La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé : critique mon thriller imaginaire sur Canal+

Axelle Vacher | 23 janvier 2023
Axelle Vacher | 23 janvier 2023

Suite à son film choral Matthias & Maxime en 2019, le jeune favori du Festival de Cannes a souhaité ralentir son rythme de production. Mais comme toujours, l'inspiration guette, et après avoir découvert sur scène la nouvelle pièce de Michel Marc Bouchard, Xavier Dolan a décidé d'en adapter l'intrigue au format sériel. Premier essai du Québécois pour le petit écran, La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé est-elle le théâtre d'un renouveau pour le cinéaste, ou celui-ci s'est-il définitivement enfoncé dans ses propres méandres ? Réponse sur Canal+.

J’ai (encore) tué ma mère

Adepte des figures marginales et d'une intimité perpétuellement exacerbée, Xavier Dolan s'est forgé une identité visuelle et narrative profondément sienne en un peu plus d'une décennie. Avec son attention au détail plus maladive que méticuleuse, son besoin viscéral de superviser chacun des aspects de son oeuvre et son amour indéfectible de l'humain, le cinéaste multiplie les discours relatifs à la figure maternelle, aux familles dysfonctionnelles, aux aléas de la communication, au genre, ou encore (voire, selon certains, surtout) à la sexualité.

Si Dolan a connu quelques erreurs de parcours – on pense notamment à sa digression hollywoodienne Ma vie avec John F. Donovan –, sa filmographie se caractérise néanmoins par une indubitable cohérence, et ce nouveau projet ne fait nullement exception à la règle. Avec son intrigue portant sur le deuil, les dépendances de toutes sortes et l'aliénation quasi irréversible des liens familiaux, le texte de Michel Marc Bouchard émet comme des vapeurs de pain bénit

 

La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé : photo, Magalie Lépine-Blondeau, Éric Bruneau, Xavier DolanAu vu du papier peint, aucun doute sur l'identité du réalisateur

 

Ainsi, le cinéaste a beau transposer la distribution originale de la pièce à son plateau de tournage, il parvient malgré tout à imposer Anne Dorval en éternelle matriarche ; pour ce qui est du reste, Dolan reste fidèle à lui-même, et ne lésine pas sur le fard à paupières, les décors surchargés, ou l'usage d'un joual populaire, le tout porté par une bande-son pop bien choisie (à laquelle Hans Zimmer prête volontiers ses violons).

En un sens, cette toute première série peut se concevoir comme une synthèse de l'oeuvre de Dolan dans son ensemble. Le retour de Mireille (Julie LeBreton) après plusieurs décennies d'absence et l'explosion familiale que cela engendre rappelle inévitablement l'intrigue du mésestimé Juste la fin du monde. La prétention au thriller fait écho au film le plus injustement méconnu du cinéaste, Tom à la ferme, la structure en analepse évoque, entre autres, Laurence Anyways, tandis que les différents personnages répondent ostensiblement à moult archétypes dolaniens.

Si cette tendance à la récidive aura de quoi ravir les aficionados de Xavier Dolan (dont l'auteure de ces lignes fait résolument partie) et ennuyer les moins convaincus, elle témoigne toutefois d'une certaine difficulté du cinéaste à se départir de certains procédés visuels et narratifs déjà maintes fois éculés au gré de sa filmographie. 

 

La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé : photoJ'ai tué mes amours imaginaires à la ferme jusqu'à la fin de ma vie avec Laurence, Matthias, et Maxime

 

Beau-maux coeur

Si d'aucuns arguent que le cinéma de Xavier Dolan verse davantage dans le mélo éhonté que dans le drame gris et sérieux, le cinéaste collectionne pourtant à son actif les tragédies sociales diverses. Aussi, ce projet de thriller psychologique sériel, inscrit dans une veine similaire à celle de son quatrième long-métrage, n'a rien d'un exercice totalement inédit.

Dolan semble néanmoins peiner à recréer à travers Laurier Gaudreault une atmosphère suffisamment sordide pour réellement insuffler de la tension à son intrigue. Si la défaillance familiale et les différends entre Mireille et son frère Julien (Patrick Hivon) sont bien rapidement déroulés au spectateur avec la subtilité d'un coup de massue, ceux-ci manquent toutefois de corps pour susciter l'inquiétude et prendre le spectateur par les tripes. 

 

La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé : photo, Xavier DolanUn exercice drainant, à n'en pas douter

 

Plus encore que le genre toutefois, l'inégalité est le véritable point faible de Laurier Gaudreault. Longue de cinq épisodes d'environ soixante minutes chacun, la série aurait probablement gagné à être rabotée d'une heure ou deux ; certaines séquences souffrent ainsi de multiples longueurs tandis que d'autres, plus intenses (on pense notamment à la confrontation mémorable entre Mireille et Julien dans le quatrième épisode), marquent davantage le manque d'harmonie dont souffre globalement la série. 

Il s'agira bien sûr d'être indulgent avec Xavier Dolan, dont c'est, rappelons-le, le premier essai au format. Les enjeux de construction scénaristiques différant de ceux d'un film, les lacunes potentielles du cinéaste semblent au demeurant partiellement comblées par un mouvement de bascule continu entre 1991 et 2019. C'est d'ailleurs à travers ces nombreux flashbacks que celui-ci se montre le plus efficace

 

La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé : photo, Patrick HivonÉcrire l'âge adulte = nope

 

Depuis J'ai tué ma mère en 2009, Xavier Dolan s'est principalement illustré à travers la mise en scène d'une jeunesse marginale et torturée. Il n'y a donc rien de bien étonnant à constater l'aisance avec laquelle il déploie le passé tragique de la famille Larouche plutôt qu'à les dépeindre quarantenaires et aigris. Ce postulat à l'esprit, c'est avec un plaisir cathartique non dissimulé que le cinéaste observe la plus jeune Mireille (interprétée avec brio par Jasmine Lemée) hurler à sa mère qu'elle refuse de se rendre au pensionnat, ou encore la découverte amoureuse et identitaire de Julien.

 

La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé : photo, Pier-Gabriel Lajoie, Elijah Patrice-BaudelotQuand le diable intime à Dolan de traiter de nouveau de l'adolescence

 

Jeu de cette famille

Dolan ne s'en cache pas, il aime se positionner en anthropologue émotionnel, lequel examine par le prisme de son dispositif filmique la délicatesse des relations interpersonnelles. Ainsi, le décès de la matriarche n'est qu'un prétexte malheureux justifiant l'ouverture de la boite de Pandore. Face au duo infernal que forment Mireille et Julien se heurtent Denis (Éric Bruneau), le plus sympathique de la fratrie, Elliot (Xavier Dolan), le benjamin toxicomane, mais aussi une belle-soeur énergico-névrosée ou encore une assistante légiste effacée.

Chacun des susmentionnés personnages possède au demeurant l'étoffe pour évoluer solidement en parallèle des aînés Larouche. Pourtant, ces derniers éclipsent plus que de raison leurs comparses, sans que cela soit particulièrement motivé par le scénario. En résulte une pléthore de personnages sous-exploités (quand ils ne sont pas tout simplement nébuleux) auxquels il devient difficile de s'attacher réellement, malgré les performances visiblement maîtrisées de leurs interprètes respectifs.

 

La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé : photo, Éric Bruneau"Cleaning up the family's closet"

 

La résolution finale est ce qui achèvera de désengager le spectateur des sorts de la fratrie et de ses dommages collatéraux. S'il n'est nullement question d'en dévoiler ici les détails, la révélation sur laquelle est construit le dernier épisode affaiblit non seulement le récit, mais tend surtout à en avilir les protagonistes. C'est d'autant plus surprenant que c'est habituellement là où excelle Xavier Dolan : à inspirer à son audience une affection profonde pour les différents portraits qu'il dépeint en dépit de leurs imperfections.

Une fois le secret des Larouche éclaté au grand jour, il est toutefois difficile de ressentir la moindre sympathie pour ce frère et cette soeur à l’égoïsme viscéral. Difficile également de les plaindre malgré leur mal-être évident, ou de justifier leurs parcours et faiblesses. Du grand mystère découle donc une certaine animosité rétrospective qui laissera au spectateur comme un goût amer dans la bouche.

 

La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé : photo, Julie LeBreton"Antipathique, moi ?"

 

Pur produit dolanien en essence, La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé manque un tantinet de souffle pour se hisser au niveau de ses oeuvres précédentes, et décevra certainement ses amateurs les plus aguerris. Si cette série est assurément un produit complet qui ne manque pas plus d'intérêt que d'ambition, elle accuse toutefois plusieurs lacunes en termes d'enjeux, de rythme, et d'émotion. Certes, il n'y a pas mort d'homme. Xavier Dolan ayant très récemment annoncé souhaiter prendre ses distances avec les plateaux de tournage pour une durée indéfinie, Laurier Gaudreault semble néanmoins trop fade pour porter le coup d'une sortie en grande pompe. 

Deux épisodes de La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé à partir du 23 janvier 2023, puis deux nouveaux épisodes chaque lundi sur Canal+

 

La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé : affiche

Résumé

À concevoir comme une synthèse de ses films précédents, la première série de Xavier Dolan semble témoigner d'une inspiration en bout de course. Malgré son concept engageant et son esthétique méticuleuse, La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé manque un tant soit peu de panache pour convaincre pleinement.

 

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commentaires
Terryzir
27/01/2023 à 12:28

Xavier Dolan ou l'illustration contemporaine du bis repetita placent.

Y'a qu'à voir la pléthore d'interviews que donne ce cher Xavier : de Konbini à En Aparté, il ne peut s'empêcher de se répandre. "Je suis quelqu'un d'exhaustif" dit-il... Sûrement, mais tu es aussi très fatigant, mon grand dadais. Se forcer à tourner film sur film sans jamais prendre le recul nécessaire entre chaque, on frôle l'occlusion et l'accident industriel - ce qui est (encore) le cas ici avec ce salmigondis qui prend les atours d'une mini-série Canal de luxe.

De ses slow-motions à rallonge piqués à Wong Kar-wai en passant par nombre de films de Douglas Sirk ou de Claude Sautet dans lesquels il a pioché allègrement pas mal d'idées de mises en scène (il ne s'en cache pas, et c'est tout à son honneur), il a su jouer malicieusement les DJ avec les thèmes identitaires de son époque - dans le sens identité de genre, j'entends (je souligne pour les droitardés).

Très bien, il a eu raison de prendre ce créneau qui n'attendait plus qu'un petit malin dans son genre pour cocher cette case tant attendue. Mais jouer les ersatz d'Orson Welles (dont il commence à ressembler physiquement) et pondre du Elmodovar moins diapré à la sauce poutine, c'est tout de même assez cocasse pour quelqu'un qui a une fascination toute puérile pour Titanic et qui se permet d'insulter Godard dans ses nombreux épanchements promotionnels.

N'est pas R. W. Fassbinder qui veut.

Eusebio
24/01/2023 à 19:14

Depuis quand "Tom à la ferme" est méconnu ? Ou "Juste la fin du monde" mésestimé ? Je n'évolue pas dans un cercle de cinéphiles pourtant mon entourage tend à vous contredire là dessus...
En tous les cas, votre critique a l'air de confirmer mon impression au vu de la bande annonce : du pur Dolan, ou une caricature de lui-même, selon le point de vue.

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