Bayard Rustin : critique dans l'ombre de Luther King sur Netflix

Un biopic important…

Depuis quelque temps, Netflix s'est transformé en appât à Oscars et tente chaque année d'en rafler le plus possible. En 2019, Alfonso Cuarón a remporté celui du meilleur réalisateur pour Roma. Trois ans plus tard, c'est Jane Campion qui s'en est emparée pour The Power of the Dog. The Irishman, Mank, Don't Look Up et Blonde ont aussi été nommés dans plusieurs catégories, confortant Netflix dans sa stratégie.

Et en 2023, avant le Maestro de Bradley Cooper et après le sympathique mais oubliable Insubmersible, un autre film tente d'avoir la recette parfaite pour grappiller des statuettes : Bayard Rustin. Réalisé par George C. Wolfe, c'est un biopic à budget moyen sur une personne méconnue du grand public, avec un joli casting et son lot de scènes dramatiques. Et sur le papier, car si vous ne savez pas qui est Bayard Rustin, ce biopic est plutôt convenable.

Fort Bayard

Il a le mérite de mettre en lumière une personne peu connue à l'internationale, qui devrait pourtant l'être. Activiste noir et homosexuel, Rustin est à l'origine de la Marche sur Washington pour l'emploi et la liberté, qui a rassemblé plus de 250 000 personnes le 28 août 1963. Une date qui a marqué l'histoire, puisque c'est le même jour et pendant le rassemblement que Martin Luther King a livré son discours le plus mémorable, l'iconique "I have a dream". Le long-métrage est donc axé sur l'orchestrateur de la manifestation, resté dans l'ombre de l'illustre MLK.

Bayard Rustin fait écho à notre société actuelle : il met en lumière l'évolution des droits des Noirs aux États-Unis et nous rappelle qu'il n'y a pas si longtemps, les progrès effectués aujourd'hui étaient presque inenvisageables. Sur ce point, le cinéaste George C. Wolfe réussit son pari. Son film est inspirant et nous rappelle que c'est la lutte nécessaire et permanente d'hommes comme Rustin qui ont permis à notre société de parfois évoluer dans le bon sens. Il nous rappelle aussi que rien n'est encore fait, puisque le long-métrage s'axe sur la réussite de la manifestation pour les droits des Noirs, mais aussi sur les conséquences de l'homosexualité à l'époque.

L'une des rares scènes émouvantes du film

…Mais déjà vu

Mais c'est aussi le principal problème du film. Il nous rappelle des faits et ne s'en détourne jamais, comme si le cinéaste ne s'était octroyé aucune liberté. Bien sûr, Colman Domingo est vraiment excellent dans la peau de Rustin. Il s'est imprégné du personnage à merveille, et comparer les reconstitutions du film aux images d'archives dont elles s'inspirent est très révélateur. Malheureusement, c'est aussi l'énorme défaut du film : la caméra ne semble exister que pour sa prestation et jamais vraiment pour son récit. Rares sont les films qui présentent un tel écart entre la performance de leur comédien principal et le reste.

L'impression de déjà-vu est perpétuelle, toute trace d'inventivité semble effacée. Et avec sa mise en scène très banale, passant d'un personnage à un autre dans des plans quelconques, il est souvent facile d'oublier les noms de tous les interlocuteurs (qui sont pourtant affichés sur de petits cartons lorsqu'ils prennent la parole). En résulte une œuvre bavarde, qui ne nous laisse jamais le temps de nous imprégner des émotions des personnages.

Marche ou crève

Chaque fois que l'un d'eux semble sortir du lot (Tom et Elias), ils se font écraser par la scène suivante, qui filme à nouveau plusieurs personnes en train de parler sans s'écouter (ce qui ne donne vraiment pas envie d'écouter non plus). Même les géniaux Jeffrey Wright et Aml Ameen (qui joue pourtant Martin Luther King) se font oublier à la seconde où ils sortent du cadre. La caméra ne laisse pas respirer le spectateur et le montage encore moins. Le surplus de personnages rend le tout inintéressant, plat et oubliable. 

Il y a trop d’événements, trop de personnages anecdotiques, trop d’effets de montage qu’on connaît (une musique épique pendant qu’un centre d’appel réunit un maximum d’argent pour organiser manifestation, une musique triste et des flashbacks en noir et blanc pour rappeler d’horribles événements) : c’est brouillon, peu prenant, peu inspiré et répétitif. Et c'est plus que regrettable tant ce personnage authentique qu'était Bayard Rustin méritait un film tout aussi original ou inspiré.

Bayard Rustin est disponible sur Netflix depuis le 17 novembre 2023