Sherlock Holmes : retour sur cette série culte des années 80 qui doit beaucoup à Miyazaki

Déborah Lechner | 4 novembre 2023
Déborah Lechner | 4 novembre 2023

Virée nostalgique avec la série animée Sherlock Holmes dans laquelle le célèbre détective privé a croisé la route du tout aussi célèbre Hayao Miyazaki

Depuis que Sir Arthur Conan Doyle a créé un des détectives les plus indétrônables de la littérature, Sherlock Holmes s'est largement imposé dans la culture populaire. Entre les innombrables films tirés de ses enquêtes rocambolesques, et notamment le prochain Sherlock Holmes 3 de Guy Ritchie, ou encore les séries inspirées de son univers comme Elementary ou Sherlock pour les plus récentes, le personnage a évidemment connu une adaptation animée dans les années 80, sobrement intitulée Sherlock Holmes.

 

Sherlock HolmesLe plus grand des détectives...

 

UNE PRODUCTION ANIMÉE

Sans vouloir filer un coup de vieux à tout le monde, Sherlock Holmes a commencé sa production avant même la création du pharaonique Studio Ghibli, quand Hayao Miyazaki était plus connu pour son travail à la télévision (Conan le Fils du Futur) qu’au cinéma, avec Le Château de Cagliostro comme unique film à son actif.

Son premier long-métrage d’animation tourne ainsi autour du petit-fils d’Arsène Lupin, un personnage tiré des mangas et séries Edgar de la cambriole et Edgar, le Détective Cambrioleur pour lesquelles le réalisateur a prêté ses talents dans plusieurs épisodes (aux côtés d'Isao Takahata, un des fondateurs du Studio Ghibli). 

 

photoUne belle collaboration 

 

Après la descendance du cambrioleur gentlemen français de Maurice Leblanc, c’est donc un autre personnage littéraire mythique de la fin du XIXe (cette fois-ci anglais), que le réalisateur a porté sur le petit écran. Mais Sherlock Holmes, coproduction italo-japonaise entre la Rai et TMS débutée en 1981, n’a pas eu une genèse tranquille et a perdu Miyazaki en cours de route. Au bout de six épisodes réalisés par le cinéaste (les 3, 4, 5, 9, 10 et 11), la production s’arrête, apparemment pour des problèmes de droits ou d’investissement côté italien, où travaille pourtant Marco Pagot, le fils et neveu des créateurs de Calimero, dont la série est une idée originale.

Sherlock Holmes repart finalement pour vingt épisodes supplémentaires, menés par Kyosuke Mikuriya (aussi passé par Edgar, le détective cambrioleur), en 1984. Mais il n’aura fallu que quelques épisodes (avec Yoshifumi Kondo, le réalisateur de Si tu tends l'oreille, comme chef-animateur) pour que celui à qui on doit Princesse Mononoké marque la série de son empreinte artistique déjà très affirmée et reconnaissable. 

 

Sherlock Holmes"Miyazaki est passé par là, élémentaire mon cher Watson"

 

POUR REMONTER LA PISTE

Se déroulant dans un monde de canidés et dans une Angleterre victorienne galvanisée par la puissante révolution industrielle, la série arbore une esthétique steampunk aux moyens d’inventions mécaniques délirantes donnant lieu à des courses-poursuites effrénées. Sous l’influence de Miyazaki, Sherlock Holmes fourmille de machines faites de ferrailles, de rouages, de bras articulés et de vapeur, dont certaines semblent même animées d’un souffle de vie.

En plus des véhicules, trains, bateaux, foreuses et autres sous-marins insolites, la série présente surtout de nombreux engins volants, dont l’amour de Miyazaki est largement connu, et notamment une sorte d’avion ptérodactyle rose géant. Le cinéaste a en effet truffé sa filmographie d’avions et machines aériennes en tout genre (dans Porco Rosso, Le Château dans le ciel, Le Vent se lève, Le Château ambulant, ou même Conan Le fils du Futur). On ne sera donc pas étonné qu’entre la production des premiers épisodes de Sherlock Holmes et leur diffusion à la télévision, Miyazaki ait réalisé un certain Nausicaä de la vallée du vent, où l’héroïne se plaît à arpenter les cieux. 

 

photo, Sherlock HolmesNe laissez pas filer le bandit

 

Si le réalisateur a une attirance flagrante pour la conquête du ciel, sa filmographie regorge également de personnages féminins forts prenant part à l’action (Nausicaä, Dame Eboshi et Princesse Mononoké, Chihiro, Fio dans Porco Rosso ou encore Kiki la petite sorcière). Ce féminisme se ressent dans la série et particulièrement dans les épisodes de Miyazaki, où les femmes ont une place plus importante que dans les écrits de Conan Doyle.

Ainsi, la très jeune Martha de l’épisode La petite cliente, s’avère aussi énergique et têtue que Ponyo ou Mei de Mon voisin Totoro, tandis que dans Le rubis bleu, Polly, une orpheline pickpocket effrontée, mais surtout courageuse et intrépide, partage quelques traits de caractère avec Sheeta du Château dans le ciel. Mais le personnage qui a le plus bénéficié de ce traitement qu’on dirait aujourd’hui opportuniste est la logeuse de Sherlock, Mme Mary Hudson (Yôko Asagami/Françoise Pavy). Cette fois dotée d’un prénom, l’intendante de la série animée est très différente de sa version littéraire, à laquelle l’écrivain a porté peu d’attention.

 

photoQuand le loyer arrive en retard 

 

Mary Hudson est ainsi présentée pendant neuf épisodes comme une ravissante jeune femme, tellement douce et serviable qu’elle peut faire fondre le coeur de n’importe qui. Mais arrivé au dixième épisode, Miyazaki creuse ce personnage très secondaire (et assez inutile) dont on ne connaissait pratiquement rien. Dans L’Aéropostal, en pleine séance de jardinage, Mary lâche son arrosoir et dégaine une hache pour aller sauver un pilote prisonnier de son avion (encore un !) qui vient de s’écraser, surprenant autant les téléspectateurs que Watson et Holmes.

On apprend également que la jeune femme était une passionnée d’aviation jusqu’à la mort de son mari dans un crash, mais aussi qu’entre deux "tea time", Mme Hudson peut se transformer en tête brûlée n’hésitant pas à braver le danger, ce qui rappelle énormément le tempérament de Nausicaä. As du volant et véritable tireuse d’élite, cette personnalité affirmée et inattendue ne trouvera malheureusement plus réellement sa place une fois que la nouvelle équipe de réalisation reprend la série en main (à l'exception d'un épisode), même si d'autres personnages féminins continuent d'être présentés. 

 

photoDu Miyazaki tout craché

 

ÉLÉMENTAIRE, MON CHER WATSON 

Contrairement à Disney qui a uniquement repris l’esprit de Sherlock Holmes dans Basil, détective privé, la version anthropomorphique de Miyazaki et Kyosuke Mikuriya a pioché beaucoup plus d’éléments et de références des romans de l’écrivain britannique, à commencer par les personnages, comme l’inspecteur Lestrade de Scotland Yard (Maurice Sarfati en VF/Shôzô Îzuka en japonais), ou le Professeur Moriarty (principalement doublé par Gérard Hernandez en VF et Chikao Ohtsuka en VO), le plus célèbre adversaire du détective. Mais si certains épisodes reprennent vaguement des intrigues des écrits de Conan Doyle, la série s’adresse principalement à un jeune public et a donc remplacé toute la noirceur et le sérieux de l’univers littéraire par beaucoup de légèreté et d’humour, même si quelques thématiques sociales sont effleurées, comme la fracture entre les riches et les pauvres.

L’utilisation intelligente des canidés permet une meilleure caractérisation des protagonistes et de leur personnalité à travers leur race. On associe ainsi la gentille Mme Hudson à un labrador, le docteur Watson (Jacques Marin et Jacques Dynam en VF/Kousei Tomita en VO) à une sorte de terrier écossais court sur pattes et qui a l’air maladroit, mais ne manque pas de courage, ou encore le rusé Sherlock à un renard et le machiavélique Moriarty à un loup.

 

photoMoriarty le méchaaaaaant

 

Mais si les personnages à poils aident à de se détacher au maximum du rationnel, la société dans laquelle ils évoluent est restée fidèle à la réalité avec une époque parfaitement retranscrite (à quelques inventions hallucinantes près), de la façade des habitations aux vêtements d'époque, en passant par les nombreuses oeuvres d'art de notre patrimoine culturel. On pense d'abord à la Joconde, qui a gardé ses traits humains, mais aussi aux monuments historiques et différentes sculptures disséminés au fil des épisodes. 

Comme le laisse deviner le magnifique générique français chanté par Amélie Morin (qui a également doublé Mary), aussi doux et entraînant que la bande-originale de Kentarô Haneda, l’ambiance est candide et bon enfant grâce à des scènes d’action cartoonesques et un personnage principal lavé de tous ses vices. Loin du drogué alcoolique et asocial des romans, Sherlock (Taichirō Hirokawa en VO/ Serge Lhorca en VF) est présenté plus jeune et actif physiquement, toujours au coeur de l’action et prêt à se fourrer dans les situations les plus périlleuses pour contrecarrer les plans de son ennemi ou sauver ceux qui ont besoin d’aide, mais jamais sans un certain flegme britannique. Son seul défaut est finalement sa passion pour la chimie, dont les expériences finissent bien souvent en fiasco malodorant. 

 

photoL'impressionnant souci du détail dans chaque image

 

Ce traitement plus divertissant et musclé des enquêtes ne permet cependant pas de passer à côté du manque de surprise du fait que Moriarty soit le seul antagoniste et commette principalement des vols. Ses intentions ont beau être mauvaises et ses inventions brillantes, le brigand élégant n’a rien de redoutable et s’avère souvent négligent, maladroit et même franchement idiot, ce qui participe à l’humour burlesque de la série, mais dessert les intrigues, vite redondantes si on enchaîne les épisodes. 

Sherlock Holmes est une série dont les épisodes pourraient se regarder dans le désordre, car aucun arc narratif ou histoire de fond ne les relient entre eux, si ce n’est pour le premier qui présente la rencontre entre le détective privé et Watson. Ainsi, la série s’arrête sans véritable conclusion, avec un sentiment d’inachevé.

 

photoSi Sherlock n'avait jamais pris de cocaïne

 

En revanche, l’animation se tient du début à la fin, avec un travail soigné dans les dessins et surtout une véritable richesse dans les différents décors, toujours généreux en détails utiles à la caractérisation des protagonistes. La nouvelle équipe de réalisation n’a d'ailleurs pas lésiné sur les folles inventions métalliques, ne laissant pas la série s’essouffler après le départ du réalisateur prodigue. 

Au final, Sherlock Holmes est une bouffée réconfortante de nostalgie, qui s’apprécie autant enfant, qu’adulte. En seulement six épisodes, Miyazaki a su y insuffler tout l’esprit et la sensibilité qui anime son art et qu’on a retrouvés plus tard dans sa filmographie. À l’heure où un peu de douceur et de bonhomie ne nous feraient pas de mal, ce serait vraiment dommage de s’en priver. 

Sherlock Holmes est disponible en intégralité sur Netflix 

 

Affiche officielle

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
PatrickJammet
08/11/2023 à 23:06

Prémono littéralement the song ! :)

Miami81
06/11/2023 à 23:07

Je me souviens d'une animation parfaitement fluide et parfois dantesque avec des dizaines de personnages à l'écran en même temps (les policiers de scotland yards)

Pat Rick
06/11/2023 à 11:38

J'adorais de dessin animé quand j'étais gamin par contre l'ayant revu adulte il y a 3/4 ans, j'ai été beaucoup moins enchanté car c'est assez répétitif.

Neji
06/11/2023 à 02:28

Super article...
Un pure bonheur de mon enfance, un bijou, j'adorais également le doublage français.
Quand on voit les daube actuellement qui passe pour les enfants sur les chaînes dit classiques..
De temps à autre me fais un épisode quand je tombe dessus sur certaines chaînes , ça vieillit très bien et la douceur du générique également et magique.. respect a tout jamais...

Ray Peterson
05/11/2023 à 14:27

Merci EL pour cet article effectivement nostalgique.
Je rejoins tellement bons nombres de commentaires ci-dessous.

J'ajouterais aussi que le générique (et la chanson en français comprise) me donnais tellement envie de découvrir les aventures de ce cher Sherlock à chaque passage TV :
les nombreuses machines volantes et roulantes, l'action dans le montage des animations, les personnages féminins bien classes.
Juste un petit bémol pour moi, Moriarty, malgré son design absolument magnifique, (même si je l'aime beaucoup) reste un peu trop "rigolo et bête" pour un méchant, même si je sais que cela reste un dessin animé.
Culte!

Eddie Felson
04/11/2023 à 21:00

Que de souvenirs! J’adorais ce dessin animé comme tant d’autres de qualité à l’époque déjà cités ci-dessous… une époque bénite. Heureux d’avoir grandi dans ces années insouciantes et si riches culturellement parlant. Envie de me replonger dans ces vieux dessins animés véritables madeleines de Proust!

BATMALIEN
04/11/2023 à 20:04

L'époque lointaine et révolue des dessins animés de qualité, tant dans le fond que la forme !

@Rédac-EL : un prochain article sur "Future Boy Conan" (1978) ? :)

Vincent
08/06/2020 à 12:26

@Geoffrey : mince, je pensais qu’on était prévenu à la fin. Bon, c’est reparti pour un an :) Continuez comme ça, vous faites du bon boulot !

Geoffrey Crété - Rédaction
08/06/2020 à 10:17

@Vincent

Bonjour !
D'après nos données : votre abonnement d'un an a expiré le 31/05/2020. Et le renouvellement n'est pas automatique suite à votre choix lors de l'abonnement, l'année dernière.

Kouak
08/06/2020 à 09:38

Bonjour,
Tom Sawyer ! Le tour du monde en 80 jours ! Les cités d'or ! Cobra ! (Que je désespère de voir un jour en live)...Le moins connu "KUM-KUM" (Désopilant)...Et j'en passe et des meilleurs...
On ne peut pas vivre éternellement dans le passé et les souvenirs d'antan mais put*** que c'était bon !
J'aurai aimé qu'un studios réadapte Albator 78 avec les Sylvidres, qui, quand elles brulaient, poussaient un cri qui me hérissait les poils....(Enfin...Le peu que j'avais).
Et puis il y eut la collaboration avec Jean Chalopin qui créa, entre autres, Ulysse 31...
Qui pourrait faire d'ailleurs, à mon avis, l'objet d'un bon long métrage "live".
L'odyssée revue en SF ça pourrait le faire...
♫♪ Je suis NONO le petit robot...♩♭♫
Merci !
Bref....

Plus