnelle telle qu’on se demande ce que le film fait dans une sélection cannoise. Alors que les combattants de Daesh approchent de la base retranchée, la kurde se remémore face caméra son mari et son enfant, avec un air de Droppy sous Prozac. Oui, c’est à ce genre de film que l’on a à faire. Inutile d’épiloguer sur l’amateurisme régulier et sur les choix plus que douteux de la réalisatrice qui n’a visiblement aucune idée de ce que c’est qu’un conflit et des psychologies qui en subissent les conséquences.

 

photo les filles du soleil

 

Mais au-delà des immenses défauts du film, il faut poser la question à Eva Husson qui tente de tirer d’une pareille situation un film qui se dit féministe. Sait-elle seulement que la nation kurde, au-delà d’essayer d’émanciper les femmes, tente avant tout de les mettre à égalité avec les hommes ? A-t-elle compris le principe du « camarade » qui mélange allégrement les genres et justement pour ne pas pousser à la distinction ? C’est ce qui est le plus risible dans cette histoire. Car, si l’on passe sur le fait que les femmes kurdes ont souvent servi d’outils de propagande à leur combat, la réalisatrice semble oublier que l’égalité et le respect entre les genres reste l’une des valeurs les plus importantes aux yeux des kurdes. Autrement dit, projeter de faire un film féministe sur le sujet est non seulement absurde, mais montre une ignorance totale, pour ne pas dire un dédain très occidental.

La vérité martelée par la journaliste à la fin du film reste donc encore à trouver. Le choix par exemple de ne pas citer l’Etat Islamique, sans doute par « respect », en noircissant encore plus le drapeau, ne fait que desservir le propos. Si l’on parle de vérité, on parle aussi de faits, de travail de fond et non d’un fantasme de petite fille sur un sujet aussi grave et passionnant.

 

Un désastre caricatural et grossier qui se veut féministe, mais qui n’est au final qu’un délire de la Rive Gauche.

 

1/5

Critique co-écrite par Chris Huby & Simon Riaux.

 

photo les filles du soleil

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commentaires
Sanguinius
14/05/2018 à 22:43

Je n'ai aucun problème avec votre critique, simplement je n'arrive pas à comprendre une chose, vous dîtes: "la nation kurde, au-delà d’essayer d’émanciper les femmes, tente avant tout de les mettre à égalité avec les hommes" et je n'arrive pas trop à voir où vous voulez en venir dans ce passage et dans ce qui suit. Mettre les femmes à égalité avec les hommes j'appelle ça et de l'émancipation et du féminisme. Or vous opérée une séparation entre ces fois choses, qui pour moi sont tous très très liés
Voilà rien à dire sinon que là-dessus je ne saisis pas très bien votre propos.

drocmerej
14/05/2018 à 00:15

Ok bah du coup merci pour la version longue !

Christophe Foltzer - Rédaction
13/05/2018 à 15:06

@Drocmerej :
On trouvait que "bobo-intello-punk-à-caniche-ambiance-caviar-rebelle", c'était un peu trop long, alors on a résumé en "Rive Gauche"...

drocmerej
13/05/2018 à 14:45

Merci pour votre critique.

1) Je ne comprends pas bien votre expression "délire de la Rive Gauche". Pouvez-vous m'éclairer ? Vous dénoncez un film caricatural mais j'ai l'impression que l'emploi de cette expression l'est aussi.

2) Comment un film pour lequel la critique est unanimement négative peut avoir les honneurs de la sélection ? On s'est déjà posé la question pour "the last face". Le sujet seul du film ne devrait pas suffire. Je trouve que ça discrédite sérieusement la sélection.

Zach
13/05/2018 à 12:17

ça sentait le gros nanar rien qu'avec la photo de l'insupportable Emmanuelle Bercot et son cache-oeil