Lost saison 4 : De l'art de transformer l'essai

Julien Foussereau | 4 juillet 2008
Julien Foussereau | 4 juillet 2008

Avertissement : la lecture de cette article est déconseillée si vous n'avez pas suivi les précédentes saisons.

 

Il y a un an, alors que l'on n'en attendait plus grand-chose, Lost fut miraculeusement ramené à la vie par ses showrunners Carlton Cuse et Damon Lindelof. On constata un mieux au niveau de l'intendance, que ce soit dans le recentrage des personnages qui comptent, l'exécution des intrigues, la distillation des informations et les variations des registres narratifs. Mais ce qui nous fit pénétrer à nouveau dans les mystères de l'île tropicale de nos rescapés fut incontestablement cette révélation culottée du season finale : le recours au flash forward. Oui, Jack Shepard n'était plus un simple chirurgien, il était devenu un héros, un rescapé du vol Oceanic 6, de retour chez lui, dans la civilisation. Parmi les siens. Rideau ? Oh que non ! Charnière ? Assurément et à plus d'un titre !

 

 

 

En effet, en mettant un bon coup de pied dans la Grande Horloge, Through The Looking Glass n'a pas seulement redéfini en 90 minutes les grandes orientations de la série, il marque aussi l'entrée d'une impressionnante boucle spatiotemporelle dont le verrouillage serait There's No Place  Like Home, remarquable clôture de saison. Un point d'entrée, un point de sortie, une arrivée sur la situation initiale : Jack Shepard, carcasse alcoolique et camée aux médocs, en perdition à L.A., implore Kate de retourner avec tous les rescapés dans l'île après qu'il a assisté seul à l'enterrement d'un certain Faraday. Entre les deux, quatorze épisodes chargés en rebondissements, alliances de circonstances, trahisons. Avec, toutefois, un ingrédient supplémentaire ô combien précieux : le vertige temporel.

 

Un vertige temporel quasi bergsonien car, plus que dans n'importe quelle autre saison, le gestion du temps qui passe confine à l'abstraction. Dès les premiers épisodes, il apparaît évident que nos insulaires « à l'insu de leur plein gré » n'ont pas tous été réinsérés dans la grande marche du monde. Ce choix permet au pool de scénaristes de transformer Lost en vortex à malmener le temps et, par la même occasion, d'envoyer valdinguer certaines certitudes que nous avions prises pour argent comptant. C'est avec une certaine délectation que le spectateur se perd dans un dédale d'intrigues qu'il doit recaser à l'aide du contexte. Le temps comme concept bon à triturer, décaler et retourner dans tous les sens se révèle être un outil narratif séduisant pour expliciter le secret  de cette île indétectable.

 

 

 

Mieux, les auteurs vont jusqu'à remodeler le temps selon Alan Moore dans deux épisodes incroyables The Constant et Ji Yeon. Le premier, centré sur Desmond ébahit par son refus de représenter le temps comme une ligne ou une boucle mais comme un point figé dans lequel tout est simultané, a déjà eu lieu, a lieu, aura lieu, sans privilégier récits premier et secondaire. Le deuxième, narrant l'accouchement de Sun et les efforts répétés de Jin pour acheter une peluche panda (traditionnellement un porte-bonheur de la natalité en Asie), interloque par sa façon de connecter le passé au futur.

 

Maintenant, il va sans dire qu'en quatre saisons, la mécanique thématique et esthétique du show de J.J. Abrams est parfaitement rodée. On ne pleurera pas le network ABC pour avoir imposé un compte à rebours de trois saisons réduites. On pourrait presque ajouter que la grève des scénaristes fut un mal pour un bien : 14 épisodes contre les 16 initialement prévus. Cette quatrième saison s'impose comme la meilleure de toutes, celle de la fluidité narrative débarrassée de ses plus encombrants déchets, celle de la maturité aussi. Certes, les mauvaises langues pourront toujours contester l'utilité du personnage de Kate (l'aimant à teenagers). Ils devront également reconnaître que Cuse et Lindelof ont su trier le bon grain de l'ivraie pour ne retenir que les rescapés les plus complexes (John Locke, Ben Linus, Jack Shepard, Desmond, etc., que du bon !) pour livrer un portrait de groupe, fascinant, sombre et janséniste à la fois.

 

 

 

La brume énigmatique surplombant l'île de Lost se voit transpercée un peu plus chaque année. Elle a néanmoins le mérite d'apparaître toujours plus menaçante, toujours moins aimable et civilisée (les cadavres se ramassent à la pelle). Derrière les figures imposées se dissimule un pessimisme sur le genre humain dont les éléments fantastiques sont une parfaite métaphore. De la microsociété instaurée par Jack dans la première saison, il ne reste rien si ce n'est la cupidité, l'attrait du pouvoir despotique, la cruauté et des remords dignes de Sa majesté des mouches.

 

Evidemment, les questions non résolues (ATTENTION SPOILER : que fait Christian Shepard dans la cabane de Jacob ? Claire est-elle morte ? Mais qui est donc Richard Alpert ?) suffiront à nous faire saliver jusqu'à la prochaine livraison. Pourtant, elles seraient presque accessoires parce que, avant même que l'on ait eu le temps de les formuler, nous sommes à cent milles lieues d'avoir les réticences de Kate devant les suppliques de Jack : nous sommes déjà sur l'île à attendre la suite. Vivement 2009 !
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