Cartoon forum 2014 : Où en est l'animation télévisée ?

Nicolas Thys | 6 octobre 2014
Nicolas Thys | 6 octobre 2014
Parmi les multiples manifestations professionnelles autour du cinéma d’animation organisées partout en Europe par l’association belge Cartoon et qui réunissent en un seul lieu les acteurs de l’animation (producteurs/distributeurs/diffuseurs…), les deux qui nous intéressent le plus sont le Cartoon movie de Lyon qui présente les projets de longs-métrages européens des années à venir et le Cartoon forum de Toulouse consacré aux projets de séries télévisées animées. Pour son 25ème rendez-vous et le troisième au sein de la ville rose, ce dernier a été un bon cru avec plusieurs projets particulièrement intéressants venus de tous pays et autant à destination des plus petits (vers 3-5 ans) que des ados/adultes. En trois jours, ce sont 86 idées nouvelles pour la télévision qui ont été montrées par cession de 20 minutes dans 3 salles en parallèle avec à chaque fois une présentation des studios, un synopsis, une bande-annonce et des considérations tant techniques que financières.

1. Une ligne directrice maintenue

En animation les frontières sont poreuses entre les différents médias et formats. Nombreuses sont les sociétés de production qui s’intéressent à la fois au cinéma comme à la télévision, aux formats courts comme aux formats longs et quand on compare les projets des uns et des autres, on retrouve régulièrement des lignes directrices fortes à l’image des Films du Nord, importants producteurs de courts animés qui font nombre de premiers films et qui viennent ici proposer des programmes de 26 minutes (dont To whit to whoo tales) à destination de la TV réunissant des courts-métrages aux thématiques proches et aux techniques variées reliées par un film conducteur : un hibou narrateur. On citera aussi Autour de minuit, dont Les Aventures de Jean-Michel le Caribou, tiré des livres de Magali Le Huche, sont certes leur première incursion dans un univers proprement enfantin mais le projet porte les traces d'un univers décalé, un tantinet bizarre et jamais totalement innocent. Ligne forte encore pour le Me & Sonny de Copenhague/Bombay qui continue à produire à la TV comme au cinéma des machins peu onéreux (et vraiment très très moches) à destination des plus petits (voir, malheureusement pour eux, leur A la poursuite du roi plume qui sort bientôt en salles et qu’il faut éviter).



On retrouve aussi cette conduite chez Didier Brunner, directeur récemment retraité des Armateurs (les Kirikou, Les Triplettes de Belleville) qui cherche à monter avec sa nouvelle société Folivari une adaptation TV en 26 épisodes de 13 minutes d’Ernest & Célestine qu’il avait également produit. Celle-ci sera réalisée par Cédric Babouche avec la collaboration artistique de Benjamin Renner, réalisateur du film. Idem pour Les Armateurs (sans Didier Brunner donc) qui s’associent à Folimage (Mia et le migou, Tante Hilda…) pour tenter de porter à l’écran une de leur création : Anna Filoute, un produit banal et gentil, sans grande imagination et au dessin 2D déjà vu mais mignon qui plaira aux enfants et surtout à leurs parents. Xilam (Oggy et les cafards) quant à eux restent dans les choses pas très jolies mais attrayantes et faciles avec Paprika pendant que Les Films de l’Arlequin poursuivent dans une veine plus intelligente et avec de véritables recherches visuelles et techniques pour L’Homme le plus petit du monde que le génial Juan Pablo Zamarella (Luminaris) devrait réaliser.

On signalera au passage l’arrivée de Zentropa dans la course. La société de Lars von Trier, plus connue pour ses projets dépressifs, trashy et/ou Dogme 95, avait déjà produit un long-métrage d’animation détestable (Princess) et une série géniale (L’Hôpital et ses fantômes), mais ils n’avaient encore pas associé les deux. Le fait le plus étonnant est peut-être que le Vitello qu’ils ont présenté à Toulouse, star de la littérature jeunesse en Scandinavie et en Grande Bretagne, est à destination des 6-10 ans, public qu’ils avaient légèrement négligés (même si Nymphomaniac partie 1 n’était à l’origine interdit qu’aux moins de 12 ans). C’est la première fois peut-être qu’on verra un semblant de joie (et de morale ?) se détacher d’une œuvre de cette société. Précisons néanmoins que le Danemark n’est pas devenu Bisounoursland et que le petit garçon n’a pas de père, une mère bizarre, peu d’amis et un penchant pour les choses pas toujours nettes. On a hâte de voir ça malgré un rendu graphique assez banal rappelant Cédric). La responsable des ventes de la société a de surcroit annoncé que le secteur de l’animation pourrait se développer les prochaines années avec également la mise en chantier d’un possible long à destination des ados/adultes. Si le dogme95 et le désir d’extermination de l’humanité du réalisateur de Melancholia contrevenait à toute possibilité d’animer quoi que ce soit (l’animation de Princesse n’était qu’une solution de facilité visant à montrer des choses trop ignobles pour être filmées), il semble que cela change un peu…


2. Trois projets sortent du lot

Parmi tous les projets, plusieurs ont retenu notre attention dont certains cités ci-dessus, mais il y en a trois sur lesquels il semble nécessaire de s’arrêter et qu’on aimerait particulièrement voir aboutir. Produit par Tchak film, dont l’adaptation de L’Ascension du haut mal de David B. (L'Association) était également notre projet préféré au Cartoon movie 2014, Petit Malabar est tiré d’une série de livre de l’artiste Nelly Blumenthal et du scientifique Jean Duprat (CNRS) qui vise à poser les grandes questions actuelles d’astrophysique aux plus petits (voire aux parents) de manière aussi poétique dans le graphisme que réelle dans les faits. Pour montrer, par exemple, que Mars possède la plus haute montagne du système solaire, un volcan de 23 kilomètres de haut, la planète pourra être représentée comme une sphère rouge surmontée d’un chapeau conique. Peu importe que l’image soit inexacte tant qu’elle permet à l’idée d’être comprise. Les épisodes devraient être de trois minutes, soit juste assez pour ne pas ennuyer et pour faire passer un message. Le rendu graphique est également impressionnant. Comme pour les livres, l’auteure envisage d’utiliser une banque de matières de manière à offrir un rendu 2D simple mais spontané, vivant où rien ne serait jamais fixe mais bouillonnant entre les traits simples des planètes, animaux, humains et leurs couleurs qui n’hésiteraient pas à déborder. Le rendu aussi naïf que beau permettra de rester à hauteur d’enfants.



Les deux autres projets seront destinés aux plus grands, ados/adultes essentiellement. Le premier, principalement produit par Everybody est l’adaptation de Lastman, BD électronique puis papier coécrite par Bastien Vivès (dont le studio avait déjà acheté les droits de Polina en vue d’un long-métrage), Balak et Sanlaville. Ceux qui aiment l’artiste ou qui fréquentent delitoon.com sauront déjà de quoi il en retourne. Pour les autres, il s’agit d’une histoire de type manga mais européenne, aux multiples délires, qui a tendance à se lâcher sur tout et qui entremêle boxe, aventure, action et filles aux gros seins. De quoi ravir pas mal de monde ! La réalisation est laissée à Jérémie Perin, qu’on connait surtout pour son clip de DyE, Fantasy et qui a l’air de rester dans un univers graphique pas trop éloigné de ce qu’on lui connait, français mais aux influences nippones certaines. On ne pouvait pas non plus ne pas dire un mot de Bitmuch (Melting prod.), dont le pilote est déjà en ligne ici. Autant les graphismes insistent sur l’exagération du propos, avec des pixels type console 8 bits/minitel, moches, gros, paresseux et vulgaires, autant le pitch est très réaliste puisqu’il montre le PDG et les employés d’une multinationale qui vend tout ce qui est vendable (ou non), tous plus idiots les uns que les autres, à l’âge mental de 5 ans et assoiffés d’argent, de pouvoir, de sexe ou les trois, aux prises avec le monde qu’ils veulent contrôler. L’ensemble possède un côté trash à la South park avec un design plus radical encore mais les épisodes dureront moins que 4 minutes, parfait pour ne pas lasser. Les producteurs envisagent également une application tablette avec un tabloïd racoleur hebdomaire pixellisé lui aussi avec les nouvelles de l’entreprise.



3. Deux tendances fortes

Mais cette année au Forum, deux tendances sont à noter. L’une est en continuité avec ce qui existe depuis quelques temps : les durées moyennes des épisodes sont souvent courtes et les deux tiers des sujets proposés n’excèdent pas 11 minutes. De nombreuses séries ne vont même pas au-delà des 5 minutes. Les raisons sont d’abord économiques. Pour une diffusion, l’intégralité des épisodes n’a pas besoin d’être réalisé et au vu du temps de fabrication d’un film d’animation, les séries courtes peuvent arriver sur les écrans bien plus vite. De plus ces projets restent souvent (mais pas toujours) moins onéreux à mettre en œuvre et ils ont l’avantage de pouvoir s’étirer dans le temps plus facilement. A une époque où le 360°, c'est-à-dire le transmédia, la réalité augmentée…, est devenu un passage important des logiques marketings (avec applications pour tablettes, produits dérivées, sites web…), et où les programmes se multiplient, les projets qui dureront auront la chance de mieux voir fonctionner ces nouveaux objets qui ont aussi un coup et ont besoin d’une rentabilité sur la durée. Donc entre la série de science fiction de Magnificat Films en 4x52 minutes, Metromnik, et la minute et demi des 200 épisodes de Un jour une question de Milan Presse, déjà diffusée sur France TV, on aura tendance à croire que les sites et applications seront suivis par les spectateurs de la seconde pendant l’année entière mais les 4 épisodes de la première diffusés, qui ira encore consulter ses créations transmédia ? Mais à force de voir se multiplier les projets de programmes très courts, le risque est aussi présent car aucune télévision ne peut se permettre de caser des programmes de 5 minutes ou moins les uns à la suite des autres. Les plages horaires existent mais elles sont bien souvent déjà occupées par des séries qui fonctionnent et les places pourraient devenir de plus en plus chères… Il reste à noter que, d’un point de vue esthétique, ces projets sont souvent les plus intéressants et captivants, les plus longs ayant une fâcheuse tendance à se ressembler à quelques exceptions près (dont les spéciaux To Whit to Whoo tales déjà cités et Operation Christmas de Vivement lundi ! et Nadasdy Film en tête).



L’autre tendance, qui existait déjà mais qui explose cette année, vise à associer animation et prise de vues réelles. Il est d’ailleurs étonnant que ce principe formel n’ait pas été davantage développé à la télévision ces trente dernières années alors que les années 70 voyait la main du créateur de La Linea apparaitre à l’écran et que dans le monde du cinéma d’animation, il est aussi ancien que le dessin-animé, Emile Cohl entremêlant les deux dès ses débuts en 1908.

Dans les présentations, ce qui revient le plus c’est l’intégration d’éléments animés dans un décor réel avec l’association d’acteurs en chair et en os et de personnages en 2D ou 3D, souvent d’une manière quelconque et assez peu inventive à l’exception d’All for nuts et de son trio d’écureuils qui cherche de la nourriture à central park. Cependant, certains se détachent de cette mode. Sex, say what ? série TV/Web belge donnée comme une fiction d’éducation sexuelle pour 3 publics (9-12 ans, 12-15 ans et plus de 15 ans) vise à intégrer des objets réels dans un univers graphique à la Arthur de Pins pour des explications plus claires. Joe and Waldo (Beast animation, De Hofleveranciers, Moving Puppet) se situe dans univers totalement dessiné dont les deux personnages principaux sont un grand ours polaire en peluche et un enfant réel revêtu d’un manteau d’esquimau. My dream job, toujours produit par la Belgique (Contentinuum), fait figurer des figurines pliantes animées sur lesquelles sont apposées des photographies de personnes réelles qui deviennent les héros le temps de l’épisode. Enfin Troubling monsters, très beau projet autour des monstres qui entourent les enfants sous le lit, derrière le frigo ou ailleurs, devrait débuter chaque épisode par une minute documentaire où on présenterait le lieu réel avec une apparition de la bestiole en question. A noter d’ailleurs que les monstres et scénarios seront créés à partir de dessins réels faits par les enfants à partir des choses de tous les jours dont ils ont peur. L’idée n’est pas de dire que la bête n’est pas réelle mais au contraire de s’y confronter avec trois personnages récurrents de la série.



Ici aussi l’intérêt pour cette forme est en partie explicable. Après le succès de Minuscule, des Babioles ou d’autres séries du même type, on peut constater une envie de copie non le style ou l’idée mais le principe formel. De plus le désir d’être dans un monde qui n’est pas totalement imaginaire ni totalement réel est intéressant en soit et renvoie également à des films/séries/livres qui ont mis un tel système en place. L’enfant de tout âge s’y retrouve et au lieu de dessiner un objet ou un personnage ou tout un ensemble de choses de manière hyperréaliste, on peut simplement le filmer et faire apparaitre quelque chose au dessus. On peut également voir là un aboutissement technique. Les moyens informatiques permettant l’intégration d’éléments animés dans un environnement réel ou réciproquement, se sont considérablement développés, les couts ont fondu, les animateurs sont formés et tout ceci est possible bien plus facilement et avec un rendu largement meilleur. Puis, économiquement, même si deux tournages sont nécessaires, les coûts seront sûrement moins élevés et le temps de fabrication vraiment réduits. Il sera toujours plus aisé de n’avoir qu’un ou deux personnages à animer dans un monde déjà là, que de devoir tout faire à chaque plan. Et puis, la plupart des éléments live et décoratifs de ces projets pourront peut-être être réutilisés. On peut imaginer des plans similaires dans lesquels on fera se mouvoir les personnages de manière différentes. L’idée va aussi de pair avec le développement du transmedia : les tablettes, les téléphones, les ordinateurs permettent de prendre des photos, ou de faire des vidéos et on offre régulièrement la possibilité pour les enfants d’interagir avec l’animation via ces plateformes. Il devient donc plus courant de voir ou d’imaginer un monde où les deux formes cohabitent.


Ce rendez-vous aura également été l’occasion d’une visite dans le studio toulousain de La Ménagerie, producteur des Kiwis, actuellement sur France TV et dont on a pu voir le tournage de quelques secondes. Au programme, sorcières, voyages sur la lune et autres choses qu’on pourra découvrir prochainement. Cette série avait été découverte lors d’un précédent Cartoon forum et aura permis de mettre en lumière l’animation en Midi-Pyrénées. C’est également l’occasion de rappeler que tous ce dont on a parlé jusqu’ici est dans une phase de pré-production ou de construction. Rares sont les projets quasiment finis et n’ayant besoin que de diffuseurs, et une partie seulement verra le jour et confirmera ou non les tendances ici affichées. En parallèle, plusieurs événements avaient lieu, en association avec la ville de Toulouse ou la région comme la remise du cartoon d'or au meilleur court-métrage européen de l'année, et c'est La Bûche de Noël de Vincent Patar et Stéphane Aubier qui l'a remporté, ou un ciné-concert autour de courts-métrages d'animation bolchévique rarissimes à la Cinémathèque de Toulouse, réputée pour son importante collection de film soviétiques. Ces films devraient circuler dans la France entière d'ici quelques mois.

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commentaires
converse
10/08/2015 à 15:05

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27/07/2015 à 23:12

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16/07/2015 à 14:19

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12/07/2015 à 18:13

conversę

Antho
07/10/2014 à 11:17

Tellement facile de poster des commentaires. Peut être devoir créer un compte et se connecter comme sur l'ancienne version. Ca permettrais de dissuader les malins.


07/10/2014 à 11:16

Oui çà me désole un peu ces faux commentaires pour un site de cette qualité.

Dodeskaden
07/10/2014 à 10:16

bravo Nicolas encore une fois pour ce compte rendu fort détaillé... dommage pour la sécurité du site et les spameurs de miarde.