The Mandalorian saison 3 : Disney peut-il encore sauver Star Wars ?

Antoine Desrues | 21 avril 2023 - MAJ : 22/04/2023 17:36
Antoine Desrues | 21 avril 2023 - MAJ : 22/04/2023 17:36

La saison 3 de The Mandalorian reflète la stratégie globale de Disney dans sa gestion de Star Wars. Mais n’est-il pas trop tard pour la saga ?

The Mandalorian n’a pas été que la première série en prise de vues réelles de Star Wars. Elle a été le principal appel d’offres de Disney+ lors du lancement de la plateforme en 2019. Au même moment, la critique comme le public n’ont pas manqué de tirer à boulets rouges sur L’Ascension de Skywalker, conclusion foutraque d’une postlogie qui a fait figure de pétard mouillé.

La série de Jon Favreau et de Dave Filoni a donc eu des airs de nouveau départ, que ce soit dans l’emploi du format sériel ou dans l’introduction de nouveaux personnages. La démarche a payé, puisque The Mandalorian est devenu rapidement un phénomène, entraînant dans son sillage la vente massive de peluches Grogu, le développement de spin-offs (Boba Fett, Ahsoka) et plus globalement l’idée que le futur de Star Wars devait s’écrire – du moins sur le court terme – sur petit écran.

Néanmoins, la saison 3 semble décliner en matière d’audiences par rapport aux deux premières, si l’on se fie aux collecteurs de données américains. Après avoir analysé l’insuccès d’Andor, il convient de se demander si Star Wars n’a pas déjà lassé le grand public en tant qu’énième vache à lait de Disney, alors même que la Celebration a annoncé en fanfare plein de nouveaux projets, dont trois films. De quoi s’inquiéter, surtout lorsque The Mandalorian confirme avoir trouvé son rythme de croisière, tout en pavant la voie pour les autres productions de Lucasfilm.

 

 

Explorer le (Manda)lore

On pourrait reprocher à The Mandalorian d’avoir sacrifié des enjeux majeurs de sa progression dans Le Livre de Boba Fett (l’entraînement de Grogu avec Luke, le nouveau vaisseau de Mando...), mais cette saison 3 en a profité pour revenir à ses fondamentaux. Papa Din Djarin et sa souris verte ont pu de suite repartir à l’aventure, et ainsi entériner les spécificités de la série.

En creusant plus que jamais la caste mandalorienne, son passé traumatique et son mode de vie, la création de Jon Favreau prouve que son socle “starwarsien” dépend de cette société isolée et de ses gimmicks dépaysants. Des mantras répétés ad nauseam ("This is the Way" is the new "May the Force be with you") aux créatures à fort potentiel mythologique (le Mythosaure), il y a une manufacture plutôt maline de cette identité et de ses caractéristiques. C’est de cette façon que Star Wars s’impose dans l’imaginaire collectif, alors que peu de projets sous l’égide de Disney sont parvenus à créer ce genre d’effervescence.

Par rapport aux premières saisons, il est d’ailleurs rassurant de voir que The Mandalorian ne se contente pas de capitaliser sur ses idées les plus opportunistes, à commencer par ce meme sur pattes qu’est Grogu. Et cela tient sans nul doute à la simplicité de son approche, qui assume de resserrer son intrigue, et d’explorer la dimension pulp de Star Wars.

 

The Mandalorian : photo"Hey ! Mais c'est les minables !"

 

À grands coups de crocodiles géants, de dragons et de pirates de l’espace, cette saison 3 retrouve un souffle aventureux, soutenu par une technique de plus en plus solide, voire époustouflante pour une série télévisée. Qu’il s’agisse de l’emploi du fameux StageCraft ou des séquences où les CGI prédominent, The Mandalorian arbore une qualité visuelle impressionnante, et peut désormais se reposer sur des cinéastes affirmés dans l’exercice, de Rick Famuyiwa à Dave Filoni en passant par Bryce Dallas Howard.

Pour sûr, sa charpente narrative, où les épisodes alternent entre le développement de l’intrigue principale et des quêtes secondaires de RPG donnent à l’ensemble une certaine légèreté, et la sensation de pouvoir suivre chaque semaine une pastille qui ne prétend jamais réinventer la roue. Le problème, c’est que les qualités évidentes de la démarche (l’imaginaire sans cesse renouvelé de ces aventures annexes) se confrontent à ses limites les plus évidentes, à commencer par la lourdeur de certains épisodes filers.

 

The Mandalorian : photo, Katee SackhoffSortir l'artillerie lourde

 

Pourtant, la saison 3 se démarque par sa fausse simplicité, puisque tous ses éléments de narration se révèlent être en lien avec le retour de l’Empire et celui de Moff Gideon. Il faut bien admettre que cette façon de retomber sur ses pattes est loin d’être réussie, mais ce défaut confirme à quel point The Mandalorian est à l’heure actuelle précieuse pour Disney : la série est parvenue à s’imposer en hub central pour tout un pan de la mythologie, qui réunit sous une même bannière tous les enjeux de cette période, quitte à parfois faire rentrer le carré dans le rond.

En attendant que le film confié à Dave Filoni vienne conclure le “Mandoverse”, The Mandalorian sert de chef de file dans une chronologie de plus en plus divisée en blocs distincts. La dernière Star Wars Celebration a plus que jamais mis en avant cette frise, et en particulier l’émergence de la Haute République, cette nouvelle zone à défricher se déroulant 200 ans avant La Menace fantôme. Si les comics et les romans commencent à approfondir ce nouveau terrain de jeu, la série The Acolyte espère avoir le même impact que The Mandalorian : être un vent de fraîcheur et les fondations d’un renouveau de la franchise.

 

The Mandalorian : photo, Pedro Pascal, Katee Sackhoff, Emily Swallow"Poussez-vous, les cosplayeurs"

 

Politique des hauteurs

C’est aussi pour cette raison que la réception mitigée de la saison 3 de The Mandalorian peut inquiéter Lucasfilm et sa stratégie. Comme avec Andor, les séries Disney+ assument désormais qu’elles ne peuvent pas plaire à tout le monde, et préfèrent assumer à la fois leur ton et le fait de s’adresser en premier lieu aux fans de l’univers étendu (ou du moins d’une partie de l’univers étendu). Ici, Dave Filoni a les coudées franches pour tout connecter, et The Mandalorian donne le tournis par sa manière de rassembler le passé et le présent, de Star Wars : Rebels à Ahsoka jusqu’au retour tant fantasmé du Grand Amiral Thrawn.

Pour autant, le format sériel est loin de limiter Star Wars à de petites aventures plus ou moins reliées entre elles pour le simple plaisir de la variété. À vrai dire, même les passages les plus anodins (osons dire poussifs) de The Mandalorian portent en eux les germes d’une idée passionnante. Le meilleur exemple ? L'épisode 6 de cette saison 3, et son enquête tendance Scooby-Doo au milieu de droïdes mal reprogrammés.

S’il s’agit sans peine d’un des chapitres les plus anecdotiques de la série (malgré sa multitude de caméos, de Jack Black à Christopher Lloyd en passant par Lizzo), l’escapade sur Plazir-15 se distingue par l’exotisme de cette société alternative, qui s’est reconstruite à sa manière sur les cendres de la République puis de l’Empire. Les droïdes séparatistes reconditionnés ont libéré la population du labeur ingrat, afin de mieux développer la science et les arts dans un système à la fois tenu par la démocratie et la noblesse.

 

The Mandalorian : photo, Katee SackhoffDes parents fiers

 

Une belle façon de montrer que dans l’immensité de l’univers de Star Wars, l’équilibre politique et son homogénéité sont tout bonnement impossibles. Un seul modèle de société ne peut exister, et là réside la base d’un conflit éternel dans la galaxie lointaine, très lointaine... Dans la continuité d’Andor, The Mandalorian explore l’inefficacité de systèmes dans leur volonté d’ordre et d’hégémonie. N’en découle qu’une cascade administrative sans fin, qui laisse sur le bas-côté de nombreuses planètes, broie l’individu et ouvre grand la porte à l’intrusion de l’ennemi.

Il est d’ailleurs amusant de voir que cette dimension kafkaïenne, avec ses suites de bureaux symétriques et ses chaînes de commande inhumaines, est finalement traitée de la même façon dans les deux séries, qu’il s’agisse de l’Empire ou d’une Nouvelle République qui peine à s’instaurer. À l’heure de la réémergence coordonnée de l’extrême droite, en Europe comme en Amérique, Star Wars met en scène avec une forme d’actualité alarmante l’échec programmé de la démocratie, qui peine à rester sur ses gardes face au retour permanent du fascisme.

 

The Mandalorian : photo, Giancarlo Esposito"I'm back and I'm bad"

 

L'intérêt de la parenthèse

Face à cette pluralité des points de vue, les séries ont l’opportunité de consacrer certains chapitres à des apartés, à des regards plus précis et personnels au cœur de cet univers où la politique ne réussit jamais à traiter des problèmes au cas par cas. L’épisode 3 de The Mandalorian a été, en ce sens, la plus belle surprise de cette saison, en se concentrant sur un programme de réinsertion des Impériaux, et sur le destin du naïf Dr Pershing. Délaissé et anonymisé dans l'urbanisme étouffant de Coruscant, l’ancien scientifique fait face à une remise en cause de ses idéaux qui n’est jamais accompagnée ou prise en considération par la République, trop occupée à démanteler le moindre vestige de l’Empire.

Ces pas de côté sont ainsi l’occasion parfaite de capter une forme de désillusion, loin des protagonistes principaux et de leurs exploits héroïques. Bien sûr, cette façon de présenter plusieurs champs de bataille et autres complots en simultané aide grandement Disney et Lucasfilm dans leurs justifications d’essorage de la franchise Star Wars, mais son monde se voit confronté à une nouvelle réalité : quels que soient les enjeux des diverses productions et leur résolution, il y a toujours d’autres problèmes ailleurs.

 

The Mandalorian : photo, Omid AbtahiL'enfer administratif made in Star Wars

 

Lors d’une courte scène de l’épisode 3 de The Mandalorian, Pershing se retrouve entouré par des politiciens de Coruscant, qui admettent sans honte qu’ils se sont adaptés aux désidératas de l’Empire, puis à ceux de la Nouvelle République. Rien ne change, et le désespoir gangrène l’univers, de sorte à le sortir de l’aspect manichéen de la trilogie originale. Star Wars évolue en même temps que le format de ses récits, afin de s’attarder sur des protagonistes qui se demandent s’ils sont du bon côté, si tant est qu’il y en ait un.

Certains passages d’Andor, et quelques épisodes de The Bad Batch (dont l’excellent chapitre 12 de la saison 2, dans cet avant-poste reculé où Crosshair voit ses frères clones servir de chair à canon) ont joué avec ces mêmes possibilités, de sorte à donner au format sériel une saveur particulière dans la chronologie de Star Wars, globalement douce-amère.

 

The Mandalorian : photo, CoruscantLe coeur du mal ?

 

Recoller les morceaux

Dès lors, même si Din Djarin et Bo-Katan sont parvenus à détruire la base cachée de Moff Gideon, leur action n’est qu’une énième goutte d’eau dans l’océan. Certains ont été déçus de voir cette saison 3 refermer la plupart de ses portes narratives, et de s’offrir une fin sans trop d’amorces pour la suite. Néanmoins, on sait bien que le statu quo instauré n’est qu’un calme avant la tempête à venir, qui va obliger Mando à reprendre du service.

Dans tous les cas, les événements de The Mandalorian ne pourront pas éviter la naissance du Premier Ordre, que la postlogie n’a même pas pris la peine de justifier. Certes, il est logique pour une saga qui a toujours joué sur la répétitivité des mythes de faire encore ressurgir le Mal comme une ritournelle, mais les séries essaient de recoller les morceaux d’une trilogie décevante, et de donner de la chair à cette désillusion politique laissée en suspens.

 

The Mandalorian : photo, Jon FavreauL'arme élégante d'une époque (moins) civilisée

 

Et c’est là que réside le délicieux paradoxe des séries Star Wars. Alors que la franchise est surexploitée par la plus emblématique des méga-corporations capitalistes, The Mandalorian, Andor ou The Bad Batch ne parlent finalement que d’une chose : de la nécessité de la réunion des forces et de la révolution face au retour permanent d’un "empire” désireux de tout contrôler.

Mais contrairement à Andor, qui a peiné à trouver un public déjà désintéressé par la franchise, The Mandalorian a réussi (jusque-là) à trouver un équilibre encore précaire, mais précieux : retrouver l’insouciance pulp et imaginative de Star Wars, et insuffler au cœur du divertissement des inquiétudes on ne peut plus contemporaines. Reste maintenant à voir si ce programme, généreux, mais foutraque, peut vraiment tenir sur la durée.

Tout savoir sur The Mandalorian

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commentaires
Matrix R
15/09/2023 à 23:04

Arrêtez les frais. La saison 3 est sans logique scénaristique. Tu as l'impression que l'impression que le showrunner a déserté le plateau de tournage.
J'attends Andor. 2Les séries de l'univers c'est fini pour moi

Yoyo
27/04/2023 à 22:55

Écran large n’est jamais content de toute façon… on peut pas juste dire que cette série (thé Mandalorian) est une réussite et que les séries à venir seront certainement de qualité ! Au lieu de tout critique tout le temps !

Fredo du 62
24/04/2023 à 22:56

"À l’heure de la réémergence coordonnée de l’extrême droite, en Europe comme en Amérique," Pas complotiste du tout...
"Star Wars met en scène avec une forme d’actualité alarmante l’échec programmé de la démocratie," La faute à qui ? fatalisme ? Nihilisme ?
"qui peine à rester sur ses gardes face au retour permanent du fascisme." Retour permanent du fascisme ? Où ça ? Lequel ? C'est une théorie de l'histoire ?
Une des premières armes du totalitarisme, c'est de priver les mots de leur sens.

Jean Claude Convenant
24/04/2023 à 11:56

"Et c’est là que réside le délicieux paradoxe des séries Star Wars. Alors que la franchise est surexploitée par la plus emblématique des méga-corporations capitalistes..." Dans 1984 (déjà), il y avait la Fraternité d'Emmanuel Goldstein. L'ordre établit qui alimente lui même un mouvement de rébellion, ce n'est pas si paradoxal que cela.

Ano
23/04/2023 à 21:33

Il y aura toujours des mécontents.

Pour ma part j'avais adoré le 4.5.6 puis j'ai de plus en plus décroché a star Wars jusqu'à ne plus m'y intéressé.

Et là, j'adore , justement on voit d'autres facettes de cet univers génial.

Pas besoin de jedi dans chaque star Wars, que sa soit the mandalorian, Boba fett, obi wan ou encore Andor j'ai adoré !

Des fois faut prendre du recul et se dire, que ce n'est pas obligé de rester dans les même cases.

Ground Zero
22/04/2023 à 15:05

Gauche/Droite c'est pareil. C'est pourquoi il y a une crise démocratique. Il y a un parti unique libéral de droite ou de gauche. Quelle différence ? D'où la forte abstention au vote. D'où le désintéressement de la population à la politique. Il y a un divorce évident avec la masse et l'élite.

Eddie Felson
22/04/2023 à 14:57

@lot
Et après on se plaint de bouffer toujours le même plat! Mais tu as raison, pour faire de l’audience il ne faut pas toucher à la recette et servir la même soupe encore et encore!

Lot
22/04/2023 à 08:02

le probleme c est que Star Wars avait une aura de fiction pulp..grand public..l empire..les jedis..
si tout ça n est plus présent... et qu on prend un ton radicalement différent..forcement les gens ne vont pas suivre..
le manque d audience de Andor n est pas surprenant..ou alors il aurait fallu l appeler autrement..

C.Kalanda
22/04/2023 à 05:17

Belle écriture Antoine. Le parallèle kafkaïen donnerait presque envie de revoir l’épisode 6. Et de réaliser aussi que ce pauvre Dr Pershin finit bien mal…(je l’avais oublié et j’e pensais qu’il apparaîtrait à nouveau). C’est même peut être l’un des pires sort vue dans la saga.

Eddie Felson
22/04/2023 à 00:23

@Altaïr
Tu dis “ Peut-être que cette noirceur en écho avec le monde réel a douché toute envie chez le spectateur pas averti de continuer à regarder jusqu'à la fin. ”
Effectivement, c’est bien le constat que je posais un peu plus bas en écrivant qu’avec ce type d’écriture, plus noire, moins récréative, plus intéressée par les tourments intérieurs de ses protagonistes que par leur gesticulation sur fond vert, rien d’étonnant à ce que l’audience ne soit pas au rendez-vous pour cette réussite qu’est Andor.
On est d’accord, quand on écrit pas léger, récréatif, spectaculaire et sans fond, juste pour la satisfaction des pupilles du bouffeur de pop corn on déçoit l’audience et on tire à côté de la cible estampillée “temps de cerveau disponible”.
Le contre exemple, c’est Avatar 2 la voie de l’eau, un joli coquillage qui sonne creux et qui n’a pas bu la tasse et à provoqué un raz de marée en salles! Tonnerre de Brest;)

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