Extrapolations : critique de notre fin du monde sur Apple TV+

Alexandre Janowiak | 24 avril 2023
Alexandre Janowiak | 24 avril 2023

Avec la satire technologique de Black Mirror, les séries d'anticipation se sont multipliées à partir de 2011. Parmi les plus alarmantes, on peut évoquer les crises politiques et économiques dépeintes par Years and Years ou, plus pertinente encore, The Handmaid’s Tale dont la fiction a été largement rattrapée par les lois anti-avortement faisant reculer les droits des femmes aux Etats-Unis. Dans ExtrapolationsScott Z. Burns explore les conséquences de la crise écologique sur notre monde avec un casting cinq étoiles (Meryl StreepSienna MillerMarion CotillardTahar RahimKit Harington ou Edward Norton). Le résultat fait froid dans le dos, mais n'est pas parfait.

wasted land

En 2011, le réalisateur Steven Soderbergh et son scénariste Scott Z. Burns dévoilaient Contagion, film racontant les événements d'une pandémie sur Terre. Si le film avait reçu un accueil positif à sa sortie, personne ne s'inquiétait alors vraiment de sa vraisemblance avec le futur. Pourtant, dès mars 2020, lorsque le Covid-19 est venu bousculer le monde entier, le long-métrage est devenu une oeuvre visionnaire au vu de son réalisme (désinformation, distanciation sociale, millions de victimes, guerre du vaccin...).

Une exactitude déboussolante notamment due aux longues recherches et multiples entretiens avec la communauté scientifique de Scott Z. Burns pour écrire le scénario du film. Et c'est peut-être ce qui est le plus effrayant devant la série Extrapolations : si Scott Z. Burns (showrunner de la série) a pu prédire avec une justesse aussi impressionnante une telle pandémie, comment ne pas voir Extrapolations non plus comme une simple fiction, mais comme la vision de notre propre futur avant l'heure ?

 

 

Une nouvelle fois, Burns s'est démené pour coller le plus possible à la réalité, creusant les rapports du GIEC et les innombrables prédictions sur l'impact de tels ou tels éléments sur l'avenir de la planète. La série commence ainsi en 2037, au moment où le réchauffement mondial a atteint +1,55°C, soit le seuil que les dirigeants s'étaient fixé à ne pas dépasser lors des accords de Paris de 2015 pour préserver au mieux l'écosystème.

S'ouvrant sur des feux de forêt détruisant des milliers d'espèces en Europe et Amérique du Nord, des ouragans de plus en plus intenses, des marées noires dévastatrices et la fonte de glaciers faisant irrémédiablement monter le niveau des océans, Extrapolations ne fait pas les choses à moitié. L'heure est grave et la série a beau débuter sur les négociations de la COP42 pour tenter de trouver des solutions face à l'augmentation des réfugiés climatiques ou l'accès difficile à l'eau face aux sécheresses, le peuple semble livré à lui-même.

Il est prêt à se rebeller, conscient qu'il devra se battre pour assurer son avenir, faisant régner un climat d'instabilité politique et social de plus en plus virulent. Autant dire que la série démarre comme un vrai coup de poing en pleine figure et sonne comme un vrai signal d'alarme à ne pas prendre à la légère.

 

Extrapolations : Photo Tahar RahimEn quête de 

 

soleil rouge

Se déroulant entre 2037 et 2070, la série Apple TV+ s'emploie ainsi à suivre l'évolution de la crise environnementale à travers les destins d'une dizaine de personnages un peu partout dans le monde. Bien aidé par une direction artistique extrêmement soignée (typique des productions Apple TV+), chaque épisode s'attarde alors, plus ou moins, sur un personnage et une donnée en particulier, causée par le réchauffement climatique. D'après les différentes simulations des experts, les génériques donnent le ton : 1 million de personnes meurent chaque année à cause de la chaleur en 2059 tandis que près de 100 millions d'individus sont obligés de fuir leur pays à cause des changements climatiques.

Dès 2046, plus de 411 000 espèces ont disparu du globe, et un an plus tard, le niveau des océans a grimpé de plus de 38 cm, engloutissant une bonne partie de Miami, par exemple. Forcément, à ce rythme-là, chaque événement a une répercussion sur un autre, dans un effet boule de neige assez terrifiant. Les feux et la pollution intoxiquent de plus en plus l'air, donc l'air devient de moins en moins respirable. L'air cause alors des maladies respiratoires graves dès la naissance (tout comme le soleil) et augmente le risque de mortalité ou simplement de vulnérabilité économique et sociale.

 

Extrapolations : Photo Sienna MillerUne chaleur de plus en plus étouffante

 

Extrapolations est clair et net : l'humanité court à sa propre perte, les solutions engagées n'étant pas suffisantes ou arrivant trop tard. En reposant sur huit épisodes quasi-anthologiques (ils sont plus ou moins liés sur le long terme), la série se plaît par conséquent à regarder la fin du monde à travers des regards différents. Difficile de ne pas tomber sous le charme du deuxième épisode mené par l'excellente Sienna Miller, par exemple, où son personnage de scientifique tente de rester en contact avec la dernière baleine encore en vie.

Une poésie funeste et mélancolique se dégage de ses échanges avec l'animal (car oui, il y a une technologie qui permet de discuter avec les baleines) autant que dans la jolie réflexion théologique qui se déploie dans l'épisode 3, lorsqu'un rabbin essaie d'expliquer à une jeune croyante pourquoi Dieu n'agit pas. Toutefois, si la série propose évidemment une vision intrigante et alarmante de l'évolution du monde, on peut largement regretter la tournure scénaristique de l'ensemble au fur et à mesure des épisodes.

 

Extrapolations : Photo Matthew Rhys, Heather GrahamSe promener dans le cercle arctique en mini veste

 

le siècle de trop

En effet, Extrapolations s'éloigne peu à peu de la simple série d'anticipation concrète dont elle était l'objet pour s'enfoncer au coeur d'un récit de pure science-fiction. Scott Z. Burns ne souhaite pas uniquement dépeindre le malheureux futur écologique qui attend probablement les spectateurs, mais plus globalement les conséquences que cela aura sur leur vision de l'existence, de l'amour, de la famille, du travail... Sur le papier, c'est une formidable "opportunité de regarder de près un aspect du changement climatique et de se dire que, si nous ne faisons pas des choix différents, c’est à ça que ressemblera notre futur" comme l'a précisé Burns au Huff Post. Sauf que dans l'exécution, c'est loin d'être à la hauteur.

Car tristement, Extrapolations s'attarde surtout (exception faite de l'épisode 5) sur des personnages privilégiés. En suivant une scientifique, des cadres supérieurs, milliardaires, avocats, représentants politiques... elle oublie de se focaliser sur les premières victimes de la crise environnementale : les plus pauvres. D'où cette sensation d'acte manqué tout au long de la série, le scénario préférant développer son univers à coups de technologies innovantes (une ventoline de nanobots, un passeport digital, des publicités hologrammes, un service permettant de revoir ses souvenirs, drones livreurs...) que de s'enfoncer dans l'enfer vécu par les plus défavorisés.

 

Extrapolations : Photo Tobey Maguire, Eiza GonzálezIsn't it time to really Look Up ?

 

C'est peut-être l'épisode 7 se déroulant en 2068, au moment où la température a grimpé de 2,44°C, la population mondiale a atteint près de 10 milliards d'habitants et où il est impossible de se promener à San Francisco sans masque, qui en est le plus symptomatique. Alors qu'un groupe d'amis se réunit pour fêter le Nouvel An (avec un repas qui leur a coûté très cher en crédit carbone), l'un des personnages explique avoir décidé de télécharger sa conscience dans un super-Cloud pour se réveiller dans une réalité virtuelle loin du chaos mondial. En résulte, une petite parenthèse tragique sur l'amour – et non sans rappeler l'épisode San Junipero –, mais loin du cri d'alerte écologique prévu.

Même chose pour l'épisode 6, suivant la solitude d'un personnage dans un monde où la précarité engloutit les plus démunis, où les liens qui unissent les uns et les autres sont de plus en plus rares, voire artificiels. Extrapolations bascule alors dans un simili Black Mirror pour laisser place à un petit délire SF plus classique et moins pertinent.

Et si ladite crise écologique est bien évidemment la cause de ses changements sociaux, elle semble trop largement reléguée au second plan au profit de petits gadgets réservés aux plus aisés et loin des préoccupations des plus modestes (nous, les spectateurs). À moins que ce soit pour une raison toute simple : le futur, tel qu'il se présente, n'a pas d'avenir pour nous. Glaçant.

Trois épisodes d'Extrapolations ont été mis en ligne le 17 mars 2023 sur Apple TV+. Un nouvel épisode est diffusé chaque vendredi.

 

Extrapolations : Affiche US

Résumé

Si elle se perd parfois dans un trop-plein d'idées futuristes, Extrapolations est un véritable avertissement sur l'avenir de notre planète et de l'humanité face aux conséquences de la crise écologique.

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Lecteurs

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commentaires
SebSeb
02/05/2023 à 16:17

Le changement climatique est une certitude et peut très bien se gérer, le vrai problème c'est la pollution causée par la société industrielle , et la prédation des ressources par les multinationales comme si elles étaient infinies. C'est ça qui est en train de tuer toute vie sur la planète.
On pompe l'eau comme des malades et ensuite on s'étonne que des sols secs ou imperméabilisés ne puissent pas tout absorber quand des pluies diluviennes arrivent, et que ça fasse des dégats jamais vus. Quelle découverte.
Et qu'en soi une multinationale opérant des montages invraisemblables pour ne payer aucun impôt, et qui cible des CSP+ leur ponde un programme présentant une vision catastrophiste des habitudes de gaspillage actuel étirées sur 50 ans, en présentant le nombre comme le problème, on voit où ça amène : ben oui, plutôt que de mettre des limites à ce modèle industriel, et si on limitait pas plutôt le nombre de personnes pouvant vivre avec ce confort ? Et faire payer aux autres le reste (on s'en fout ils sont pauvres. Et s'ils étaient pas là, qu'est-ce que ça serait mieux d'ailleurs). Bref, tout plutôt que la remise en question de l'enrichissement individuel au détriment de la vie collective.

Lecon
26/04/2023 à 11:42

Avec la donneuse de leçon bobo chanel... non merci

le mulet
25/04/2023 à 10:09

grosse déception, cette série, y a un gros problème d'écriture !!

l'histoire avec la baleine, c'est risible franchement, que des enfant se laissent embarquer, OK, mais a aucun moment ça ne tient debout scientifiquement.

D'un point de vue sociologique, pareil c'est l'horreur, nous faire chialer pendant 8 épisodes sur la classe dominante, HELP !!!!!!!

Eddie Felson
24/04/2023 à 22:06

@John J
T’emballe pas, c’est une actrice, elle ne choisit pas forcément ses rôles en fonction de ses convictions.

Cidjay
24/04/2023 à 17:34

@Modèle world 3 : et en plus, tu essayes de tuer des gens en les faisant lire ton commentaire sans ponctuation... pas sympa.

John J
24/04/2023 à 15:09

Ah la Cotillard la moralisatrice qui dort dans des yacht de 50 monde long .

Modèle world 3
05/04/2023 à 17:46

Merci GBT de ton commentaire qui c est pour ça que même a 44 ans je n ai pas ce problème morale a traité ceux qui se donne le droit d être parents en toute connaissance de cause de se résoudre a torturé un être humain dans d atroce souffrance fait inéluctable car nous même souffriront dans ce monde égocentrique cruel ou le manque la mort et la nostalgie nourriront notre esprit au travers de la famine la pauvreté généralisé l inconfort du climat l asphyxie le délestage des structures et de nos proches et ce dans un abandon d une vie après la mort au milieu de milliards de cadavre je ne suis pas reconnaissant de vivre cette vie là l espèce humaine est la moins intelligente de toute les espèces sur terre même si la série se termine en 2070 les études du Massachusetts institut of technology avec le modèle world et confirmé par celui de la NASA démontre bien que notre série a nous se termine en 2045 et qu' il trop tard bref retrouver votre humanisme et votre spiritualité sa presse référence Wikipedia : modèle world 3 rapport Meadows institut of technology Massachusetts Adieu gang

MoiLeVrai
24/03/2023 à 13:54

La série a le mérite de traiter du sujet, et rien que pour ça elle est a regarder. Je suis ok avec tous les commentaires qui regrettent que ce soit centré sur les "riches" et que le futur ne sera probablement pas aussi calme et lisse que décrit. Mais si la série s'assumait en "uchronie d'anticipation" ça ne poserai pas de soucis.

Pour moi le mérite principal de la série est le suivant: anticiper à quoi ressemblera le futur proche s'il on continue de fermer les yeux et si les pauvres continuent à rester indulgents. Ciomme le dit @TearsinRain, le chantage a l'eau de l'episode 1 fait froid dans le dos, mais ce qui fait le plus froid dans le dos c'est le chantage au brevet (et pas à la technologie). Le jour ou nous en arriveront à la situation décrite dans la série, les pays ne se priveront pas de faire tomber tous les brevets si la survie de leur peuple en dépend vraiment. Ce qui sera probablement source de conflit militaire etc.

Bref il faut réagir des maintenant

Tearsin Rayne
23/03/2023 à 21:14

Erratum : COP 42 et non coop 42

Tearsin Rayne
23/03/2023 à 21:11

Entres autres (nombreuses) choses, le problème du chantage à l’eau évoqué dans le premier épisode est particulièrement pertinent et fait froid dans le dos : grosso modo, en échange d’une gratuité des brevets du dessalement et de la purification de l’eau (détenus par un géant de la tech) « pour tous les pays qui en démontreront le besoin », les efforts en matière de réchauffement climatique sont revus à la baisse lors de la Coop42 avec un engagement à « maintenir le réchauffement (climatique) autour de 2° Celsius, autant que possible, sans excéder les 2,3°. »

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