Prehistoric Park : le meilleur descendant des dinosaures de Jurassic Park

Mathieu Jaborska | 8 avril 2023
Mathieu Jaborska | 8 avril 2023

Bien avant Adam Driver, le seul et unique Nigel Marven vadrouillait en pleine préhistoire pour observer ou sauver dinosaures, mammouths et Mosasaures. Comme Jurassic Park plus de 10 ans auparavant, les séries Safari Prehistorique et Prehistoric Park ont élevé une génération d'aspirants paléontologues, qui n'attendaient plus que l'invention de la machine à remonter le temps.

"Bienvenue dans la plus incroyable réserve animalière du monde. Bienvenue à Prehistoric Park." En France, ce délicieux générique fut diffusé pour la première fois sur M6 fin 2006. Produit par Impossible Pictures, le documentaire familial met en scène Nigel Marven, "zoologiste et aventurier" habitué à frôler la mort et les mâchoires des plus carnassières des bestioles ayant foulé la planète Terre, sans pour autant se départir de son sourire bienveillant.

Il n'en était pas à son coup d'essai. En 2003, il pratiquait le Safari préhistorique dans la série du même nom. Il y croisait quelques carnivores terrestres... ainsi que plusieurs monstres marins tout simplement terrifiants. Ses aventures temporelles ont marqué la télévision anglaise et française du début des années 2000.

 

Safari préhistorique : photoThis is fine

 

Dépenser sans compter

Avant Nigel Marven, il y avait Sur la terre des dinosaures. En 1996, la BBC cherche à investir dans un programme sur la paléontologie, à la mode depuis Jurassic Park. Tim Haines, producteur spécialisé dans la science pour la chaine, suggère alors d'utiliser les technologies développées pour le long-métrage de Spielberg afin de créer un documentaire d'histoire naturelle... avec des dinosaures. Un projet trop ambitieux : le prix des CGI à l'époque est bien supérieur à un budget de série télévisée. Haines se rabat donc sur une observation des insectes, avec de rares apparitions de reptiles géants.

Du moins jusqu'à ce qu'il rencontre Mike Milne de Framestore, lequel se démène pour réduire les coûts d'animation. Les deux passionnés tournent un pilote de 6 minutes et parviennent à convaincre la BBC, Discovery et BBC Worldwide de produire la série complète. En 1999, après six mois de recherche, six mois de tournage et un an d'animation (18 mois de production en tout selon l'universitaire Michael J. Benton), Sur la terre des dinosaures est enfin diffusée sur la BBC, narrée par Kenneth Branagh (remplacé par André Dussollier pour la version française).

 

Sur la terre des dinosaures : photoUn T-Rex, c'est bien. Deux T-Rex, c'est mieux.

 

C'est un succès immédiat et ultra spectaculaire. Toujours selon Benton, la première diffusion anglaise est suivie par 19 millions de téléspectateurs. Fin 2000, ce seront 200 millions de personnes à travers le monde qui auront marché sur la terre des dinosaures. La BBC ne remet pas une pièce, mais un lingot d'or massif dans la machine dinosaurienne. Elle relance l'intérêt du grand public pour le documentaire paléontologique, inspire quantité de programmes similaires, souvent moins bons, et se décline en livres, en expositions, en spectacles, en jeu vidéo et même au cinéma en 2013, avec une adaptation très mal reçue.

Bien entendu, après l'épisode spécial The Ballad of Big Al, une suite est vite commandée, toujours sous la houlette de Tim Haines. Sur la Terre des monstres disparus a pour ambition de documenter le quotidien de mammifères bien moins médiatisés. Le succès est forcément moindre, mais toujours largement au rendez-vous. C'est à ce moment que Haines crée sa propre compagnie de production aux côtés de Jesper James : Impossible Pictures. Ils se lancent alors dans deux nouveaux épisodes spéciaux de Sur la terre des dinosaures, sur le même principe, à un détail près...

 

Sur la terre des dinosaures : photo"Ça manque d'un humain à courser, non ?"

 

L'aventurier ultime

En effet, la série diffusée en France sous le titre Safari Préhistorique est en fait composée de deux épisodes spéciaux de Sur la terre des dinosaures, ainsi que de la mini-série en trois épisodes Sea Monsters, les deux entités ayant en commun la participation du fameux Nigel Marven. Celui-ci officiait jusqu'à 1998 dans la filiale BBC Natural History Unit à Bristol. Dès 1998, il migra sur ITV, où il a pu présenter des documentaires comme Bloodsuckers (tout est dans le titre), la série Wild, Wild World ou Giant Creepy Crawlies (un pur cauchemar). Au début des années 2000, Haines lui propose un boulot très particulier.

« Tim Haines avait vu mes films sur les reptiles modernes, alors il m'a téléphoné et il m'a dit : "Ça te dirait de remonter le temps pour observer des dinosaures ?". Il venait de réaliser la fabuleuse série Sur la terre des dinosaures. Et évidemment, j'ai sauté sur l'occasion. Bien sûr, il ne pouvait pas me transporter au temps des dinosaures, mais il pouvait les recréer pour moi par ordinateur », résume avec sa bonhommie habituelle Marven dans les bonus du DVD.

 

Safari préhistorique : photoCharge de CRS préhistorique

 

L'idée est excellente : le présentateur permet à la fois de donner le change aux inconditionnels de la série originale et d'introduire une référence humaine pour mesurer la taille des bestioles décrites. Deux motivations assumées par Haines et James, chacun chargé d'un épisode spécial, ravis de parfaire l'échelle de leurs créations et de pouvoir s'appuyer sur un fil rouge. Bien entendu, ce choix impose de nouveaux défis, comme les interactions entre effets spéciaux et humains, particulièrement complexes.

De plus, il faut tout filmer sur place, avec un comédien, des animatroniques et pléthores de CGI (Computer Generated Images, images générées par ordinateur). Une anecdote, la plus célèbre, représente bien le problème. Le présentateur a déjà côtoyé requins, crocodiles, sangsues et tutti quanti, sans jamais subir une seule blessure. Lors de la toute première session de tournage de The Giant Claw, il s'arrache un ongle et enroule donc son doigt dans un bandage, afin d'éviter une infection. Une mésaventure qui cause un sacré problème de continuité. L'équipe est forcée de lui inventer une blessure, causée par une capture maladroite de Mononykus.

 

Safari préhistorique : photo"Eh oui Jamy"

 

Grâce à ces deux épisodes spéciaux de Sur la terre des dinosaures, Marven et son enthousiasme inattaquable (y compris lorsqu'il se fait courser par un prédateur furieux) entrent dans le coeur des jeunes amateurs de dinosaures. D'autant que le diptyque The Giant Claw Land of Giants, les deux premiers épisodes de Safari Préhistorique en France, donc, met en scène des reptiles moins célèbres que le Tyranosaure et compagnie, déjà montrés dans la première série. Plusieurs dizaines d'années avant Jurassic World 3, il invoque déjà le Giganotosaurus et l'incroyable Therizinosaurus, cet animal aux longues griffes. Pourtant, le voyageur temporel n'a encore rien vu...

 

Safari préhistorique : photoLa Griffe du passé

 

Piège en haute mer

Convaincu par la prestation de "l'aventurier-zoologiste", Jasper James approche Nigel Marven pour une autre production Impossible Pictures, Sea Monsters, en trois parties qui deviendront donc les trois derniers épisodes de Safari Préhistorique en France. La promesse est énoncée dès l'introduction du premier épisode : "Ce que Nigel va apprendre sur la préhistoire, c'est que peu importe à quel point ça tourne mal sur terre, ce qu'il ne faut jamais, jamais faire, c'est aller dans l'eau". Le concept est simple : Marven se met en tête de nager dans les 7 mers les plus dangereuses de l'Histoire terrestre. Un Sur la terre des dinosaures aquatique, en somme, mais avec notre casse-cou préféré en prime.

Les effets numériques proviennent toujours de Framestore, les animatroniques de Crawley Creatures. Le budget reste très élevé pour un documentaire (3 millions de livres) ou même pour une production télévisuelle. Un an et demi est nécessaire, selon le journal allemand Spiegel, afin de donner vie aux légendaires élasmosaures (au coeur de la guerre des os des années 1870), mosasaures et bien sûr mégalodons.

 

Safari préhistorique : photoFree Kaiko

 

Sea Monsters assume plus que jamais les grosses composantes du succès des Sur la trace... : les dents et le sens du danger. Le pauvre Nigel fait office d'appât, coincé dans une cage hyper-résistante. Et même quand il rechigne à l'exercice, il se retrouve malgré lui nez à nez avec des carnivores sous-marins gigantesques, de plus en plus spectaculaires. La série tutoie à de nombreuses reprises le cinéma d'aventure pur, au point de multiplier les cliffhangers délirants. D'ailleurs, bien qu'il reste adressé à un public familial, il peut paraître assez effrayant, par exemple lorsque le zoologiste attend patiemment qu'un super-prédateur montre le bout de son museau.

Une approche généreuse qui attise des critiques émises depuis le début de la première série et que la BBC elle-même relaie dans un article de 2003. Selon certains scientifiques, cette propension à la fiction empêche la précision de la reconstitution, sans compter les approximations. « On dirait qu'ils pensent que le public est si stupide qu'il ne peut pas apprécier le spectacle des animaux par lui-même », regrette le professeur Richard Dawkins, célèbre vulgarisateur.

 

Safari préhistorique : photoLE NOUVEAU LINKIN PARK EST ARRIVÉ

 

« Peut-être que l'expression "nivellement par le bas" est surfaite. Mais n'est-ce pas au moins dédaigneux et condescendant quand les gens de la télévision supposent, sans lui demander, que leur public ne peut pas avoir affaire à la science à moins d'être gavé d'anecdotes personnelles ? ». Il a même rajouté : « dans les derniers programmes de Nigel Marven, ils ne font pas la moindre différence entre ce qui est de l'ordre de la connaissance et ce qui est de l'ordre de la conjecture ». Ce à quoi Jasper James a répondu : « Je ne pense pas que ce soit condescendant. Si vous pouvez apprécier l'histoire d'un programme tout en apprenant quelque chose, c'est super ». Et ce n'est pas sur le point de s'arrêter.

 

Safari préhistorique : photoPas du tout flippant

 

Dinotopia

La saga des Sur la terre... continue encore après Sea Monsters. La même année, la BBC tourne sans Tim Haines ni Nigel Marven Walking with Cavemen, s'intéressant aux premières heures de l'humanité. De son côté, Impossible Pictures développe Space Odyssey, un temps titré Walking with Spacemen. En 2005, la chaine anglaise s'attaque à l'ère précédant les dinosaures avec Sur la terre des géants. La série réunit 4,6 millions de spectateurs, beaucoup moins que ses prédécesseures, avec toujours un budget conséquent.

En 2006, la BBC diffuse Planète Terre avec David Attenborough, qui rencontre un succès bien supérieur (plus de 9 millions de spectateurs pour le premier épisode sur une semaine, plus les 6 millions de la chaine Discovery aux États-Unis). La méthode de Tim Haines est légèrement tombée en désuétude et les exécutifs de la chaine décident de passer à autre chose. « Pendant longtemps, les CGI étaient synonymes de gros budget et sont devenus essentiels pour générer de bonnes évaluations », explique à The Guardian le producteur exécutif Martin Davidson, « mais ce n'est plus le cas. Après Planète Terre, les gens s'attendent à ce que vous soyez sur le terrain. Les CGI ne sont plus les atouts qu'ils étaient autrefois ».

 

Prehistoric Park : photoWelcome... to Prehistoric Park (lalala lala)

 

C'est probablement la raison pour laquelle Impossible Pictures migre chez ITV, la concurrente directe de la BBC, pour sa prochaine production. Prehistoric Park est composée de 6 épisodes et accentue encore le grand spectacle qui a valu quelques critiques à ses auteurs : Nigel y rencontre toutes sortes d'animaux, dinosaures ou non, peu importe le créneau temporel. Une seule règle : retrouver les stars du règne animal. Marven l'avoue lui-même dans le making-of : « Bien sûr, nous voulions les plus célèbres des espèces éteintes : le tigre à dent de sabres, le T-Rex... ».

Nouvelle concession : le voyage dans le temps est carrément intégré à la narration, via un portail. Et les épisodes sont mieux connectés scénaristiquement. La frontière entre la fiction post-Jurassic Park et le prétexte documentaire s'estompe. La série n'en reste pas moins extrêmement divertissante, surtout quand elle met en scène insectes géants et crocodiles affamés. Avec le temps, Nigel Marven est devenu un Indiana Jones préhistorique, outrepassant un tantinet les limites pédagogiques originales.

 

Prehistoric Park : photoUn peu plus fun que le zoo du coin

 

Impossible Pictures enchainera avec un téléfilm Frankenstein, toujours pour ITV, puis embrasera complètement l'industrie de la série de science-fiction avec Primeval, a.k.a Nick Cutter et les portes du temps. En 2009, Nigel Marven y fera même une apparition.

De son côté, l'aventurier-zoologiste continuera à faire ce qu'il sait faire de mieux : parcourir le globe à la recherche d'animaux divers, bien réels cette fois, dans de nombreux documentaires, et ce jusqu'à aujourd'hui. En 2022, il a même versé dans le divertissement vidéoludique avec l'extension amateur Minecraft: The Giant Dinosaur Adventure et le jeu de gestion Prehistoric Kingdom, dans lequel il a son propre avatar. Il n'y a pas une époque ou un médium qu'il ne saurait explorer.

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