Shrinking : critique thérapeutique sur Apple TV+

Axelle Vacher | 24 mars 2023
Axelle Vacher | 24 mars 2023

Depuis son impulsion en 2019, Apple TV+ a su se constituer un catalogue dont la qualité n'est plus à prouver. Aussi, dès lors que la plateforme lance une nouvelle production, les expectatives sont bien souvent au rendez-vous. Au rayon des petites dernières cette fois-ci, la comédie dramatique Shrinking, co-écrite par Jason Segel et les scénaristes du carton américain Ted Lasso et notamment menée par Harrison Ford. Cette nouvelle addition atteste-t-elle de la finesse de la pomme du streaming ?

 

Allô, Docteurs

N'y allons pas par quatre chemins : les temps actuels sont incertains depuis plusieurs années déjà – pour le dire gentiment. Qu'il s'agisse de la récente pandémie, des multiples crises sociales, politiques, économiques et écologiques (quand on aime, on ne compte pas), ou plus globalement, du désarroi accablant une majeure partie de la population, autant dire que les thérapeutes ont le vent en poupe. 

Bien entendu, la figure du psychologue/psychiatre n'a pas attendu que le monde parte en sucette pour intervenir dans les médias. On pense bien sûr à ce brave Docteur Lecter (même si, très honnêtement, on ne recommande pas franchement les services de ce dernier), au personnage de Robin Williams dans Will Hunting, ou plus récemment, aux séries En thérapie, The Shrink Next Door et Mr. Robot, pour ne citer que quelques exemples.

 

Shrinking : photo, Jason Segel, Luke TennieSourire ultra sincère, honoraires ultra-élevés

 

Chaque fois, les prémices sont relativement similaires, et calées sur un modèle observable au quotidien. Mais plutôt que de reprendre ce schéma déjà maintes fois éculé, Shrinking décide de prendre cette réalité à revers. Aussi ce n'est plus tant la figure du docteur qui exerce une influence sur son patient en vue de l'aider à surmonter quelconque défi existentiel, mais l'inverse.

Jimmy Laird (Jason Segel, excellent dans ce rôle taillé sur mesure) est un psychothérapeute peinant à se remettre de la mort accidentelle de sa femme un an plus tôt. Profondément abîmé dans sa vie personnelle, celui-ci ne parvient plus à supporter les lamentations sempiternelles de ses patients et décide un beau jour d'envoyer paître la déontologie. Il commence alors à s'exprimer sans le moindre filtre, brisant de fait toutes les barrières éthiques de sa profession. Néanmoins, et aussi surprenant que ce soit, cette nouvelle méthode semble porter ses fruits. Du moins, au début. 

 

Shrinking : photo, Jason SegelComme une envie de chaos

 

Évidemment, avec un tel synopsis, le spectateur pourrait être en droit de s'attendre à un énième drame multipliant les thématiques plus cafardeuses les unes que les autres. Et s'il est effectivement question d'aborder les retors de la santé mentale tels que les TSPT (soit, les troubles du stress post-traumatique), les relations abusives, ou encore le deuil, la série ne lésine pas sur l'humour pour autant.

Loin des producteurs exécutifs l'idée de dépeindre avec exactitude la réalité de la profession, non. Shrinking est définitivement de ce genre nouveau ayant investi les écrans depuis quelques années ; des "sadcom" tout droit hérité de productions à demi sardoniques telles que Fleabag, BoJack Horseman, After Life et consoeurs.

 

Shrinking : photo, Lukita Maxwell, Luke Tennie"I love you" "It'll pass"

 

Crying laughing

Indubitablement, l'ADN des scénaristes de Ted Lasso, Billy Lawrence et Brett Goldstein, se retrouve de part et d'autre de cette nouvelle série. Le spectateur a ainsi tout le loisir de retrouver chez Shrinking l'humour acide, mais aussi, une signature feel good sur fond de mal-être personnel qui saura simultanément susciter rire et inconfort. 

Difficile en effet de ne pas rire des situations dans lesquelles le personnage de Segel s'empêtre allègrement – surtout les plus improbables –, du visage perpétuellement renfrogné de Paul (Harrison Ford, absolument excellent) ou encore des diverses frasques de leur collègue Gaby (Jessica Williams). Sous cette épaisse couche de cynisme se dissimule néanmoins une bienveillance profonde des scénaristes pour leurs personnages de tête.

 

Shrinking : photo, Harrison FordCette tête-là, précisément

 

Se moquer d'eux est une chose, mais il ne s'agirait pas que le spectateur leur souhaite activement le moindre mal. Aussi, la série met un tel point d'honneur à, non seulement, prendre le temps de développer ses divers personnages, de sorte qu'ils ne soient pas de simples archétypes dénués de nuance, mais parvient surtout à rendre ces derniers foncièrement attachants.

Certes, il arrive que ces derniers soient frustrants dans leurs actes et leurs paroles. Mais Shrinking ne rechigne jamais à rappeler que c'est là l'un des apanages de l'humain. Aussi, les difficultés qu'éprouve Jimmy à effectuer son deuil sont aussi touchantes par moments que contrariantes. Ce dernier ne parvient notamment plus à assumer son rôle de père, et si le spectateur ne peut que ressentir de l'empathie pour ce personnage abattu, son incapacité à faire front pour le bien de sa fille a de quoi susciter le malaise.

 

Shrinking : photo, Jason Segel"Hey Alexa, joue la playlist la plus triste qui soit"

 

De fait, la série peut effectivement se targuer d'explorer honnêtement les aléas d'un quotidien gangréné par le bouleversement, quelle qu'en soit la nature. Et si le personnage principal souffre du décès de son épouse, le récit traite cette perte suffisamment largement pour que le spectateur soit en mesure d'y projeter ses propres ennuis. Après tout, il y a quelque chose d'universel dans le fait de pleurer sur "I Know the End" par Phoebe Bridgers.

 

Shrinking : photo, Harrison Ford, Lukita MaxwellL'unique duo fonctionnel de cette série

 

Funambule émotionnel

Il n'y a pas à dire, le concept derrière Shrinking est engageant. Mettre en images les difficultés que peut être amené à ressentir un professionnel de santé face à la misère du monde alors qu'il ne parvient pas lui-même à gérer sa propre mélancolie présentait un parti-pris ambitieux. Et ce, d'autant plus au sein d'un contexte post-crise sanitaire. On pourra toutefois regretter que l'exécution ne soit pas toujours à la hauteur de la promesse annoncée.

Malgré ses ambitions nobles, Shrinking a peut-être trop cherché à cocher toutes les cases possibles, tant et si bien qu'il n'est pas rare qu'elle rate sa cible. Tonalement parlant, la série a ainsi tendance à multiplier les faux-pas en précipitant une chute comique à l'issue d'une séquence plus sérieuse, là où il serait sans doute plus efficace de laisser l'émotion réaliser son impact.

 

Shrinking : photo, Jessica WilliamsBien s'hydrater pour mieux pleurer

 

Certes, la série se laisse gentiment regarder, il n'est pas question de prétendre le contraire. Celle-ci accuse néanmoins un manque criant de réelle tension pour investir le spectateur et prendre ce dernier aux tripes. La tendance qu'a l'intrigue à stagner plus que de raison sans que cela aboutisse à quoi que ce soit de concret a également de quoi déclencher quelques crispations de mâchoires.

Somme toute, le principal défaut de Shrinking repose dans son manque d'équilibre. À la décharge des scénaristes, balancer la gravité de sujets comme le deuil, la parentalité, la maladie et la santé mentale avec une certaine légèreté requiert une certaine maestria narrative. Si quelques manquements étaient donc à prévoir, il aurait été appréciable que la série ne soit pas intimidée par l'ampleur de son propre concept pour en concrétiser le potentiel.

 

Shrinking : photo, Harrison FordAssieds-toi et parle !

 

Au final, le propos central du projet en est son aspect le plus abouti. Le deuil de Jimmy, la complexité de sa relation avec sa fille et plus largement, avec ses patients, la maladie de Parkinson diagnostiquée à Paul et son refus de le partager à sa famille, le divorce de Gaby, ou encore la solitude maladive de Liz (Christa Miller, géniale) ne sont que des prétextes élaborés pour adresser un problème de fond plus tenace encore.

Les rapports intersubjectifs ne vont pas de soi, cela n'a probablement échappé à personne. Il semblerait néanmoins qu'à mesure que le temps passe, ceux-ci se gâtent tandis qu'un silence pudique prend peu à peu des allures de refuge confortable. C'est pourtant de cela que Shrinking fait son cheval de bataille : l'ouverture de soi aux autres est la clef de toutes les qualités humaines, de l'épanouissement personnel à la guérison des maux les plus terribles. Promis, ça fait du bien de parler. 

Shrinking est disponible en intégralité sur Apple TV+ depuis le 24 mars 2023

 

Shrinking : affiche

Résumé

Cette nouvelle comédie dramatique créée par les scénaristes de Ted Lasso passe quelquefois à côté de son sujet, mais demeure pertinente dans l'ensemble. Généreuse dans sa proposition, mais maladroite dans son traitement, Shrinking a ce mérite indéniable de proposer un message de fond intemporel. 

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
commentaires
Tearsin Rayne
25/03/2023 à 15:57

@Altair Dlemantia

Amour, travail, deuil, vieillesse, maladie (Parkinson), violence conjugale, relations familiales, syndrome du stress post traumatique, etc.
J’essaye d’être concis donc c’est un peu simpliste. Mais, grosso modo, c’est à peu près ça..

Altaïr Demantia
25/03/2023 à 13:08

Les psychodrames des la bourgeoisie blanche démocrate américaine.

Bien joué, le casting est très bon, mais bon les problèmes des privilégiés qui n'ont rien d'autre à gérer dans leur vie que leurs amours et le décés de leurs proches ça va 5 minutes. Dans la vraie vie les vrais gens qui ont des vrais problèmes doivent aussi gérer des vrais problèmes de la vrais vie, eux en plus de leurs amous et les décés de leurs proches.

Donc comme d'hab' avec ce genre de série c'est simpliste et chiant au final.

Tearsin Rayne
25/03/2023 à 09:37

Une série drôle et touchante qui fait beaucoup de bien : mon coup de cœur de ce début d’année..

xiiro
25/03/2023 à 09:06

Une série réellement remarquable. Depuis plusieurs mois j’étais en recherche d’une comédie prenante, la voici !

votre commentaire