Game of Thrones - Saison 3

Aude Boutillon | 17 juin 2013
Aude Boutillon | 17 juin 2013

Rarement épisode aura à ce point ébranlé sa horde de fidèles et crispé les allergiques aux fuites d'informations. Il fallait être à jour, en ce 2 juin, sauf à souffrir d'un déferlement de commentaires hagards, furieux, déconfits, à l'issue d'un neuvième épisode apocalyptique de Game of Thrones. Bien sûr, à force de témoignages hyperlatifs au possible, l'expérience perdait de sa superbe lorsqu'on découvrait finalement le fruit de la torpeur générale. Non, il fallait définitivement cueillir « The Rains of Castamere » dans l'ignorance la plus totale, pour se laisser envahir par cette certitude initiée à l'occasion du dénouement de la première saison, mais encore trop prématuré pour faire office de ligne de conduite : dans Game of Thrones, les têtes tombent, les certitudes sont précaires et l'attachement fatal.

Le choc est profond, mais le cheminement évident. Tout amenait à une drastique recomposition de l'échiquier, tant la progression de chacun s'inscrivait dans une logique d'après-guerre trop pérenne pour persister. Cette troisième saison de Game of Thrones a en effet choisi sa toile de fond : la première saison était à l'initiation, la deuxième à la course au pouvoir, au prix d'une innocence déchue. Cette saison-ci aura pour double thème quasi-universel l'exil et la reconstruction. On avait laissé un King's Landing aux mains d'une dynastie d'une suspicieuse blondeur, communément ciblée par les familles de Westeros ; on retrouve ses ennemis dispersés aux quatre coins du Royaume, démunis et esseulés (à l'exception bien entendu de Daenerys Targaryen, spin-off à elle seule, et à l'origine d'une des plus belles charges émotionnelles de la saison : la libération des esclaves Unsullied). La Garde de Nuit, confrontée à l'attaque des Marcheurs Blancs, s'est éclatée, perdue dans l'immensité neigeuse. Sam Tarly et le Lord Commander Mormont reprennent le chemin du Mur protecteur, tandis que Jon Snow, amené à Mance Rayder, « Roi au-delà du Mur » (Ciaran Hinds), se voit contraint à un serment d'allégeance qui le lie au peuple sauvage. Du côté de la cité royale, Tyrion Lannister, héros mésestimé de la récente Bataille de Blackwater, se languit d'une reconnaissance paternelle, Tywin Lannister ayant été promu Main du Roi, son infâme morpion de petit-fils. Joffrey a d'ailleurs évincé sa promise Sansa Stark, au profit de Margaery Tyrell, aussi candide qu'agile dans l'art de mener sa barque entre les eaux agitées du Royaume. Brienne, toujours fidèle aux invectives de Catelyn Stark, poursuit quant à elle sa mission d'escorte de Jaime Prince Charming Lannister, monnaie d'échange contre les enfants Stark (que leur mère imagine prisonniers de King's Landing), tandis qu'Arya et son équipage de fortune (point Skins n°1) poursuivent leur route tant bien que mal, avant qu'elle ne croise à nouveau le chemin de The Hound, décidément bien enclin à jouer les babysitters crasseux avec les gamines Stark.

L'heure est donc à l'errance et aux partenariats improvisés, l'occasion pour l'œuvre de George R.R. Martin de rappeler son aisance à reconstituer les rapports à l'aune des nouvelles configurations... ou tout simplement des besoins des uns et des autres. Le développement de la relation de la massive Brienne et de son prisonnier, sans s'inscrire particulièrement dans la progression de la trame générale, marquera cette capacité à redessiner les frontières des camps avec une finesse qui n'avait rien d'évident. Il en va de même pour les Tyrell, soucieux de sonder les non-dits des dépositaires du pouvoir. Intéressantes manœuvres que celles de la jeune Margaery (altruiste dans l'âme ou minutieuse manipulatrice ?) et de sa grand-mère, interprétée par Diana Rigg, et qui s'offrira, en dépit de ses apparitions en faible nombre, les dialogues les plus savoureux de cette troisième saison (à l'occasion, au hasard, d'une conversation sur l'orientation sexuelle de son fringant fiston).

C'est que la gent féminine est déterminée à prendre les rennes du jeu de pouvoir qui anime le Royaume. Si Cersei Lannister souffre tant du joug de son père que de celui de son ingrat de fils, la donne est toute autre pour un certain nombre d'autres représentantes de l'engeance, qui semblent désormais tirer les ficelles. Outre les dames Tyrell, décidées à user de leur proximité avec le pouvoir pour en tirer le bénéfice, n'est-ce pas la prêtresse Melisandre qui s'octroie, à demi-mots, la victoire sanglante ayant coûté la vie à trois Stark (et demi) ? Daenerys n'est-elle pas en passe de s'ériger en chef de guerre ultime de la série ? Une évolution à mettre en réalité en perspective avec un autre constat : fussent-elles des stratèges hors-pair, les donzelles de Game of Thrones n'en pâtissent pas moins de la curieuse manie qu'ont leurs confrères à s'ériger en protecteurs : Jaime avec Brienne (au terme d'un renversement des rôles), The Hound à l'égard d'Arya, Sam et Gilly (point Skins n°2), voire Daenerys reposant sur la dévotion de Daario Naharis, piteux Khal Drogo au rabais (rendez-nous Jason !).

Dans Game of Thrones, le pouvoir n'a en outre jamais semblé à ce point détaché de sa représentation physique que dans ce troisième acte. Evanoui, le temps où la frêle silhouette de Joffrey recroquevillée au sein de son trône suffisait à faire frémir le royaume. Désormais, la puissance et l'influence s'exercent indépendamment de tout symbole futile, et sont intimement liées à l'individu. Ces enjeux sont d'ailleurs résumés à la perfection à l'occasion d'un savoureux dialogue opposant Tyrion Lannister à son père, désormais marionnettiste proclamé de la cité royale... et au-delà. « Crois-tu vraiment qu'une couronne puisse te donner le pouvoir ? », lance ainsi Tywin à son fils. Difficile, bien entendu, d'évoquer la série sans s'attarder sur la prestation toujours irréprochable et détonante de charisme de Peter Dinklage, ainsi que l'évolution passionnante du personnage qu'il interprète. Désormais dépeint comme le seul homme à peu près sain et lucide de King's Landing, Tyrion Lannister ne se contente plus de voir son intrigue voguer au gré des rebondissements (essentiellement sentimentaux en l'espèce, avec l'esquisse d'un intéressant partenariat tricéphale à venir -Tyrion, son épouse arrangée Sansa et l'affolante Shae). Non, il irrigue purement et simplement le récit de bout en bout, en se dressant progressivement en sauveur maudit (par la nature, l'ascendance, le destin), unique clé apparente du renversement des forces en jeu.

Après un neuvième épisode cataclysmique, la troisième saison se conclura plus sereinement sur un fond de retour parmi les siens, ou de découverte d'une appartenance pour les apatrides (en l'occurrence, Daenerys, désormais mysha -mère- proclamée de son peuple). Moins survoltées que dans la précédente saison, la densité de la trame et la multiplicité des sous-intrigues continuent d'exiger du spectateur une assiduité appuyée et un investissement certain, qui entérinent Game of Thrones dans son statut d'adaptation de haut calibre, parfois astreignante. Il faudra ainsi s'accommoder d'axes nettement moins passionnants, voire purement accessoires, mais nécessaires à la progression du chemin parcouru par certains,  à l'image de la Fraternité sans Bannière ou des aventures peu palpitantes de Jon Premiers Baisers Snow. De même, on finira par s'apercevoir que les Marcheurs Blancs, pourtant sacrément déterminés dans le dernier plan de la deuxième saison, sont probablement les ennemis les plus lents de l'Histoire de la télévision. On verra, enfin, se dessiner au loin les contours d'épopées vengeresses, à travers notamment (ce qu'il reste de) la famille Stark, considérablement amputée, et la sœur Greyjoy, déterminée à délivrer Theon des griffes d'un geôlier revanchard ayant la découpe facile. Pas d'amertume, pourtant, dans cette conclusion : seul le parfum épique et conquérant d'une quête de justice effrénée, avec tout ce qu'elle a d'impitoyable et de condamnable. De belles Georgeries en perspective.


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