Last Chance U : pourquoi il faut regarder le Foot Metal Jacket de Netflix

Arnold Petit | 11 août 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Arnold Petit | 11 août 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Cette petite pépite vient de s'achever avec sa cinquième saison et mérite toute notre attention.

Bien avant de montrer les coulisses du championnat de Formule 1 dans Formula 1 : Pilotes de leur destin ou de raconter l'histoire de Michael Jordan et de la dynastie des Chicago Bulls dans les années 90 avec The Last Dance (dont on parle par ici), Netflix s'était déjà illustré avec virtuosité sur le terrain de la série-documentaire sportive avec Last Chance U. Un programme aussi passionnant que bouleversant, dont la cinquième et dernière saison est disponible depuis le 28 juillet.

Retour sur cette série à ne pas rater, réalisée en grande partie par Greg Whiteley, mais également Daniel McDonald, Adam Ridley, Luke Lorentzen et Jason Arnot.

 

photo, Last Chance UBienvenue dans le monde impitoyable du football universitaire



BONFIRE

Lancée en 2016, Last Chance U est une série-documentaire qui suit des équipes de football universitaires de la National Junior College Athletic Association (couramment appelée JUCO), des endroits où atterrissent les joueurs qui sont en échec scolaire ou qui n’ont pas réussi à retenir l’attention des équipes de la NCAA, l’élite du football américain universitaire.

Lors des deux premières saisons, les caméras de Greg Whiteley se sont installées dans la petite ville de Scooba, un coin paumé du Mississippi d’environ 700 habitants qui a vu son quotidien tranquille être chamboulé par l’étonnante réussite de l’équipe de football de l’université locale, les Lions de l'East Mississippi Community College (ou EMCC). Un succès occasionné par le coach Buddy Stephens et son programme reposant sur des joueurs bourrés de talent, mais qui avaient laissé passer leur chance à cause de résultats déplorables ou parce qu'ils avaient commis des délits. Des gamins brisés, meurtris, issus de milieux défavorisés, qui ont rejoint cet espèce de purgatoire du football américain au milieu de nulle part pour tenter d'intégrer (ou de réintégrer pour certains) la tant convoitée Division-I, seul moyen d'attirer l’œil des recruteurs des équipes de la NFL.

En dehors du terrain, la conseillère Brittany Wagner essayait tant bien que mal de les guider dans leur éducation, en s’intéressant à eux en tant que personnes et non pas en fonction de leur capacité à lancer ou rattraper le ballon. Parce que pour prétendre au niveau supérieur, les joueurs doivent briller lors des matchs, mais aussi pendant les cours, en obtenant de bons résultats sous peine de voir leur rêve leur passer sous le nez.

 

photo, Last Chance UBuddy Stephens, le bourreau des Lions de Scooba


Impossible de ne pas penser à Friday Night Lights et aux Panthers de la ville de Dillion entraînés par le charismatique Eric Taylor (incarné par Kyle Chandler). Sauf que contrairement au film et à la série de Peter Berg, qui s’inspirent des écrits du journaliste H. G. "Buzz" Bissinger, la fiction n’a pas sa place dans Last Chance U. Les victoires, les défaites, les blessures, les émotions, les espoirs et les déceptions sont celles de véritables êtres humains, dont le football est le seul exutoire, mais peut-être aussi la seule opportunité de se reconstruire et de fuir la délinquance, la pauvreté ou leur passé.

Après deux saisons aux côtés des Lions d’EMCC, la série-documentaire s’est ensuite tournée vers les Pirates de l'Independence Community College, dirigés d’une main de fer par le tyrannique coach Jason Brown. Un personnage irascible et vulgaire qui était parvenu à amener l’équipe plus loin qu’elle n’avait jamais été, notamment grâce au talent de son quarterback Malik Henry, mais dont les qualités d’entraîneur ont rapidement été contestées par les joueurs et les habitants d’Independance.

Incapable de se remettre en question ou d’adapter sa méthode d’entraînement, Jason Brown a continué de pousser les Pirates dans leurs retranchements lors de la quatrième saison, jusqu’à saborder son équipe et être obligé de démissionner en raison de son traitement abusif envers les joueurs.

 

photoJason Brown, le cauchemar des Pirates d'Independance

 

THE MOST DANGEROUS GAME

Pour cette cinquième et dernière saison, Greg Whiteley et son équipe ont décidé de quitter les petites villes rurales du fin fond des États-Unis pour prendre la direction d’Oakland, en Californie, où se trouvent les Eagles du Laney College, entraînés par John Beam. Un vieux coach avec avec une moustache tombante et 40 ans d’expérience derrière lui durant lesquelles il a mené plus d’une vingtaine de joueurs en NFL, ce qui lui a valu le surnom de « Parrain du football d’Oakland ».

Plutôt que de haranguer ses joueurs comme pouvaient le faire Buddy Stephens ou Jason Brown, John Beam les stimule, les réconforte lorsqu’ils en ont besoin et s’inquiète de leur bien-être, aussi bien physique que psychologique, mais aussi de leur avenir, qu’il sait incertain. D’autant que le système universitaire californien est bien différent de ceux du Mississippi ou du Kansas : le Laney College ne dispose pas de bourses d’études ou de campus où peuvent vivre les étudiants, ce qui les force à devoir trouver leur propre logement, souvent à un prix indécent.

 

photo, Last Chance UJohn Beam, le sage d'Oakland

 

Ce changement d’ambiance se ressent pendant les matchs, où les gradins d’habitude remplis par les habitants de la ville restent désespérément vides, mais également dès le générique. Les traditionnelles fanfares sont remplacées par le batteur Chukwudi Hodge, originaire d’Oakland, qui joue seul, en pleine nuit, au milieu d’une rue, devant un graffiti situé entre un magasin d’alcool et une laverie.

Avec un merveilleux travail de réalisation, du montage à la photographie en passant par la bande-son, Last Chance U dévoile les arcanes d’un sport rugueux et exigeant, dans tous les domaines. En plus des joueurs et du coach, la série-documentaire interroge également les enseignants, les conseillers d’orientation, les membres de leur famille et les habitants de la ville, de sorte à pousser l’immersion encore un peu plus loin. La caméra s'immisce derrière l'épaule de tous les membres de l'équipe, capturant ainsi les gestes, les remarques et la moindre réaction émotionnelle qu'engendre une action de jeu.

 

photo, Last Chance ULe calme avant la tempête


Au lieu d'une présentation sommaire de tout le monde, la série-documentaire s'attarde sur certains membres de l’effectif, qu’on découvre au fur et à mesure des épisodes. Il y a des joueurs exubérants et présomptueux, comme ceux des autres équipes, qui se retrouvent exposés suffisamment longtemps aux caméras pour dévoiler leurs aspirations, mais aussi leurs faiblesses et leurs traumatismes. Il y a aussi des personnalités singulières et attachantes, comme Nu’u Taugavau, qui doit choisir s'il veut poursuivre son rêve ou rester auprès de sa femme et de ses filles ; ou Rejzohn Wright, un cornerback qui marche sur les traces de son frère et dont la famille porte encore les stigmates de la mort de son père, tué dans une rixe à la sortie d’une boîte de nuit alors qu’il essayait d’apaiser la situation.

Mais cette année, Last Chance U s’éloigne un peu de l’aspect sportif pour se pencher de manière plus intime sur la vie des membres de l’équipe. Un choix sans doute contraint par la pandémie de Covid-19 et le report de la saison de football au printemps 2021, mais qui permet à la série-documentaire de démontrer que le football américain est un sport qui occupe une place prépondérante dans la culture américaine, et qu’il est aussi un lien social et un moyen d’échapper à sa condition, sociale ou familiale.

 

photo, Last Chance UNu’u Taugavau, tiraillé entre ses ambitions et sa vie de famille

 

THIS IS AMERICA

Last Chance U n’est pas qu’une série-documentaire sur le football américain. Par le biais de ces différentes équipes, elle s’est toujours efforcée d’aborder des sujets plus vastes, dressant ainsi un portrait brutal et poignant des États-Unis. De manière subtile, la série-documentaire traite du racisme systémique et des violences policières, deux thèmes contre lesquels Colin Kaepernick, l’ancien quarterback des 49ers de San Francisco, a protesté publiquement en 2016 en s’agenouillant durant l’hymne national américain, et qui ont une résonance encore plus actuelle à l’heure du mouvement Black Lives Matter.

Lors d'un épisode, John Beam fait venir un ancien élève de Laney, devenu policier, pour qu’il parle avec les joueurs. D’emblée, le coach leur demande combien ont déjà été maltraités par la police, et une dizaine de mains résignées se lèvent dans la classe.

 

photo, Last Chance UD'épaisses couches pour cacher les blessures


Les saisons précédentes mettaient en lumière des communautés vivant au rythme des performances de leur équipe, chaque match étant un évènement à part entière dans ces petites villes, mais aussi les dysfonctionnements du système éducatif américain à travers le parcours des étudiants, quasiment livrés à eux-mêmes avant de débarquer dans les établissements de JUCO.

Au milieu de ce nouvel environnement californien, Last Chance U décide de parler de l’implacable gentrification d’Oakland. En l’espace de quelques années, la ville s’est considérablement développée avec l’émergence de grosses sociétés, ce qui a entraîné une flambée des prix de l’immobilier et l’aménagement de nouvelles infrastructures. De jeunes cadres dynamiques viennent s’installer toujours plus nombreux dans des immeubles fraîchement construits, au détriment de l'héritage culturel et de certaines familles, principalement issues de minorités, contraintes de déménager vers les municipalités voisines d’Antioch, Pittsburg ou Brentwood, quand elles le peuvent, ou de vivre dans la rue, comme les centaines de sans-abris que recueille la ville.

Une situation qui touche les joueurs, les assistants coach, John Beam et une grande partie de la population d’Oakland. Rejzohn Wright se retrouve obligé de faire deux heures de route aller-retour chaque jour pour pouvoir assister aux cours et aux entraînements, tandis que Dior Walker-Scott choisit de dormir dans sa voiture, afin de rester à proximité de l’université et du fast-food dans lequel il travaille la nuit.

Ces éléments, plus humains que sportifs, font que la cinquième saison n’est peut-être pas la plus palpitante, mais sans doute la plus aboutie.

 

photoUne souffrance aussi bien sur le terrain qu'en dehors

 

Loin de l’image fantasmée du quarterback beau-gosse avec son blouson, sa mèche blonde et les troupes de cheerleaders à ses pieds, Last Chance U est une preuve de l'abnégation et la résilience que réclament le football américain, déjà au niveau universitaire, et dévoile toute l'humanité qui se cache derrière les placages, les insultes et les paillettes.

Après cette cinquième saison et Cheer, une série-documentaire bâtie sur le même modèle à propos de la meilleure équipe de cheerleading universitaire des États-Unis, Greg Whiteley a d’ores et déjà annoncé la suite : un spin-off de Last Chance U, mais qui sera cette fois consacré au monde du basketball universitaire, et s’intéressera aux Huskies de l’East Los Angeles Community College. En espérant retrouver ce supplément d'âme qui fait de Last Chance U l'une des meilleures séries-documentaires sportives qui nous ait été donné de suivre.

 

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commentaires
Opale
11/08/2020 à 20:38

Intéressant cette série, tiens je vais jeter un coup d'oeil. En effet, comme écrit par Cinégood, la série All or nothing sur Amazon est aussi bien foutue sur ce sport de fou qu'est le football américain.

Pko
11/08/2020 à 17:35

Plus que d'accord avec vous. Grand show.

Cinégood
11/08/2020 à 14:49

Bravo pour cette critique de cette excellente série qui traite de cette Amérique profonde, des américains ordinaires, un peu comme le fait Friday Night Lights (bien que celle-ci soit une fiction).
Sur Prime il y a All or Nothing, qui nous plonge dans le quotidien d'une équipe de NFL durant une saison. Très bonne série aussi dans le genre.