Le Pouvoir : critique du vrai girl power sur Amazon

Ange Beuque | 30 mars 2023
Ange Beuque | 30 mars 2023

Prenez une pincée d'origin-story super-héroïque, un zeste de révolte adolescente et une louchée d'émancipation féminine saveur The Handsmaid's tale, agitez le tout au shaker électrique et laissez-vous gagner par Le Pouvoir sur Amazon Prime Video. La showrunneuse Raelle Tucker (True Blood) adapte le roman éponyme de Naomi Alderman et rassemble notamment Toni ColletteJohn LeguizamoAuli'i Cravalho et Toheeb Jimoh dans cette dystopie féministe abrasive. Cette critique porte sur les 7 premiers épisodes, les deux derniers n'ayant pas été dévoilés à la presse.

Les masculinistes rêvent-ils de femmes électriques ?

Que les abonnés français d'Amazon Prime Video dépités par la fin terrassante de The Last of Us se consolent : la plateforme de Jeff Bezos accueille une série au concept fantastique aguicheur, avec ses adolescentes du monde entier qui commencent à générer des arcs électriques. Un tel pouvoir mis entre les clavicules des femmes est évidemment de nature à bouleverser le rapport de force avec les hommes. Dans la lignée de The Handmaid's Tale, Le Pouvoir se frotte à une thématique éminemment contemporaine... et potentiellement abrasive. 

Son teaser baigné de musique pop pouvait laisser craindre une facture de teen movie plus superficiel que super-héroïque, ou un récit qui surferait sur la vague féministe par pur opportunisme. Sauf que la série est adaptée du roman éponyme de Naomi Alderman, lauréat du Baileys Women's Prize for Fiction en 2017. Militante de la première heure en dépit d'un milieu familial conservateur, l'autrice ne manque ni de recul ni de légitimité sur la question.

 

Le Pouvoir : photo, Auli'i CravalhoLe bleu du ciel n'est pas le bleu électrique

 

Preuve que l'intégrité morale du projet n'est pas uniquement de façade, son tournage, prévu dans l'État de Géorgie, a été repoussé en 2019 en réaction à des lois anti-avortement fraîchement promulguées. Produit par le studio Sister, dont Chernobyl constitue une carte de visite scintillante, cette adaptation a par ailleurs été écrite par une équipe  entièrement féminine. Ne vous y trompez pas : si la typographie du titre est rose bonbon, la série s'inscrit plus dans la lignée revancharde de Promising Young Woman que de Barbie Ringarde. Elle empoigne à bras le corps la dimension politique de son sujet et assume la violence sèche qui peut en découler.

Le récit s'épargne le manichéisme qui en aurait affaibli la portée, en accordant une place nuancée à certains hommes et adultes. La maire ambitieuse de Seattle (excellente Toni Collette) se taille une part de choix, tandis que ses relations avec son mari progressiste (John Leguizamo) et sa bienveillance envers sa fille Jos (Auli’i Cravalho, qui a assuré la voix anglaise de Vaïana) l'enrichissent intelligemment. La série contourne même de manière habile le schématisme de son pitch en abordant la question de la non-binarité.

 

Le Pouvoir : photo, Ria ZmitrowiczXX-Men : L'Affrontement final

 

Aux quatre coins de la fronde

Le Pouvoir s'attache aux pas de plusieurs personnages à travers le monde : outre la fille du maire, on suit la trajectoire d'Allie, fugitive touchée par la grâce d'une voix off inspirante, Tunde qui tente de documenter le phénomène au Nigeria, Roxy frappée par un drame personnel ou encore Tatiana, pseudo-potiche d'un dictateur d'Europe de l'Est. Des riches, des pauvres, des femmes puissantes ou des présumées sans-grade : cette mosaïque de profils met à l'épreuve leur solidarité en situation de crise.

Des geôles sordides conçues comme des garde-mangers de femmes sexuellement asservies aux rues d'Arabie Saoudite, des conférences de presse occidentales aux incubateurs de futurs champions de gymnastique... sa dimension chorale permet à la série de proposer une vraie diversité de casting et de point de vue. Les contextes d'émergence du pouvoir sont suffisamment variés, culturellement, économiquement ou socialement, pour embrasser la perspective universelle qu'appelait son concept.

 

Le Pouvoir : photo, Toni ColletteToni Collecte des fonds pour sa campagne

 

Avec sa capacité surnaturelle qui se résume à quelques arcs en CGI, la série peut consacrer l'essentiel de son budget à élargir son univers. Un choix payant, comme en atteste le quatrième épisode qui, par ses scènes de soulèvement dans un pays à dominante musulmane, semble faire écho de manière troublante à la contestation iranienne consécutive à la mort de Mahsa Amini.

Guerre des sexes ouverte ou larvée, fracture générationnelle, appétence mystique et religieuse, combat politique, riposte masculiniste : Le Pouvoir tente de tirer le maximum de son postulat, en auscultant ses conséquences pour chacun de ses protagonistes. Qu'elles reprennent le contrôle d'un corps sexualisé, soudain commué en arme défensive (certes moins spécifique que dans Teeth), procèdent à un règlement de compte personnel ou aspirent à la guérilla, les femmes doivent (re)composer avec un monde soumis à des soubresauts tectoniques d'une ampleur inédite.

 

Le Pouvoir : photo, Halle BushPratique pour tirer son coup de jus

 

L'union fait la féroce

C'est dans ses nombreuses scènes de dynamique féminine plurielle que la série est à son meilleur, qu'il s'agisse de soulèvements spontanés ou de transmissions filmées comme des orgasmes libérateurs. Aimantée par ses actrices, toutes formidables, la réalisation tend à épouser leur montée en puissance et donne corps à l'émergence de cette conscience collective sur plusieurs continents, exhalant de délicieux relents de Sense 8.

La métaphore du pouvoir qu'il faut apprendre à maîtriser pour s'accomplir personnellement est un trope super-héroïque popularisé au cinéma depuis au moins le Spiderman de Sam Raimi, mais force est de reconnaître que le sous-texte féministe lui sied particulièrement. Pour avoir oeuvré sur Jessica Jones, la showrunneuse Raelle Tucker est familière du procédé, elle qui avait rendu justice à son personnage principal en rémission post-traumatique après avoir été sous la coupe d'un archétype de compagnon toxique.

 

Le Pouvoir : Groupe de femmesUne électricité lasse d'être statique

 

Ici, le caractère collectif dudit pouvoir prend à rebours la figure habituelle du super-héros, traditionnellement destiné à se singulariser de ses semblables. Même lorsque son statut et ses privilèges sont questionnés (The Boys et Invincible, également sur Prime Video), celui-ci conserve généralement une place à part, que ce soit par la nature exacte de ses capacités (Project Power) ou, à l'extrême, s'il est le seul à en être privé (Extraordinary). En ne se déclarant que chez les femmes, cette génération spontanée d'électricité instaure de fait la sororité comme principal enjeu. 

La série en explore aussi les limites par un traitement nuancé : la voie du rapport de force n'est pas sans péril, et toutes ne sont pas mûres pour détruire l'ordre établi. Loin de se porter instinctivement en soutien inconditionnel, certaines mères et amies contribuent par leur méfiance à réprimer les premiers élans émancipateurs, quitte à s'élever en garantes du statu quo, injustices comprises.

En mettant en image la dangerosité objective d'une telle puissance si elle est mal maîtrisée (blessures involontaires, crash...), Le Pouvoir s'adosse aux problématiques anciennes de la monstruosité et transforme les jeunes femmes en vecteur de peur dans la lignée des sorcières d'autrefois.

Les trois premiers épisodes de Le Pouvoir sont disponibles depuis le 31 mars sur Amazon Prime Video, puis un nouvel épisode sera mis en ligne chaque vendredi jusqu'au 12 mai.

 

Le Pouvoir : Affiche

Résumé

Ne craignez pas de vous y risquer : l'abus de Le pouvoir n'est pas nocif pour la santé. Puissante et pertinente, la série tire de son postulat fantastique le portrait énergisant de femmes traversées d'une conscience collective libératrice.

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Lecteurs

(4.8)

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commentaires
Gwadalolo
05/06/2023 à 23:37

@Cidjay vous ne voulez pas mettre tous les hommes dans le même sac mais vous ne vous privez pas de le faire pour les féministes ? Ça n'est pas très sérieux.

Des spoils:

La série est intéressante en revanche je l'ai souvent trouvée explicative et programmatique (au sens, où ça se voit, et du coup nous sort un peu de l'histoire). Par sa volonté comme vous l'écrivez de montrer toutes les situations possibles, on a parfois l'impression de feuilleter un catalogue, qui manque singulièrement d'imprévu, d'accidents, de surprises.

D'autre part on pense partir sur de la science fiction sauf que ça ressemble surtout à un prétexte. Pour éviter d'exclure qui que ce soit la série ajuste ses explications, au risque qu'à la fin ça n'a plus rien de cohérent ou rationnel. Du coup toute la partie sur cet "organe" ressemble à une perte de temps (ben ouais, s'il suffit de s'identifier femme ou de s'injecter des oestrogènes pour l'avoir franchement le patriarcat a pas beaucoup de soucis à se faire).

De même on peine à comprendre ce que vient faire cette scène d'accouchement (et c'est quoi cette manie d'idéaliser des accouchements réalisés dans des conditions de risque maximal, loin de toute modernité ?), si c'est pour ensuite nous montrer que celles qui enfantent sont capables des pires carnages - les mêmes que les hommes semble dire la série, carbonisant son concept féministe dans un épisode final assez navrant.
En faire une dystopie est sans doute un bon moyen de justifier de nouvelles saisons (comme la servante écarlate, au hasard ...), mais au final ça amoindri fortement le propos féministe selon moi.
Malgré tout je reste curieux (mais inquiet) de découvrir la probable suite.

Kurio
08/04/2023 à 07:05

J'ai adoré le livre qui fait partie de mes fictions préférés.
Surtout grâce au fait que c'est assez nuancé et que c'est une DYSTOPIE féministe et pas juste un vulgaire "imaginé un monde dominé par les femmes comment ça serait trop bien hihi ^^" (<- j'avais très peur de ça quand j'ai vu la DA et bande annonce, surtout en ayant adoré le livre grâce à sa nuance)
Au final la série ma énormément rassuré et c'était très agréable à regarder je conseille à tous. autant aux femmes qu'aux hommes.
ça porte un message et des questions très importante sur le monde d'aujourd'hui et tout ça sans rentré dans les clichés et les problèmes du féminisme populaire ni porté un message misandre et toxique d'un The Handmaid's Tale par exemple (qui est aussi une série plutôt agréable mais fortement gâché par ses prises de positions que je trouve problématique)

Cidjay
03/04/2023 à 13:41

Amandine : Merci à toi tu illustre parfaitement mes propos.
Tu ne sais pas faire la différence entre un homme et un con...
je ne m'adresse pas à toutes les femmes dans mon discours, mais uniquement aux féministes.
Je ne mets pas toutes les femmes dans le même sac.
saches en faire autant pour les hommes.

Amandine
03/04/2023 à 03:23

LOL incroyables les commentaires de mascus rageurs ... ou fragiles ouinouin " not all men"
au choix...
Cette série pourrait pourtant être très intéressante pour vous remettre en question ...
La réalité est que nous avons besoin de féminisme et de féministes dans nos vies.
Trop de femmes encore en 2023 agressées, violées , dominées au travail , au foyer, devant subir remarques et "blagues" sexistes. Oui il est temps de changer ! Que cela vous plaise ou non...

29Vincent31
01/04/2023 à 14:21

J ai vu les 3 premiers episode
J’ai adoré.
(Non, la masculinité n’est pas menacé par le féminisme … et encore moins pas cette série de FICTION. J’en revient pas de certains commentaires …)

Moh
01/04/2023 à 06:24

Ange beuque ou Ange beurk, votre article est pathétique, autant que l'époque...

Cidjay
31/03/2023 à 18:03

Une série qui s'annonce très féministe, et l'homme que je suis n'aime pas trop ça.
j'imagines que les féministes ont besoin d'une telle série pour se rassurer...
aux féministes qui ne supportent pas les hommes je dirai :
Ne mettez pas tous les hommes dans le même sac, ça fait mal au coeur quand on est un homme qui s'est toujours bien comporté avec les femmes d'entendre que ce sont tous de sales porcs.
commencez par arrêter de sortir avec les beaux gosses qui se comportent comme des merdes avec les femmes et allez voir les gentils... aah, c'est sûr c'est pas forcément les plus beaux de la classe, mais au moins vous vous rendrez compte que le problème ne vient pas des hommes, mais des c*ns.
et oui, beaucoup d'hommes sont et se comportent comme des c*ons.
mais faudra voir aussi à pas faire d'amalgame et mettre tout le monde dans le même sac...
Le jours où on aura assez de courage pour dire que le problème vient des c*ns et pas des hommes en général, y'aura aussi du progrès.

Luc Humble
31/03/2023 à 17:12

Bientôt un goulag pour y envoyer les hommes et les castrés ? Non mais sans deconner, et vous vous notez cette série indigeste : 4 sur 5 ???? Un peu de sérieux! Ça ne m'étonne même plus, voilà le résultat de l'acharnement de l'ingénierie sociale, des jeux societaux et agendas politiques pour nous diviser .

Luc humble
31/03/2023 à 17:10

Et voilà où en est arrivé la propagande du féminisme radical, la polarisation des citoyens et surtout des femmes à travers ce genre de séries qui vont faire croire encore plus à certaines femmes que leurs horloges biologiques sont construites pour etre opprimer. Le monde part en sucette. Il faut boycotté ce genre de séries et films.

Amanda
31/03/2023 à 17:07

Une belle Daube!!!!

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