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Payback, le film « détruit » par Mel Gibson : le cauchemar hollywoodien avant le film noir

Par Ange Beuque
3 novembre 2024
MAJ : 4 novembre 2024
Payback, le film "détruit" par Mel Gibson : le cauchemar hollywoodien avant le film noir © Canva Paramount Pictures

Payback, c’est l’histoire d’un véritable cauchemar, où un réalisateur oscarisé a été éjecté de son propre film… et remplacé par Mel Gibson.

Être viré de son propre film deux jours après avoir remporté un Oscar, telle est la vie (contrastée) de Brian Helgeland. Pour livrer un Payback noir à souhait, il pensait pourtant pouvoir compter sur la présence de la superstar Mel Gibson… sans se douter que celui-ci finirait par prendre sa place.

Adapté du roman Comme une fleur de Donald E. Westlake (sous le pseudonyme de Richard Stark), qui a déjà inspiré le très bon Point de non-retour de John Boorman, le film de Brian Helgeland partait pourtant avec de solides atouts, à commencer par un Mel Gibson au faîte de sa popularité, face à Gregg Henry, Lucy Liu, Maria Bello et Deborah Kara Unger.

Comment cette histoire a-t-elle pu tourner au cauchemar ? Retour sur ce cauchemar hollywoodien.

Une dette qui coûte un rein

La dépossession sauvage

Le 23 mars 1998, malgré la concurrence notable de Donnie Brasco, l’Oscar du meilleur scénario adapté est décerné aux auteurs de L.A. Confidential. Brian Helgeland, qui partage ce prix avec Curtis Hanson, est aux anges. Dans les coulisses, il est notamment adoubé par Sean Connery. Mais son esprit est sans doute un peu ailleurs…

Car à la même période, il est en train de finaliser Payback. Pour lui, c’est forcément un film à part : si son Oscar couronne une carrière de scénariste désormais bien établie (Le Cauchemar de Freddy, Assassins de Richard Donner), il s’agit de son tout premier passage derrière la caméra.

L’ange se déchaîne

Normalement, il devrait toucher au but. Le tournage s’est déroulé sans encombre au cours de l’automne 1997, entre Chicago et Los Angeles. Séduit par le projet, Mel Gibson avait personnellement accepté qu’il en soit le réalisateur. Helgeland avait d’ailleurs déjà écrit pour la star de la saga Mad Max, en signant le scénario de Complots de Richard Donner.

Mais les choses se gâtent au moment des projections tests : Payback est jugé trop violent. Paramount et la Warner, qui doivent le distribuer, exigent sa réécriture et le tournage de scènes supplémentaires.

Sauf que Brian Helgeland n’a aucune intention de s’amender. Il souhaitait livrer un récit aussi noir que possible, et faire de son héros interprété par Mel Gibson un vrai dur, qui ne s’excuse jamais de son comportement borderline. Et s’il a souhaité passer derrière la caméra, c’est précisément pour pouvoir faire le film qu’il entend de A à Z. Il refuse tout net de retoucher quoi que ce soit.

Brian Helgeland après les projections tests

Alors s’il bombe le torse au soir du 23 mars 1998, outre par légitime fierté, c’est parce qu’il pense que cet Oscar le rend potentiellement intouchable. En s’opposant à ses partenaires, il a bien conscience d’avoir engagé un rapport de force périlleux : cette consécration, espère-t-il, est de nature à faire pencher la balance en sa faveur.

Mais il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne. Il devrait le savoir mieux que quiconque, lui qui est entré en cette même année 1998 dans le cercle très fermé des artistes ayant reçu à la fois un Oscar et un Razzie Award (pour le scénario de Postman). Moins de 48 heures après la cérémonie, il est viré de son propre film.

Straight down

La prise de pouvoir de Mel Gibson

Après le renvoi de Brian Helgeland, c’est à Mel Gibson qu’échoit la responsabilité d’achever le film, avec la mission de le rendre plus conforme aux attentes des studios. Ce choix apparaît très logique : l’acteur et réalisateur australien est alors au sommet de sa popularité. Il règne sur les années 90, a brillamment transformé l’essai du passage derrière la caméra avec Braveheart trois ans plus tôt… et ne s’est pas encore enlisé dans la fange des polémiques.

Ensuite, il a suffisamment cru en ce projet pour investir personnellement dans la production via sa société Icon. Et puis, une des raisons pour lesquelles Paramount rejette tellement sa noirceur, c’est qu’elle ambitionnait que Payback devienne son Arme fatale. Autant dire que la vision d’un Mel Gibson en flic nihiliste plutôt qu’en cabotin inconséquent ruine tout espoir d’émuler l’alchimie d’une saga qui en est à son quatrième volet.

L’arme fadasse

La superstar australienne fait appel à un familier, Terry Hayes, pour réécrire le scénario. Cet ancien grand reporter a déjà travaillé sur Mad Max 2 et Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre. Puis il organise dix à quinze jours de reshoot au cours de l’été 1998, probablement dirigés par Paul Abascal (bien que certaines sources pointent vers le chef décorateur John Myhre). Au total, un tiers du film est totalement réinventé.

Et si une scène de torture est rajoutée, le personnage de Porter est considérablement adouci. Ce qui ne manque pas d’ironie au vu du slogan : « Préparez-vous à acclamer le méchant«  (« Get ready to root for the bad guy« , modifié en Australie sur suggestion de Mel lui-même pour s’épargner une connotation sexuelle gênante). Sauf qu’ils font tout pour effacer ses aspérités.

Bad Max

La scène d’ouverture est réinventée, une voix off ajoutée et un tout nouvel antagoniste émerge en la personne de Kris Kristofferson. Des explosions faciles sont disséminées ça et là, et la fin est transformée, ultime outrage pour Helgeland qui y tenait beaucoup.

Le cinéaste évincé souhaite retirer son nom du générique pour endosser celui du (prolifique) Alan Smithee – le pseudonyme utilisé pour les films reniés. Mais la guilde des réalisateurs le lui déconseille très vivement : s’il agit de la sorte pour son tout premier long-métrage, il risque de se griller définitivement auprès d’Hollywood et de ne plus jamais avoir sa chance.

Malgré des critiques mitigées, Payback fonctionne relativement bien au box-office avec plus de 160 millions de dollars, pour un budget officiel de 90 millions. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais Brian Helgeland n’avait pas dit son dernier mot…

Impasse MelGibsenne

La revanche d’Helgeland

Brian Helgeland tire logiquement une certaine amertume de sa toute première incursion derrière la caméra. Puis il prend du recul, délaisse un peu de sa naïveté vis-à-vis du microcosme hollywoodien… qui lui réservera d’ailleurs une mésaventure similaire sur Le Purificateur. Mais lorsque l’opportunité lui est offerte quelques années plus tard de donner vie à son director’s cut en DVD, il s’empare de cette occasion de tourner la page d’une manière positive.

Après quelques tergiversations, il trouve le courage d’envoyer un mail à Mel Gibson, qui avait contribué à l’évincer : il a absolument besoin de son accord. À sa grande surprise, l’acteur répond quasiment dans la foulée et soutient sa démarche, au point de contacter Paramount dès le lendemain pour exiger que soient mis à sa disposition tous les rushs nécessaires. Une manière, peut-être, pour la superstar de se faire pardonner…

Blue is the coldest color

Helgeland a donc les mains libres pour modeler son director’s cut. Il éjecte la voix off, s’interdit d’utiliser ce qu’il n’a pas tourné lui-même, excluant de fait tous les reshoots… à une exception près : une discussion téléphonique entre Gregg Henry et Lucy Liu dont il n’avait pas eu le temps de mettre le contrechamp en boîte.

Il remodèle le montage en profondeur, restaure des scènes qui avaient été jugées trop violentes par le studio et renoue avec sa fin d’origine, inspirée de Luke la main froide avec Paul Newman. Scott Stambler prend la place de Chris Boardman pour composer une toute nouvelle partition.

La fameuse colorimétrie bleue est sacrifiée. Non pas qu’il la renie : il l’avait souhaitée aussi prononcée, de manière à évoquer le noir et blanc. Mais le réalisateur a envie de proposer une expérience très différente, et offrir davantage de contraste afin de rendre justice aux décors.

Le purificateur colorimétrique

Helgeland ne dévie jamais de sa ligne, et n’essaie même pas de profiter de cette liberté inespérée pour allonger la sauce sans raison. De fait, son director’s cut se montre plus court de quelques minutes que l’original.

Rebaptisé Payback : Straight Up, diffusé au Festival du film d’Austin puis disponible à la vente en avril 2007, le vrai Payback est unanimement considéré comme meilleur que la mouture d’origine.

Si ce director’s cut solde élégamment son aventure avec Payback, Brian Helgeland ne s’était pas laissé abattre. Dès 2001, il avait replongé dans la réalisation avec le pop et anachronique Chevalier, qui voyait Heath Ledger pénétrer dans l’arène sur du Queen. Au-delà d’un concentré de légèreté bienvenue, Helgeland dressera lui-même un parallèle entre la quête de son héros pour devenir noble et celle, non moins épique, d’un scénariste souhaitant passer derrière la caméra…

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Hasgarn

J’avais essayé de le voir (je ne sais plus quelle version mais ça doit être la cinéma) et je m’étais ennuyé ferme.
À retenter

oliviou

Article intéressant, merci, ça rafraichit la mémoire. Toute cette histoire est racontée dans une vidéo trouvable depuis 3 ou 4 ans sur Youtube, avec témoignages des personnes impliquées (Helgeland, Gibson) : https://www.youtube.com/watch?v=KhkCFd0BUDE. Ce que vous dites dans l’article, à savoir « Puis il organise dix jours de reshoot au cours de l’été 1998, probablement dirigés par le chef décorateur John Myhre » est, selon cette vidéo, erroné. C’est Paul Abascal qui a dirigé les reshoots, et ils ont duré 15 jours (confirmé par les représentants de Gibson et par Abascal lui-même).

RomulusAndRemus

Un de mes films préférés de Gibson.

cidjay

Film sympa, vu au ciné à l’époque et dont je n’ai que très peu de souvenirs (à part celui de Gibson qui se faisait éclater les doigts de pieds vers la fin)… typiquement le genre de film que je pouvais aller voir juste par curiosité quand les places de ciné ne coûtaient pas aussi cher qu’aujourd’hui…

matackermann

On a de la chance finalement, deux versions, deux ambiances, sur le même matériel et toutes les deux très cool à regarder. Merci pour l’article, je ne connaissais pas la director’s cut

Hocine

Payback est un film jubilatoire avec Mel Gibson, qui rendait hommage aux polars des années 70. On pense beaucoup au Point de Non Retour de John Boorman avec Lee Marvin: le nom du personnage de Mel Gibson, Porter, fait écho à celui de Lee Marvin, Walker.

J’avais vu Payback à sa sortie au cinéma au printemps 1999. C’était un film plaisant qui ne se prenait pas au sérieux. Quelques années plus tard, j’ai vu le director’s cut, qui était bien plus sombre et radicale que la version cinéma. Ce sont deux films différents et je ne sais pas si le public de Mel Gibson aurait accepté le director’s cut.

zakmack

Comme beaucoup je ne savais pas pour la version director’s cut… Ça donne envie, c’est clair. En tout cas, la meilleure adaptation de Parker de Westlake, ça reste la bd de Darwyn Cooke !

robindesbois

Ado, je regardais en boucle la bande annonce française (que j’avais sur un cd rom fourni avec un magazine informatique). Elle m’évoquait un film d’action/policier typique des années 90. Je n’ai pas vu le film au ciné à l’époque.

J’ai finalement vu (directement) la director’s cut des années plus tard et j’avais été très surpris par la noirceur du film qui ne correspondait pas du tout à la tonalité légère de la bande annonce. J’avais même été déçu parce que je voulais justement me visionner une sorte d’Arme Fatale bis sans prise de tête alors que le film était manifestement plus ambitieux que ça.

Max04

Ce sont surtout les studios et les producteurs qui n’ont pas cru à la version du réalisateur ou qui ont préféré une version plus grand public. Pour autant j’adore cette version cinéma et n’ayant pas vu le director’s cut, la comparaison est impossible.

nabilberrahma

Hé Ange ,à Hollywood ça fait longtemps qu’ils ont arrete la chasse aux sorcières contre Mel Gibson.