Le Petit Grille-pain courageux : le film jeté par Disney qui annonçait Toy Story
Avant Pixar, il y a eu Le Petit Grille-pain courageux, un film d'animation jeté par Disney et oublié qui aurait pu être aussi novateur et ambitieux que Toy Story.
Le Petit Grille-pain courageux, c'est l'histoire d'un grille-pain, d'une lampe de bureau, d'une couverture chauffante, d'un radio-réveil et d'un aspirateur qui quittent leur chalet mis en vente pour retrouver leur "maître", un enfant qui avait l'habitude de jouer avec eux durant ses vacances, mais qu'ils n'ont plus revu depuis des années. Ce film de 1987 n'est donc pas sans rappeler Toy Story et ce n'est pas du tout fortuit puisqu'il a en quelque sorte servi de travail préparatoire pour le premier chef-d'oeuvre de Pixar.
DISNEY ou LE MÉCHANT DE L'HISTOIRE
Disney a racheté les droits de la nouvelle Le Vaillant Petit Grille-pain de l'auteur Thomas M. Disch en 1982, ce qui a beaucoup inspiré un certain John Lasseter, alors animateur pour la compagnie depuis 1979. Après avoir travaillé sur le film TRON et un extrait expérimental de Max et les Maximonstres mêlant l'animation 2D et 3D, il était persuadé que le numérique était l'avenir du cinéma d'animation en plus d'être une révolution artistique.
Lui et Thomas L. Wilhite, l'ancien directeur de production de Disney, ont donc pitché à l'ancien PDG Ron Miller un long-métrage majoritairement fait par ordinateur, ce qui n'avait encore jamais été fait à l'époque. Sauf qu'à ce moment-là, la firme était sclérosée depuis la mort de Walter Disney en 1966 et l'innovation n'était pas tellement à l'ordre du jour.
Les Neuf Sages - autrefois désignés par le fondateur pour former le noyau dur du studio - étaient pour la plupart inactifs et une querelle interne a éclaté entre l’ancienne garde du studio et la nouvelle génération d'artistes et d'animateurs pour remplacer ces vieux gardiens du temps. De fils en aiguilles, ces tensions en coulisses ont d'ailleurs failli ruiner Disney avec la production chaotique, chronophage et onéreuse de Taram et le chaudron magique.
Étant donné qu'un film d'animation en 3D n'aurait représenté ni un gain de temps, ni un gain d'argent, Ron Miller a donc balayé le projet quelque temps seulement avant que le trop ambitieux et visionnaire John Lasseter soit licencié par la compagnie aux grandes oreilles. Il est également possible que Disney ait vu rouge étant donné la potentielle menace que la 3D pouvait représenter pour l'animation traditionnelle qui avait été imposée par Walt Disney avec Blanche-Neige et les Sept Nains dans les années 30.
Désireux d'expérimenter de nouvelles formes d'animation, John Lasseter a donc rejoint Ed Catmull, le créateur et PDG de Lucasfilm Computer Graphics Group, une division d'Industrial Light & Magic amenée à devenir le prestigieux studio Pixar. C'est là-bas que John Lasseter se fera un nom et une solide réputation, même s'il a d'abord dû être dépossédé de son projet.
DANS L'OMBRE DE MICKEY
Parti de Disney la même année que John Lasseter, Thomas L. Wilhite a cofondé dès 1984 la société de production indépendante Hyperion Pictures qui a récupéré le projet d'adaptation du Vaillant Petit Grille-pain. Même si Disney a versé des fonds, le studio n'a pas directement participé à l'élaboration du projet, bien que plusieurs noms de l'entreprise s'y soient retrouvés attachés. La réalisation a ainsi été confiée à Jerry Rees qui avait précédemment travaillé sur les story-boards de TRON et avait animé des personnages de Rox et Rouky.
Plusieurs autres animateurs issus de la California Institute of the Arts (surnommée CalArts), l'école fondée par Walt Disney en 1961, et vétérans du studio se sont également retrouvés à travailler sur Le Petit Grille-pain courageux comme Kendall O'Connor qui a été directeur artistique pour Blanche-Neige et les Sept Nains, Pinocchio, Fantasia et Dumbo.
Le Petit Grille-pain s'envole ailleurs
Mais le nom qui rapproche un peu plus le film de Toy Story est celui de Joe Ranft, son scénariste qui a également conçu une partie des story-boards. Avant de reprendre le projet torpillé par Disney, il avait notamment travaillé sur les story-boards de Basil, détective privé et a ensuite participé à l'écriture d'Oliver & Compagnie, La Belle et la Bête et Le Roi Lion avant de coécrire le premier Toy Story et de devenir un des moteurs du studio naissant.
Forcément, Le Petit Grille-pain courageux ne brille pas par ses qualités techniques (quoique très respectables à côté des futures suites en DTV de Disney). Le budget a été drastiquement revu à la baisse lors de son passage chez Hyperion, passant d'environ 20 millions de dollars hors inflation (soit presque autant que pour Retour vers le futur) à moins de 6 millions (à peine plus que le budget ridicule d'Aladdin 2). Si l'animation est de moins bonne facture, le film se démarque néanmoins par son ton plus dramatique, halluciné et pessimiste que la plupart les productions destinés aux enfants.
Presque de la cruauté envers les personnages
Certains éléments narratifs se sont aussi plus ou moins retrouvés dans les trois premiers Toy Story : l'obsolescence des objets mis en concurrence avec des technologies plus avancées comme la compétition entre Woody et Buzz dans le premier volet ; la crainte de l'abandon comme dans Toy Story 3 ; le passage chez un revendeur de pièces détachés qui rappellent les personnages de Sid et Al ; la scène éprouvante à la casse qui préfigure celle de la décharge dans Toy Story 3 ou encore la réparation du grille-pain qui peut faire penser à la restauration de Woody dans Toy Story 2.
On dira pas que Le Petit Grille-pain courageux est un vulgaire brouillon, mais il est clair que la grande saga de Pixar serait sûrement très différente si le film de 1987 n'était pas d'abord passé par là.
OBJETS D'OCCASION
Pour la sortie du film, tout ne s'est pas non plus passé comme prévu. Le long-métrage a été présenté en première dans différents festivals, dont la Los Angeles International Animation Celebration de 1987 et le Sundance Film Festival en 1988. Le but était aussi d'assurer une sortie en salles, le distributeur de films d'art et d'essai Skouras Pictures voulant prendre en charge les droits de distribution. Mais comme Disney avait investi pour obtenir les droits vidéo et télé, la date de la diffusion sur Disney Channel a été avancée à février 1988, obligeant la concurrence à rompre son contrat et au film de se contenter d'une sortie sur grand écran limitée à quelques salles américaines.
En juillet 1991, Walt Disney Home Video a finalement sorti le film en format vidéo. C'est à ce moment qu'il a connu un petit succès et un regain de popularité, mais largement inférieur au reste du catalogue Disney. Pour surfer sur la vague des productions animées en DTV (lancée par Disney et Universal en 1994 avec Le Retour de Jafar et Le Petit Dinosaure 2), deux suites ont également été réalisées pour le marché vidéo : Le Petit Grille-pain courageux : À la rescousse en 1997 et Le Petit Grille-pain courageux : Objectif Mars l'année suivante, les deux ayant abandonné toute ambition narrative et artistique.
Bon là, la ressemblance avec les personnages de Disney est abusée
Entre temps, Pixar avait déjà pris son nom actuel après le rachat de la société par Steve Jobs. John Lasseter avait de son côté animé le court-métrage précurseur Les Aventures d'André et Wally B. et réalisé Luxo Jr. En 1995, Toy Story avait quant à lui révolutionné le cinéma d'animation en étant le premier long-métrage entièrement conçu en 3D (ce pour quoi John Lasseter a d'ailleurs remporté un prix spécial aux Oscars). Le film a été un succès et trois suites et un spin-off ont vu le jour avec deux volets à plus d'un milliard de dollars au box-office mondial.
De son côté, Le Petit Grille-pain courageux n'est même pas disponible sur la plateforme Disney+, condamné à rester dans l'oubli malgré son importance symbolique dans l'émergence de Pixar.
01/08/2022 à 17:55
Très bon dossier, merci EL.
Dés que je suis sorti de la salle après avoir vu Toy Story 3, j'ai commencé à fouiner...
Personne dans mon entourage se souvenait du petit grille pain courageux...
J'ai vu le nom de Joe Ranft au générique du grille pain courageux...celui à qui est dédié le film Cars de 2006 (in living memory Joe ranft)
La.boucle était bouclée...j'ai su que la genèse de pixar c'était ce magnifique film d'animation...
31/07/2022 à 22:25
Merci pour m'avoir rappelé l'existence de ce film. Je me souviens l'avoir regardé un nombre incalculable de fois quand j'avais à peu près 8-10 ans (fin années 2000). Il était complètement sorti de ma mémoire