Succession saison 4 : critique d'un final impérial

Alexandre Janowiak | 6 juin 2023
Alexandre Janowiak | 6 juin 2023

Alors que Succession régnait sur le petit écran depuis trois saisons, son showrunner Jesse Armstrong a décidé que la saison 4 serait la dernière. Une triste nouvelle pour les aficionados de l'horrible famille Roy et de son casting remarquable (Jeremy StrongKieran CulkinSarah SnookBrian CoxMatthew MacFadyen et Nicholas Braun en tête), mais le moyen parfait de terminer la série HBO au sommet. Attention quelques spoilers !

L'ultime succession

Cette saison 4 se devait de répondre à la grande question de la série : qui prendra la succession de Logan Roy ? Sans surprise, la série ne s'est pas dégonflée avec l'épisode 10 de cette quatrième saison, intitulé Le Couronnement. Non seulement, ce final vient répondre clairement à la question qui était sur toutes les lèvres depuis le début de la série. Avec une écriture d'une précision époustouflante, Jesse Armstrong y comble les trous encore existants et scelle le destin de tous ses personnages dans un exercice brillant de tension, peur et émotion de 1h30.

Mais plus encore, cet épisode prouve surtout la cohérence de la série dont l'évolution semblait mener inexorablement vers cette fin. Le choix pourrait donc, en théorie, décevoir tant les relations, les sacrifices, les liens grandissants... étaient autant d'indices suffisamment forts pour amener à cette conclusion. Et quand on y réfléchit, c'est d'autant plus flagrant avec l'absence même du principal intéressé, preuve définitive du caractère immuable de l'enjeu principal factice de la série.

 

Succession : Photo Jeremy Strong, Sarah Snook, Kieran CulkinWho will it be ?

 

Car au fond, l'identité du successeur (ou de la successeure, on ne révèlera rien ici) de Logan Roy n'était qu'une sorte d'immense MacGuffin dans Succession. Il n'y a qu'à repenser aux innombrables détours de la série pour le comprendre instinctivement, cet enjeu étant constamment repoussé pour permettre à la série d'explorer avant tout les pires bassesses du capitalisme. Si, en tant que spectateurs, nous rêvions de découvrir qui prendrait la suite du tyran Logan Roy, ce sont finalement les autours de la série qui nous ont accrochés jusqu'à ce dénouement.

Qu'elle nous alarme sur l'argent roi, nous agace avec les frasques de ses personnages antipathiques, nous émeuve des parcours de sa fratrie pas si antipathique (finalement), nous rende hilares des célèbres "fuck off" du patriarche et autres punchlines cyniques du duo Tom-Greg, Succession a toujours su enrichir son point de départ, voire s'en détacher.

 

Succession : Photo Matthew MacFadyen, Nicholas BraunUn duo qui va nous manquer

 

L'EMpire DU PIRE

En effet, en étant parfaitement ancrée dans son époque dès ses premiers épisodes, Succession a inévitablement su capter quelque chose de puissant et terrifiant sur la manière dont est régi notre monde. C'est notamment dès la deuxième saison que la série est montée au créneau pour mieux décrypter une société complètement malade, atteinte d'un mal bien plus fort et omnipotent qu'on ne pourrait réellement l'imaginer.

Et ainsi, en posant son récit dans une simili-ère Trumpienne aux États-Unis, Succession a développé avec violence une myriade de manipulations, de coups bas et de traîtrises au coeur de dissimulations politiques, d'affaires de corruption ou de stratégies et intimidations médiatiques. Autant dire que Succession a pointé du doigt avec vigueur (et sans moralisme à la noix) le danger du grand capital et la manière dont quelques élites peuvent faire basculer à elles seules tout un pays, voire tout un monde.

 

Succession : Photo Kieran CulkinJamais "Too early to call" pour sauver sa peau

 

En cela, cette saison 4 a sans doute livré l'un des épisodes les plus marquants de Succession et du petit écran à travers son épisode 8. Ici, les Roy sont divisés (une fois de plus) entre les deux candidats à la présidentielle, le démocrate Jimenez (que Shiv soutient) et le républicain Mencken (que Roman soutient).

Évidemment, la chaîne ATN est un élément de poids (à l'instar de Fox News) pouvant faire basculer l'élection dans l'escarcelle de l'un ou l'autre en fonction de ses choix d'informations. Rien de spécialement étonnant sur le papier, jusqu'au moment où Kendall va lui-même renverser la ligne du média (et donc le résultat-l'orientation de l'élection) pour un caprice fraternel où son orgueil de petit gosse de riche pourri gâté voudra se sortir d'une sale affaire.

 

Succession : Photo Jeremy StrongBehind the Kendallabra

 

Outre son titre – Le choix de l'Amérique – particulièrement cynique puisque l'Amérique n'a finalement que peu de pouvoirs face aux souverains despotes, l'épisode est donc d'une brutalité redoutable. En une heure, il démontre, à travers une course contre la montre électorale pleine de tension (toujours ce savant montage, ces jeux de zooms...), comment les grands de ce monde (grands par la richesse et l'indécence) façonnent l'Histoire selon leur bon vouloir (et leur ego).

Et ainsi, comment les gagnants l'écrivent, la maquillent, aux dépens des simples mortels dont ils se font pourtant les porte-parole. Ou comment remémorer aux spectateurs la laideur de ces anti-héros, alors même que la série sait régulièrement nous les rendre attachants

 

Succession : Photo Brian CoxLe grand tyran

 

L'EMPRISE du père

C'est là probablement ce qui aura fait le plus grand charme de Succession : les Roy sont parfois touchants, émouvants et on ne peut s'empêcher de comprendre leur frustration ou désespoir à tour de rôle, alors qu'ils ne sont que de vils personnages. Car même s'ils manipulent des images à des fins commerciales (Living+ est du génie), établissent des stratégies médiatiques pour rester dans le sens du vent (l'épisode 8 donc) et tentent par tous les moyens de garder le contrôle (l'épisode 1, l'épisode 10), ils ont également des émotions humaines classiques.

On sait depuis longtemps que l'arrogance de Roman cache un petit être fragile, que l'aplomb de Shiv masque une femme pleine d'incertitudes ou que l'énergie revancharde de Kendall n'est que la façade d'un homme au bord de l'anéantissement. Une manière d'être qui résulte évidemment de l'abus constant de leur patriarche tant décrié, Logan Roy (incroyable Brian Cox), sur leur éducation, leur vie, son inhumanité ayant construit les personnages d'apparence qu'ils tentent de cultiver ou devenir.

 

Succession : Photo Kieran Culkin, Alan Ruck, Sarah Snook, Jeremy StrongUn simili EVG prometteur

 

Et ainsi, quand soudainement, la fratrie se regarde dans les yeux, chacun laissant de côté sa figure publique pour confronter leur mentor personnel, un vrai paradoxe se met en place. Difficile en effet de ne pas voir tout l'amour que se portent les Roy malgré leurs désirs de pouvoirs, leurs multiples trahisons et fourberies, à la fin d'un épisode 2 décontenançant.

Si chacun espère garder son aplomb pour ne pas montrer ses faiblesses, les échanges en disent long, tout comme les regards. À tel point que même Logan Roy semble sur le point de regretter son geste tactique de trop (le final de la saison 3) tout en ne cédant pas à la tentation de s'excuser dans une dernière phrase de vérité à l'image de sa toxicité : "Je vous aime, mais vous n'êtes pas des gens sérieux".

 

Succession : photoLe choc

 

Une sincérité tragique qui a pris encore plus de sens lors du tournant de cette ultime saison (l'épisode 3), d'une audace et effronterie mémorable sur le petit écran. Jesse Armstrong vient carrément y précipiter les enjeux du récit, y exploser les attentes du spectateur et surtout y dévoiler au grand jour la détresse d'une famille démunie face à ce qu'elle ne peut pas dominer malgré ses milliards en poche, ses réseaux et son pouvoir.

Un monument qui prend de court les personnages (et spectateurs) et les plonge dans une tragédie si brusque qu'elle en devient bouleversante. Ou comment observer un peu plus l'ambivalence de ces brutes hautaines et impitoyables capables de muer soudainement en individus sensibles, au coeur tendre. Rarement une série l'aura fait aussi judicieusement, venant remettre constamment en question nos propres discernements. Grandiose.

La saison 4 de Succession est disponible en intégralité depuis le 29 mai 2023 en France sur le Pass Warner de Prime Video.

 

Succession : Affiche française

Résumé

La saison 4 de Succession est à la fois sensible, cruelle, funeste, lucide, poignante et élégante. Sans doute l'issue la plus harmonieuse et cohérente imaginable pour cette série qui n'aura connu aucun faux-pas.

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commentaires
zedouarf
12/06/2023 à 23:00

@Francken
c'est exactement ça et par là elle devient comme sa mère qu'elle a dénigré...

Franken
09/06/2023 à 18:26

@Sdkone

Mais ça n’a rien d’une victoire.
C’est sans doute la plus tolérable des défaites. Elle aura passé les 4 saisons à retourner sa veste dans le sens du vent pour obtenir le pouvoir, pour finalement passer de "fille de" à "femme de".
Sans compter que le Tom a le profil idéal pour lui faire chèrement payer tout le passif.

Dès le départ, ils ont été dépeints comme des losers.
Le résultat est à la hauteur.

Sdkone
08/06/2023 à 08:17

@Bilbo

Le final est tout à fait cohérent. Analyse bien les enjeux pour Shiv.

Spoiler: son mari prend la direction de l'entreprise. Le père de son fils!!. Et elle sera juste derrière lui...

Franken
08/06/2023 à 01:05

Le final correspond très exactement à tout ce que la série développe depuis le tout début.
Et cette saison aura enfilé des épisodes d’un niveau juste exceptionnel.

Mince, c’est fini.
Ils vont me manquer, ces losers.

ttopaloff
07/06/2023 à 09:37

Comme vous le dites, un véritable sans faute de bout en bout.

Et en effet quelle audace, cet épisode 3 ! On est dans la même situation que la fratrie qui ne veut pas y croire. Du génie !
Pour moi la conclusion est absolument parfaite, c'est à la fois surprenant mais aussi totalement cohérent par rapport à l'évolution des personnages.

Allez zou, au sommet du panthéon HBO avec Les Sopranos et The Wire.

Pieuvre
07/06/2023 à 00:12

Tout à fait d’accord avec Bilbo épisode final le plus faible.
Pas vraiment de sens de finir là dessus, très déçue par ce final raté pour cette série géniale

Sans moi
06/06/2023 à 19:21

@ Bilbo : je rejoins @tlantis. Pour moi le petit rien se situe au moment où... SPOILER!!!! Kendall joint ses pieds sur la table de bureau de son père, sûr de lui-même. Au delà du cliché de patron égocentrique, cette posture laisse entrevoir l'abject personnage que Kendall va devenir s'il prend le pouvoir. Quelque part, Shiv protège son frère de lui-même en le trahissant... FIN DU SPOILER!!!

zeeg
06/06/2023 à 18:46

une série qui manque de fusils à pompe et de drifts

OMG
06/06/2023 à 18:23

KWA Vous ne mettez pas un 5/5 ?!

Ozymandias
06/06/2023 à 16:23

Perso j'ai abandonné à la troisième, je commençais à bien m'ennuyer. Trop de personnages antipathiques, c'est dur d'avoir envie d'en savoir plus !

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