Kaala Paani : Les eaux sombres - critique du Lost avec un virus sur Netflix

Clément Costa | 21 octobre 2023
Clément Costa | 21 octobre 2023

Quelque part entre le survival et le récit de contagion, Kaala Paani : Les eaux sombres nous confine sur une île paradisiaque pour une aventure cauchemardesque. Virus mortel, manipulations et mensonges sont au cœur de la nouvelle série Netflix, aux faux airs de Lost (mais version pandémie). Et le résultat, en 7 épisodes, est plutôt amusant.

LA MORT À LA PLAGE

Alors que les différentes industries cinématographiques indiennes se font plus que jamais une place de choix dans notre paysage culturel, la promesse d’une série de contagion vue par Bollywood avait de quoi exciter notre curiosité. Le concept de Kaala Paani : Les eaux sombres est on ne peut plus simple : une maladie mystérieuse et mortelle apparaît au beau milieu des îles paradisiaques Andaman-et-Nicobar. Forcés au confinement, locaux et touristes vont tenter de survivre tant bien que mal.

Premier constat simple : la série réussit haut la main son pari technique. Les deux réalisateurs Sameer Saxena et Amit Golani parviennent parfaitement à installer un univers visuel marquant. L’atmosphère est pesante, on perçoit la chaleur moite, on ressent la soif s’installer viscéralement. Grâce à une direction artistique chirurgicale, Kaala Paani : Les eaux sombres filme les plages et les jungles indiennes avec une beauté anxiogène.

 

Kaala Paani : Les eaux sombres : photoDes plantes plus flippantes que dans Phénomènes

 

La série peut également compter sur la brillante chanteuse et compositrice Rachita Arora. Grande habituée du cinéma d’Anurag Kashyap, elle signe cette fois-ci une partition envoûtante et mystique. La bande-originale est un habile mélange de symphonie classique et de sonorités tribales plus surprenantes. Dès le générique d’ouverture, l’ambition musicale est annoncée et c’est une réussite de bout en bout.

Pour venir compléter ce triomphe technique, l’œuvre de Sameer Saxena et Amit Golani se repose sur des comédiens investis. Amey Wagh s’amuse comme un enfant dans son rôle de policier corrompu jusqu’à l’os et apporte avec talent quelques rares touches de légèreté. Le cinéaste Ashutosh Gowariker (Lagaan) surprend en politicien pragmatique. Mais on retiendra surtout la performance sanguine d’un Sukant Goel bouleversant de complexité et de contradictions.

 

Kaala Paani : Les eaux sombres : photoMétaphore d'un nouveau confinement

 

UNE PÉRIODE DIFFICILE

Avec une base technique irréprochable, il ne manquait plus à la série qu’une narration forte et captivante pour rejoindre le très haut du panier Netflix. Malheureusement, ça n’est pas toujours le cas. Le premier problème vient de la gestion inégale du rythme. Bien trop longs, les deux premiers épisodes ont tendance à égarer le spectateur qui peine à trouver le fil conducteur du récit.

À cela viennent s’ajouter des personnages toujours plus nombreux. Par facilité, la série va forcément aller vers le stéréotype pour caractériser rapidement chaque personnage. Fort heureusement, on apprend progressivement à les découvrir et l’écriture s’affine pour leur donner une plus grande complexité. Un tournant narratif va corriger le tir en milieu de saison, cependant la porte d’entrée vers cet univers est difficilement accessible.

 

Kaala Paani : Les eaux sombres : photoÇa vaut vraiment le coup d'y aller ?

 

Autre problème évident : Kaala Paani : Les eaux sombres joue sur trop de registres. On nous présente d’abord une dystopie avant d’osciller entre survival et récit de contagion. Mais les réalisateurs Sameer Saxena et Amit Golani nous plongent également dans un thriller politique, un drame familial et un pamphlet social sur le sort des tribus indigènes. Chaque piste est potentiellement passionnante cependant il était impossible de condenser de façon équilibrée autant d’idées en 7 épisodes seulement.

On regrettera également quelques faiblesses d’écriture. Plusieurs dialogues sonnent terriblement faux, en particulier lors d’une séquence où une petite fille dispute un vieil homme avec des mots qui sont de toute évidence pensés par des adultes. Plutôt que d’assumer un certain mystère sur ses personnages souvent troubles, la série utilise trop souvent le flash-back au point d’alourdir sa narration. Enfin, certaines facilités de scénario fragilisent l’immersion et le sentiment de réalisme.

 

Kaala Paani : Les eaux sombres : photoOn va rajouter une dixième sous-intrigue

 

LES DISPARUS

Malgré ses failles évidentes, Kaala Paani : Les eaux sombres apparaît comme une réussite globale. Une fois sa narration véritablement lancée, la série parvient à enfermer au cœur de la catastrophe en démontrant un sens inné du suspense. La deuxième partie de saison dévoile au passage un art du twist imparable. Ajoutons à ça que cet univers radical n’hésite pas à sacrifier plusieurs de ses héros en cours de route, et le contrat semble très bien rempli, entre choc et divertissement.

Si les trop nombreux registres et genres nuisent parfois à la fluidité du récit, il faut tout de même saluer les innombrables niveaux de lecture proposés. Dès le troisième épisode, il semble évident qu’on nous propose une métaphore à peine cachée de la gestion catastrophique du Covid-19 par le gouvernement indien. Et autant dire que le miroir tendu aux classes gouvernantes est tout sauf flatteur.

 

Kaala Paani : Les eaux sombres : photoLa vérité est ailleurs

 

Dans ce cadre faussement paradisiaque, les hommes d’affaires sont au-dessus des lois, les policiers sont corrompus et une poignée de politiciens égoïstes se partagent la gestion d’une crise perdue d’avance. Toutes les décisions finissent irrémédiablement par rejaillir sur les plus pauvres. La série présente ainsi un pays qui condamne ses citoyens à la prédation s’ils veulent avoir la moindre chance de s’en sortir.

Mais Kaala Paani : Les eaux sombres confronte également à une thématique très rare dans le cinéma indien en s’intéressant au sort des tribus indigènes dans l’Inde moderne. Inventé pour l’occasion, le peuple Oraka s’inspire très fortement des peuples Andamanais. Loin d’utiliser le folklore de ces tribus en simple toile de fond comme le faisait RRR, la série dénonce la déshumanisation la plus brutale que subissent ces citoyens marginalisés.

C’est très certainement dans cet équilibre que l’œuvre de Sameer Saxena et Amit Golani tient le mieux son pari. En conciliant propos acerbe et récit de genre implacable, le duo offre une série unique, à l’identité marquée.

Kaala Paani : Les eaux sombres est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 18 octobre 2023.

 

Saison 1 : Affiche officielle

Résumé

Survival imparfait mais efficace, métaphore parfois passionnante d’une société indienne littéralement malade, Kaala Paani : Les eaux sombres pèche par son envie de trop en dire et ses quelques failles d’écriture. En résulte tout de même une prise de risque ambitieuse qui mérite amplement le détour.

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commentaires
Rajiv
31/10/2023 à 10:08

"Plusieurs dialogues sonnent terriblement faux, en particulier lors d’une séquence où une petite fille dispute un vieil homme avec des mots qui sont de toute évidence pensés par des adultes. " Tout à fait d'accord. C'est presque enfantin, trop en décalage avec l'ambiance de la série.

Franken
23/10/2023 à 08:29

Je suis justement plongé dans les productions indiennes, la liste vient juste de s'allonger...

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