Extraordinary : critique mélan-cock-ie sur Disney+

Axelle Vacher | 27 janvier 2023 - MAJ : 10/02/2023 01:35
Axelle Vacher | 27 janvier 2023 - MAJ : 10/02/2023 01:35

Suite au succès du whodunit Only Murders in the Building, la plateforme Disney+ revient avec une nouvelle série à la structure similaire. Première création de la scénariste britannique Emma MoranExtraordinary se propose d'explorer le quotidien d'une société où les habilités surhumaines sont devenues la norme. Métaphore du passage à l'âge adulte multipliant les plaisanteries lubriques, cette nouvelle comédie feel good peut-elle prétendre à la satire sociale ou a-t-elle manqué son propos ? 

De grands pouvoirs…

Inutile de rappeler combien la figure du super-héros occupe une place prépondérante dans le paysage culturel actuel. Fantasme défiant la fragilité intrinsèque de l'humain, outil de métaphore sociale ou plus simplement, réponse à la banalité du quotidien, ces justiciers et autres anti-héros ont su nourrir les imaginaires de bien des scénaristes et remplir les poches de moult studios.

Initialement popularisés auprès du grand public en 2002 grâce à la trilogie Spider-Man de Sam Raimi, puis, définitivement ancrés dans la sphère audiovisuelle par l'ascension des estampilles Marvel et DC Comics, ces personnages aux habilités extraordinaires ont continué de fleurir en parallèle de ces mastodontes franchisés et leurs illustres figures de proue. On pense notamment aux succès plus "adultes" de Kick-Ass, du petit bijou de found footage Chronicle, de la série Misfits ou encore, des plus récentes Umbrella Academy et The Boys sur Netflix et Prime Video.

 

Extraordinary : photo, Mairéad Tyers, Sofia OxenhamLes aficionados du genre tous les deux du mois

 

Fatalement, avec une omniprésence pareille des capes et autres costumes en spandex, apprendre qu'une énième série à base de super-pouvoirs s'apprête à investir de nouveau une plateforme de SVoD à de quoi donner matière à soupirer. Il serait pourtant bien mal avisé de s'arrêter à ce malheureux a priori au regard d'Extraordinary et de son concept relativement novateur : dans un univers où l'ensemble de la population se retrouve dotée d'aptitudes surnaturelles, comment se démarquer les uns des autres ?

C'est là la question que semble poser de prime abord Emma Moran, créatrice et scénariste de la série pour Disney+. Jen, interprétée par la très juste Mairéad Tyers, est une jeune femme dépourvue d'une quelconque capacité notable à vingt-cinq ans passés, là où la majorité des individus découvre la leur pour leur dix-huitième anniversaire. Et si cela n'était clairement pas assez difficile pour le personnage à encaisser, cette dernière semble tout simplement ne pas savoir quoi faire de sa vie.

 

Extraordinary : photo, Mairéad TyersÇavabiensepasserçavabiensepasser

 

Employée à temps partiel dans une boutique tenue par une cinquantenaire bloquée dans le corps d'une enfant prépubère, Jen s'essaie mollement à changer sa situation et se plie à une hilarante session d'entretien d'embauche ; les traits tirés et la mine grise, celle-ci se voit toutefois contrainte d'avouer à son interlocutrice (dont le pouvoir est similaire à celui d'un sérum de vérité) s'être présentée en retard, car ses antidépresseurs l'empêchaient de jouir plus rapidement. À bon entendeur, il s'agit là de la séquence d'ouverture du tout premier épisode. Voilà qui a donc le mérite de donner le ton.

Présentés comme le sujet principal de la série, les super-pouvoirs sont toutefois moins le propos central de l'intrigue, mais plutôt une toile de fond sur laquelle se déroule le quotidien d'une héroïne à demi dépressive, et de ses deux colocataires non moins névrosés. À dire vrai, ces aptitudes passent tellement au second plan qu'elles se retrouvent bien souvent sous-exploitées par l'intrigue, voire reléguées au statut de ressort comique atypique – oui, un puceau socialement inadapté à le pouvoir de faire jouir quiconque le touche, oui une médium a le pouvoir de convoquer l'esprit d'Hitler pour le tourner en ridicule. Mais qui va s'en plaindre ?

 

Extraordinary : photo, Mairéad Tyers, Luke RollasonAutre gag que l'on vous laisse découvrir par vous-même

 

Quarter life crisis

Ainsi, le véritable intérêt que propose Extraordinary repose dans sa figuration sans détour d'un spleen propre à la vingtaine. Nombreux sont les coming of age à s'intéresser au passage de l'adolescence à la majorité, mais qu'en est-il du bouleversement identitaire se produisant inévitablement lors de l'insertion au monde adulte ? Que faire de sa vie ? Quelle est sa véritable vocation ? Comment trouver sa place dans la société ? Comment prendre part à cet univers dont les codes semblent profondément infinis quoique connus de tous ?

La quête du personnage principal se conçoit donc moins comme une recherche désespérée de son propre pouvoir que celle de saisir ce qui peut bien la rendre spéciale aux yeux des autres. Ce désir perpétuel de trouver un sens à sa vie a largement de quoi permettre au spectateur englué dans sa propre crise existentielle de se retrouver dans le personnage de Jen. Pourtant, la jeune femme est si antipathique qu'il est difficile d'avoir réellement une grande sympathie pour elle.

 

Extraordinary : photo, Mairéad TyersLife is a party

 

Égoïste et autocentrée, la jeune femme n'hésite nullement à négliger, voire saboter, ses proches au profit d'une validation extérieure de bas étage (ceci est un rappel général qu'il n'est pas bien judicieux de déterminer sa valeur selon l'approbation d'un plan cul qui s'envole littéralement par la fenêtre après avoir tiré son coup).

Il n'est d'ailleurs pas rare que celle-ci se montre ouvertement cruelle et dégradante envers sa mère et ses propres amis, en dépit de leur soutien permanent. Certes, cela fait de Jen un personnage aussi complexe que fantasque, mais le revers de la médaille, c'est qu'il devient rapidement difficile pour le spectateur de supporter ses pleurnicheries sempiternelles.

 

Extraordinary : photo, Mairéad Tyers, Sofia Oxenham, Siobhan McSweeneyCellule de crise

 

Heureusement pour ce dernier, la série figure toute une ribambelle de personnages non moins hauts en couleur que sa protagoniste. Aucun d'entre eux ne semble au demeurant beaucoup plus apte à naviguer dans les eaux houleuses de l'âge adulte. En résulte une pléthore de situations laissant en bouche le goût âcre de la familiarité. Ce serait mentir de dire que certaines scènes n'inspirent pas l'embarras, ou la mortification. En cela, Moran excelle à dresser le portrait d'une jeunesse démunie, avec tout ce que cela implique de déni, d'échecs, de remises en question et autres maladresses diverses.

Il n'y a qu'à se pencher un instant sur le personnage de Kash (Bilal Hasna), lequel refuse en bloc toute forme de responsabilité, pour que le spectateur ait probablement l'horrible sensation de se regarder dans un miroir. Sans emploi et vivant au crochet de sa petite amie Carrie, le pauvre bougre refuse de se plier aux injonctions du travail et préfère jouer les justiciers de sous-marque en vue de donner un sens à sa vie (spoilers : cela ne fonctionne évidemment pas très bien).

 

Extraordinary : photo, Bilal HasnaQuand tu cherches désespérément à laisser ton empreinte sur le monde

 

(extra) Ordinaire

À première vue, Extraordinary semble disposer de toutes les cartes nécessaires à la mise en scène d'un projet sympathique. Néanmoins, le concept s'épuise rapidement, et souffre de quelques faux-pas et longueurs en dépit de son format ultra digeste (soit, huit épisodes d'environ trente minutes). Certes, la série a le mérite de se consommer rapidement, et est globalement loin d'être désagréable à regarder. Malgré cela, certains segments narratifs sont plus engageants que d'autres – il est par exemple difficile de se sentir réellement investi par les ambitions héroïques de Kash et de ses congénères en manque de hobbies – tandis que certains gags, généralement gras et lubriques, deviennent largement prévisibles à mesure que les épisodes se suivent.

Au final, un changement de personnage principal au profit de Carrie, savamment interprétée par Sofia Oxenham, aurait pu donner lieu à un contenu plus ambitieux et plus complexe sur le long terme. Outre les possibilités découlant de son pouvoir atypique, cela aurait également permis d'explorer en profondeur certaines thématiques plus sérieuses engagées par la série, telles que la gestion du deuil (la légende raconte que l'auteure de ses lignes sèche encore ses larmes suite au final du premier épisode), la nécessité d'apprendre à s'affirmer auprès des autres, ou encore, à se départir de ses amours de jeunesse.

 

Extraordinary : photo, Sofia OxenhamLa nécrophilie, est-ce réellement si mal ? 

 

Malgré ses quelques faiblesses, Extraordinary n'en demeure donc pas moins un divertissement réussi. D'autant plus qu'il s'agit là du tout premier vrai projet de sa créatrice (laquelle ne disposait jusqu'à présent que de crédits "scénariste additionnelle" sur la série des années 90 Have I got news for you). On peut donc être conciliant et excuser certaines bévues rythmiques et narratives, puisque la série ne manque nullement de briller par moments, notamment dans son sens de l'équilibre entre émotion et comédie. Il faut également souligner la vision, sinon originale, du moins savamment conduite, de la vie de tous les jours et de ses (trop) multiples dilemmes.

Non, la série Disney+ ne propose rien de révolutionnaire, ce qu'elle a par ailleurs l'intelligence de ne pas prétendre. Oui, il arrive qu'elle explose allègrement le cringeomètre (qui n'a jamais laissé de message embarrassant à son plan cul sous l'emprise d'une substance quelconque ?), et, oui, ça fait définitivement mal de voir nombre de ses insécurités étalées en plein écran pendant quatre heures. Mais c'est la vie. N'est-ce pas formidable ?

Extraordinary est disponible en intégralité sur la plateforme Disney+ depuis le 25 janvier 2023

 

Extraordinary : affiche (1)

Résumé

Malgré une poignée de maladresses et un message rébarbatif prônant à cor et à cri la nécessité de s'aimer tel que l'on est, Extraordinary a le mérite de dépeindre adéquatement la difficulté du quotidien à un âge transitif. Alors à défaut d'en pleurer, autant en rire.

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commentaires
Ozymandias
07/10/2023 à 23:42

Bien apprécié cette petite série, quelques défauts mais ça se regarde avec beaucoup de plaisir. Je suivrai la saison 2 s'il y en a une !

Silers
29/01/2023 à 19:39

La vérité toute nue, c'est que c'est très très rigolo. Absurde, excessif et vulgaire. Mais très très drôle. Mention spécial au pouvoir qui permet de déféquer des objets à la demande. "A condition qu'ils soient aérodynamiques". Evidemment. Sinon... Enfin bref.

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