Elephant Man, une histoire vraie : le film de monstre le plus dérangeant (et le plus beau)

Judith Beauvallet | 23 décembre 2023
Judith Beauvallet | 23 décembre 2023

Si David Lynch est aujourd’hui connu pour son style cryptique si particulier, l’un de ses premiers films surprenait davantage par son sujet monstrueux : celui de l’histoire vraie (et triste) de Joseph Merrick, plus connu sous le nom d’Elephant Man, et incarné ici par John Hurt.

La Belle et la Bête et Frankenstein nous ont déjà raconté cette histoire selon laquelle le monstre n’est pas toujours celui qu’on croit : l’homme cruel sous les apparences est bien plus monstrueux que la créature difforme en surface. Mais dans le cas de Joseph (John) Merrick, cette morale ne fut pas qu’une fable. 

Né en 1862, ce jeune homme au corps terriblement transformé par la maladie fut la cible des pires cruautés humaines tout au long de sa courte existence, son lien avec le médecin Frederick Treves (Anthony Hopkins) mis à part. À travers son deuxième long-métrage, David Lynch raconte la vie de cet être tragique, en offrant du haut de son génie l’une des plus belles histoires de “monstre qui n’était pas un monstre” du cinéma.

Sorti en 1980, ce film étonnamment classique pour du Lynch (dont le style est davantage défini par des oeuvres énigmatiques comme Mullholand Drive ou Lost Highway) n’en porte pas moins la patte déjà experte de son réalisateur, notamment dans sa façon de mettre en scène la monstruosité. Retour sur ce chef-d'œuvre et sur la manière dont il a fait de l’homme monstrueux un monstre de cinéma.

 

Elephant Man : photo, John HurtLe maquillage de John Hurt, conçu par Christopher Tucker, nécessitait une dizaine d'heures de pose

 

Monstres classiques et monstre moderne

Si Elephant Man est peut-être le film de Lynch le moins lynchien, c’est peut-être parce qu’il s’agit d’un des rares scénarios dont il n’est pas le principal (ou le seul) auteur. En effet, à l’époque où le jeune réalisateur n’a signé que l’expérimental, le fascinant et l’angoissant Eraserhead, c’est le producteur Jonathan Sanger qui l'approche pour lui proposer le scénario de Christopher De Vore et Eric Bergren. Évidemment, c’est le coup de foudre pour le réalisateur qui voit en l’histoire de John Merrick le support idéal à toutes ses obsessions de conteur.

Tout comme Eraserhead, Elephant Man est en noir et blanc, et ce choix élémentaire définit à lui seul toute la note d’intention du film vis-à-vis de la représentation du monstrueux. Dans le making-of, c’est Jonathan Sanger qui explique ce choix : au-delà d’une facilité à rendre le maquillage et les décors crédibles, le noir et blanc permet d’atténuer un potentiel voyeurisme, en changeant ce qui aurait pu être dégoûtant en quelque chose de plus fascinant. Sans la couleur réaliste de la chair meurtrie de John, il est plus facile de voir l’homme derrière les excroissances. Le “monstre” qu’il est devient davantage silhouette mystérieuse qu’amas de peau et d’os.

 

Elephant Man : photoLe cache porté par John aida l'équipe à faire de temps en temps l'impasse sur le très lourd maquillage

 

Mais l’héritage du noir et blanc, vis-à-vis d’un tel sujet, apporte également une autre dimension. En effet, en voyant les premières apparitions de John à l’écran et les visages effrayés qui y réagissent, difficile de ne pas penser aux traditionnels Universal Monsters, ces goules outrancières ayant peuplé les écrans dans les années 30 sous l’égide du studio Universal Pictures. Par le biais du noir et blanc et de la mise en scène (notamment lors de la séquence où Frederick Treves expose John à ses étudiants et que son ombre difforme est projetée sur un drap comme sur un écran de cinéma), la filiation est évidente.

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commentaires
Morcar
27/12/2023 à 16:46

Pour avoir en ma possession l'édition BluRay de ce film, je peux vous dire qu'elle est vraiment très bonne ! Je ne l'avais plus revu depuis pas mal d'années quand je me le suis acheté, et ça a été une redécouverte magistrale.

Foutu pour foutu
24/12/2023 à 12:55

John Hurt et Hopkins impériaux. des seconds rôles tout aussi excellents. Ambiance victorienne excellemment adaptée. Le moins lynchien de lynch??? Pas aussi sûre. Peut être moins expérimentale voire pas du tout expérimentale à l'instar de "Une histoire vraie", mais de là à dire moins Lynchien …

En tout cas le Adagio For String de Samuel barber et la scène finale j'en chiale encore. Et c'est vrai " rien ne meurt jamais". MASTERPIECE FOREVER

C.
23/12/2023 à 22:14

J’en flippe encore je l’ai vu enfant.

TOCAP
23/12/2023 à 20:21

Les larmes de la femme de Treves

BATMALIEN
23/12/2023 à 16:23

"Le film de monstre le plus dérangeant (et le plus beau)" : perso je mettrais "Freaks" devant dans cette catégorie mais celui-ci est juste derrière ; il serait premier si le film avait été tourné avec Joseph Merrick lui-même !

@Jojo : mais grave, ultra-triste "Le tombeau des lucioles", et sinon "Requiem for a dream" m'avait achevé aussi.

Kyle Reese
23/12/2023 à 15:17

Vu qu'une seule fois et pas revu depuis malgré le fait que oui c'est bien un p*tain de chef-d’œuvre, mais beaucoup trop d'émotion pour moi et cette fin avec l" Adagio pour cordes de Samuel Barber (le même que pour Platoon) qui fout la déprime totale. Un film dans la mouvance classique hollywoodienne, une anomalie dans la filmo riche du maestro David Lynch, un film très beau et très triste. Bref, peut être qu'un jour je le reverrais ... ^^

C.Kalanda
23/12/2023 à 14:30

Si John Hurt passait 10h en salle de maquillage, il ne devait pas leur rester grand chose en temps de tournage…

Saul
23/12/2023 à 14:14

@Satan LaBitt : Pour Brooks, je peux te confirmer que c'est même dit dans la très intéressante "autobiographie" de Lynch (L'espace du rêve) ;-)

Eddie Felson
23/12/2023 à 13:26

@Jojo
Ah le tombeau des lucioles!!! Un autre chef d’œuvre et sans aucun doute l’œuvre la plus triste qu’il m’est été donné de voir! Déchirant!

Jojo
23/12/2023 à 13:09

Un chef-d'œuvre et l'un des films le plus triste que j'ai vu de ma vie avec le tombeau des lucioles !

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