Vampire humaniste cherche suicidaire consentant : critique mordante

Antoine Desrues | 18 mars 2024 - MAJ : 06/04/2024 17:10
Antoine Desrues | 18 mars 2024 - MAJ : 06/04/2024 17:10

Reparti avec deux prix lors du PIFFF 2023 (dont l’Œil d’or), Vampire humaniste cherche suicidaire consentant ne cesse de faire forte impression lors de ses passages en festival. Il faut dire que le premier long-métrage d’Ariane Louis-Seize (remarquée pour des courts tout aussi inspirés) charme par la seule qualité de son concept, explicité dans ce qui s’annonce comme l’un des meilleurs titres de l’année. Mais derrière son humour pince-sans-rire, le film n’en oublie jamais d’être un portrait touchant sur l’adolescence et ses troubles, magnifiquement incarnés par Sara Montpetit et Félix-Antoine Bénard. Critique d’un coup de cœur, en salles le 20 mars 2024.

Vous avez dit vampire ?

Il suffit de quelques minutes au film d'Ariane Louis-Seize pour nous mettre dans sa poche. Lors d'une soirée d’anniversaire, la jeune Sasha se prend d'affection pour un clown… avant qu'il ne soit assassiné par sa famille de vampires. Traumatisée par l’événement, l'enfant ne fait pas que fuir un rite de passage. Sa compassion prend le pas sur sa soif de sang, au point où ses dents pointues refusent de sortir.

Le concept est tellement génial qu'on en jalouse l’inventivité. Dans un jonglage des genres et des styles parfaitement équilibrés, le fantastique se mêle à la comédie et au récit d’apprentissage. Au travers de cette pure dynamique de coming of age story, Sasha se voit couper les vivres par ses parents en pleine adolescence (c’est-à-dire 68 ans pour une vie vampire). La voilà contrainte de chasser, après avoir trop longtemps profité du confort de sa maison, à siroter des poches de sang comme autant de briques de jus d’orange (trouvaille visuelle brillante parmi tant d’autres).

 

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant : photoMeilleure intro de l'année

 

Dans un premier temps, cette déconstruction du mythe suffit à emporter l’adhésion. Avec son numérique granuleux et envoûtant, dont les teintes diffuses accentuent le contraste des couleurs, la photographie convoque l’expressionnisme allemand, alors que le surnaturel vient frapper un quotidien des plus banals. Le père est aimant mais un peu à la ramasse, et la mère est au bout du rouleau. À partir de là, chaque dialogue s’amuse de parallèles hilarants, en détournant la toute-puissance inquiétante du vampire en symptômes des troubles adolescents (à commencer par la sexualité, mais aussi un rapport au morbide très contemporain).

La métaphore porte à merveille cette note d’intention. Difficile de ne pas projeter dans certaines phrases toutes faites de la famille de Sasha les maximes hétéronormées de nos sociétés rejetant toute forme de différence. Vampire humaniste cherche suicidaire consentant réinvestit une figure d’altérité et de pulsions par l’acceptation d’une individualité, l’appel d’une fluidité du genre et du sexe en accord avec des fluides corporels qui ne demandent qu’à être échangés.

 

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant : photoUne famille vampirisante

 

Sang plomb à la pompe

Le décalage est amusant, mais n’aurait jamais pu se suffire à lui-même sur un long-métrage. Or, Ariane Louis-Seize et sa co-scénariste Christine Doyon ne cessent de renouveler les enjeux de leur récit, ne serait-ce qu’avec l’introduction de Paul, un adolescent aux comportements dépressifs chroniques qui accepte de “s’offrir” à Sasha. Le second degré du film ne le prive jamais de traiter sérieusement sa mythologie, et surtout le parcours émotionnel de ce couple de personnages improbables.

Il est d’ailleurs primordial de souligner le génie de ses deux acteurs principaux. Si Félix-Antoine Bénard donne à Paul une fragilité et un sentiment de gêne qui transparaît de chaque pore de sa peau, Sara Montpetit porte toute la bizarrerie stoïque du film sur ses épaules. Avec son regard pénétrant et la subtilité de ses émotions enfouies, elle rappelle le charisme hypnotisant de Winona Ryder à ses débuts. La caméra se focalise sur leur langage corporel, sur leur peine à s’ancrer dans leur monde respectif (elle dans la réalité de la vie d’un vampire, lui dans un milieu scolaire aliénant et violent).

 

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant : photoAh... le souvenir des premiers dates

 

C’est bien ce désespoir, traité avec douceur et amertume, qui donne à l’ensemble sa saveur si particulière. Ariane Louis-Seize ne navigue pas entre les tonalités et les genres pour l’amour d’un patchwork indigeste et auto-satisfait, mais bien pour sa profonde tendresse envers ses deux personnages esseulés. Par la même occasion, sa comédie vampirique pose la question de sa nécessité et de sa modernité. Que peut encore nous raconter le vampire depuis sa quête rédemptrice culturelle, surtout depuis que Twilight a transformé ce monstre de désir en symbole puritain ?

Peut-être qu’au fond, le cœur de Vampire humaniste cherche suicidaire consentant se trouve là : la mélancolie de Sasha ne concerne pas seulement sa nature inextricable, mais aussi la désuétude mythologique de ce qu’elle représente. Le vampire ne peut se rapprocher des humains qu’au travers de leur mort, d’où le fait qu’il est par définition un monstre de la périphérie. Il est en dehors de notre monde, bien qu’il cherche à y pénétrer comme le loup dans la bergerie.

Pourtant, ces êtres de la nuit, matérialisant à leur manière une contre-société, font désormais partie du système. Pire encore, ils se sont créé leur propre système au sein du système, alors qu’ils sont censés métaphoriser le danger de l’aliénation. C’est même pour cette raison que Karl Marx a employé la figure du vampire dans Le Capital pour décrire le capitalisme : “Le capital est du travail mort, qui, semblable au vampire, ne s'anime qu'en suçant le travail vivant, et sa vie est d'autant plus allègre qu'il en pompe davantage".

 

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant : photoUne certaine idée du snack de minuit

 

Smells Like Teen Spirit

Sasha incarne ainsi toute une jeunesse désœuvrée, née au cœur d’un libéralisme devenu incontrôlable. Au-delà de son humanisme, elle est effrayée par le rendement que demande la vie de vampire (du moins selon les dogmes de sa famille). La pulsion vampirique, qu’on rattache avant tout à l’interdit charnel, s’est-elle dévitalisée au point de seulement refléter les échanges inarrêtables de biens et de marchandises ?

Cette idée donne encore plus de valeur à sa relation avec Paul, lui aussi épuisé par son quotidien dans un lycée typique de l’Amérique du Nord, où le harcèlement et la compétition permanente amorcent la pire des lois du talion. Entre le bowling mortifère dans lequel il travaille et la publicité réalisée par l’une de ses camarades de classe, l'univers du film laisse transparaître du lien social factice, sans jamais que le scénario n’ait besoin de l’édicter.

 

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant : photoSara Montpetit, totale révélation

 

Par ces petites touches, la comédie noire émeut autant qu’elle fait rire, parce qu’elle transforme son portrait d’ados marginaux en symbole d’une jeunesse solitaire, hantée par un sentiment d’abandon, et qui rend au vampire toute sa force thématique en la modernisant. On pourrait même aller plus loin, en voyant dans le double-sens progressiste du scénario la nécessité de redéfinir une individualité et une liberté face à des systèmes toujours plus lénifiants.

Si la pulsion de sang est inévitable pour le vampire, autant tout faire pour lui redonner un sens. Et d’une certaine façon, le long-métrage opte pour un final aussi malin que bouleversant, qui déjoue le discours de Marx afin de ramener la mort à quelque chose d’humain. Le film en devient encore plus rebelle et charmant, en plus de transcender son postulat de teen-movie décalé en dépeignant tout un mal-être générationnel. C’est ce qu’on appelle un coup de maître.

 

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant : affiche française

Résumé

En comparant les troubles identitaires de l’adolescence à une vampire qui rejette sa nature, le film d’Ariane Louis-Seize charme par la seule malice de son écriture pince-sans-rire. Mais Vampire humaniste cherche suicidaire consentant est aussi le portrait de toute une génération délaissée, joliment esquissée par sa symbolique fantastique, sa douce mélancolie et le brio de ses acteurs.

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(3.7)

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commentaires
Ghost Leopard
28/03/2024 à 00:36

Très bon film effectivement et l'actrice principale, Sara Montpetit, est effectivement vraiment très talentueuse. Le reste du cast est très bien aussi.
Je suis content de l'avoir vu.

Eusebio
23/03/2024 à 22:20

Vu à l'instant ; très bonnes idées, très bonne réalisation, excellent jeu d'acteurs, et vraiment certaines trouvailles sont des perles...! Mais selon moi cet aspect de petit bijou a du mal à tenir sur la durée. Tout est très mesuré et vraiment les idées sont excellentes. Mais, à mon goût, le film aurait gagné à être resserré en terme de rythme et de montage. La même réalisation en moyen-métrage de 40/45 minutes m'aurait je pense totalement emballé. Là, je suis plus mitigé.
Mais allez, je suis de bonne humeur ce soir, comme Antoine je laisse aussi un 4/5 parce que ça mérite vraiment des encouragements pour la suite !

motordu
19/03/2024 à 07:20

La critique donne envie en tout cas !

Vomito
18/03/2024 à 20:58

Le postula de départ donne bien envie, quel bonne idée.
Ça me fait penser à Grave.

JulianMdtt
18/03/2024 à 12:43

Vu hier justement et j'avoue avoir moins aimé. C'est un film très sympa mais je trouve qu'il réussit davantage son côté drame que comédie. Dur de passer après "Vampires en toute intimité".

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