Doctor Who : Le Pouvoir du Docteur - critique d'une régénération qui dégénère

Ange Beuque | 28 décembre 2022 - MAJ : 28/12/2022 14:20
Ange Beuque | 28 décembre 2022 - MAJ : 28/12/2022 14:20

Dans la longue et riche histoire de la série culte Doctor Who, une régénération est toujours un moment clé. C'est une opportunité finalement rare dans l'univers des feuilletons de se projeter vers l'avenir en faisant table rase des intrigues, interprètes... et méthodes d'écriture essorées. Avant de céder sa place de showrunner sur la mythique série SF de la BBC, Chris Chibnall envoie donc Jodie Whittaker en découdre avec le Maître (Sacha Dhawan), avec l'aide de ses compagnons Mandip Gill et John Bishop... alors que l'ombre d'un certain David Tennant plane sur Le Pouvoir du Docteur. Critique de l'épisode spécial de fin 2022, diffusé en France sur NRJ12.

 

La Beeb bamboche

Le Pouvoir du Docteur se devait de constituer un jalon dans la longue histoire de la série. Pour son dernier trajet aux manettes du Tardis, le showrunner Chris Chibnall avait pour mission de sublimer le départ de Jodie Whittaker et de ses compagnons, tout en préparant le terrain pour la prochaine incarnation de l'extra-terrestre aux deux cœurs (Ncuti Gatwa, découvert dans la série Sex Education).

Il convient de surcroît d'honorer le 100ème anniversaire de la BBC, auquel Doctor Who est étroitement associé. Et la 60ème bougie de la série est en ligne de mire, qu'il importe d'anticiper pour en faire un événement du niveau du Jour du docteur.

 

Doctor Who : Le Pouvoir du Docteur : Jodie WhittakerThirteen reasons who

 

Pour marquer le coup, ce spécial démultiplie les protagonistes, les lieux et les époques. On saute de Naples à la Russie en transitant par une planète alien, avec un mélange de contexte historique et de décorum futuriste dans la plus pure tradition de la série. Les inévitables Daleks et Cybermens sont de la partie, ainsi que le Maître (Sacha Dawhan, enfin à son aise) sous les traits de Raspoutine. Chibnall tente de donner un peu de cohésion à l'arc de Thirteen, en convoquant les Cybermen Masters.

Le Pouvoir du Docteur met les petits plats dans les grands, pour singer les atours d'un mini-blockbuster de science-fiction, agrémenté de sucreries formelles (ce plan séquence avec le Cybermen) et de quelques scènes d'action. Certes, qu'il s'agisse d'un train lancé à pleine vitesse ou d'une chute libre, les habituelles limites techniques de la série transparaissent. Toutefois, elles font tellement parties intégrantes de son ADN qu'elles participent presque de l'immersion.

 

Doctor Who : Le Pouvoir du Docteur : Cyber MasterCyber-prêt pour la choré sur Boney M

 

Une générosité à canon scié

Extrêmement généreux, l'épisode impulse un rythme soutenu. Tout va vite, et sans doute trop : le spectateur n'a pas le temps d'intégrer les implications d'un rebondissement que la donne a changé. On peut également douter que la logique de la trame survive à une inspection à froid, mais qu'importe : le plaisir du divertissement brut l'emporte, avec une petite dose de WTF régressif en prime (la danse du Maître).

Chibnall continue d'enrichir la mythologie de la série, introduisant précipice de régénération et autres créatures aussi intrigantes que le Qurunx. Dommage que leur intégration se fasse parfois sans grande finesse.

 

Doctor Who : Le Pouvoir du Docteur : Jodie WhittakerQuand t'es invitée à une soirée « pull moche de Noël »

 

Pour surprendre, le showrunner n'hésite pas à tordre le canon dans tous les sens : des Cybermens qui se régénèrent, d'autres miniaturisés façon poupée gigogne, un Docteur Dalek... Sans parler de la numérotation des Docteurs, qui a fait autorité pendant plusieurs décennies avant de voler en éclat. À voir comment son successeur se dépatouillera de ce marasme, mais cette impertinence a au moins pour elle d'apporter une certaine fraîcheur.

Cette générosité se déploie parfois au détriment de l'émotion tant certaines trajectoires paraissent rabotées, au risque d'inciter le spectateur à suivre ces péripéties en pilotage automatique. L'épisode a toutefois le mérite de résister au tire-larme facile : le départ de Dan et celui du Docteur elle-même sont traités avec beaucoup de sobriété. À défaut de pouvoir profiter encore des envolées musicales de Murray Gold pour émouvoir sur une tirade épique, le choix de la retenue tranche agréablement et correspond à la personnalité solaire de Thirteen.

 

Doctor Who : Le Pouvoir du Docteur : TerreLes fans attendant que les scénaristes assument

 

Reculer pour ne pas mieux sauter

S'il traite le canon sans excès de révérence, Le Pouvoir du Docteur reste toutefois trop inféodé à son passé. Surtout quand on sait que le prochain showrunner n'est autre que Russel T. Davies, qui effectue son retour après avoir ressuscité la série en 2005 (il a assuré le service jusqu'en 2009), et que l'emblématique David Tennant a été teasé.

L'apparition de plusieurs incarnations passées du rôle titre n'est pas problématique en soi et souligne bien la dimension "passage de témoin" d'une régénération. Mais le traitement des deux anciennes compagnes du Docteur, Tegan (Janet Fielding) et Ace (Sophie Aldred), atteste d'une difficulté à trouver le bon dosage.

 

Doctor Who : Le Pouvoir du Docteur : Sophie Aldred, Janet FieldingAce de cœur

 

Sur le papier, l'idée de les faire revenir plusieurs décennies après leur dernière apparition était excellente, permettant d'approfondir le thème toujours touchant du devenir des alliés du Docteur lorsqu'ils doivent de nouveau carburer à l'ordinaire. Mais les retrouver ne se révèle pas tout à fait aussi marquant qu'espéré. Elles sont les victimes collatérales du foisonnement narratif, et leur présence peine à dépasser franchement le stade de l'hommage appuyé.

Arrive alors l'énorme twist final qui a excité les fans. Il est à la fois la force et la faiblesse de ce spécial : un coup de poker réussi, mémorable... mais qui, en ouvrant une parenthèse dispensable, trahit une certaine réticence à se lancer pleinement vers le futur, à rebours de ce que devrait être l'aboutissement d'un épisode de régénération.

Doctor Who : Le Pouvoir du Docteur est diffusé sur NRJ12 le 28 décembre à 21h

 

Doctor Who : Le Pouvoir du Docteur : Affiche

Résumé

Le Pouvoir du Docteur se montre très (trop ?) généreux pour célébrer comme il se doit le terme de l'ère Chibnall/Whittaker. Mais son twist final mémorable trahit son incapacité à se projeter pleinement dans le futur. Pour un voyageur temporel, c'est rarement bon signe.

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Lecteurs

(3.7)

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commentaires
Aurelius
16/01/2023 à 16:39

Par contre je suis peiné que Russel Davies n'ait pas osé garder la tenue de 13 lors de sa régénération, car ça n'a aucun sens. J'entends son argument sur sa crainte de vexer la communauté Drag, mais à mon avis c'était le mauvais choix, car non, 10 dans les habits de 13, ça n'aurait pas forcément été "ridicule", ça aurait été simplement courageux, puisque l'idée à la base du Drag est de s'approprier et de jouer avec les stéréotypes de genre. Et si on veut vraiment arrondir les angles, il aurait suffi que 13 porte un foulard, ou ait des vêtements amochés, ou une raison de porter un autre pull... et du coup c'est dommage d'avoir voulu prioriser un aspect visuel et conservateur, et plutôt décevant s'agissant de Russel Davies.

Aurelius
16/01/2023 à 16:30

J'aime beaucoup la critique, qui est plutôt raccord avec mon ressenti. L'épisode était pas mal compte tenu de ce dont on a eu droit ces dernières années, même si c'est un vrai bazar et que la cohérence est mise au second plan. Par contre, je ne serais pas si pessimiste sur la conclusion, au contraire. L'arc Chibnall a grandement peiné à convaincre, et faire une petite pirouette en arrière avant de faire repartir la série sur les rails, c'était sûrement la meilleure idée pour récupérer de l'audience et nous rappeler ce qu'est réellement Doctor Who (du moins la nouvelle série), en profitant par la même occasion d'une intrigue en suspens pour faire revenir l'iconique Catherine Tate qui n'a injustement eu droit qu'à une seule saison (+ un épisode spécial). Sans compter que c'est une garantie pour que Russel Davies puisse se réapproprier la série en repartant sur quelque chose qu'il maîtrise pleinement plutôt que de nager en eaux troubles après le brouillard laissé par son prédécesseur. Bref, pour 3 épisodes, c'est une très bonne idée à mon avis et ça augure du bon !

Loulay
01/01/2023 à 18:15

Finalement cet épisode final n'étais pas si mal comparé à tout l'arc Chibnall qui lui était faible. Et assez content de mon côté que ça touche à sa fin.

On aura eu un docteur avec beaucoup de potentiel mais sous exploité. Tout cela noyé dans bien trop de compagnons... Pour qui je ne garderai aucune accroche. Même pas une once d'émotion en les voyants partir. Là où les fin de Rose, Amy, Clara, Donna... M'avaient brisés le coeur.

On nous avait promis Chibnall comme le changement, au final c'est un échec. Alors peut être que faire un pas en arrière en allant chercher quelqu'un qui connait bien la licence, ses forces est le meilleur remède pour faire évoluer Doctor Who.

David Tenant est un des Doc emblématique. Russel y voit sûrement une manière d'y attirer les nostalgiques de cette époque et de finir des chapitres qu'il a laissé en suspens.

L'évolution viendra aussi de l'alliance entre la BBC et Disney+. On peut espère des disponibilités dans les différentes langues bien plus rapidement et que la licence soit plus forte au niveau mondial.

Bref, vous le comprendrez dans la déception de ces dernières saisons j'y vois de mon côté du positif pour l'avenir

Redwan78
01/01/2023 à 12:35

J'ai bien aimé cette épisode. Ils se sont pas trop attardés sur les cybermen où les daleks. Pour le personnage du maître,on a vu mieux.

Je sais pas si c'est la qualité des scenariis,la docteure a eu de très bons épisodes comme de mauvais. Ils auraient dû aller plus loin dans le traitement du multiverse. On se débarrasse enfin de yas qui était devenue totalement inutile. Sinon bien content de revoir David tenant dans le rôle du docteur,l'un des meilleurs depuis le retour de la série.

Ange Beuque - Rédaction
30/12/2022 à 09:43

@Dracojo il n’est effectivement pas question de l’attribuer davantage à Chibnall qu’à Davies, mais qu’il vienne de l’un ou de l’autre il fait tout autant partie de l’épisode, donc de son appréciation. Et c’est bien sur l’avenir qu’il pose question (la propension à évoluer), ce qui concerne Davies au premier chef… du reste, difficile de l’évacuer, il y a fort à parier que ce sera la principale (seule ?) chose qu’on retiendra de ce spécial dans quelques années.

Dracojo
30/12/2022 à 00:12

Je trouve un peu dommage de souligner avec insistance le retour de David Tennant comme un point négatif alors qu'il n'est pas dû a Chris Chibnall mais a Russell T Davies. Chibnall n'était pas au courant de ce qui allait se produire au moment d'écrire et même de tourner l'épisode. Alors certes le fait est que ça fait partie de l'épisode dans tous les cas... Ouais sauf que ce sont les dernières secondes de l'épisode sur 1h27

Prisonnier
29/12/2022 à 13:55

Pas touché par le retour des anciennes tout simplement parce que j'ai jamais pu voir les.anciens épisodes. Donc ces passages osef pour moi

Nico1
28/12/2022 à 22:21

Un sacré bavordavel que cet épisode special ,trop surement. Et Sacha Dawan est toujours aussi mauvais et insupportable.

Tsushima
28/12/2022 à 16:38

Je ne suis absolument pas d'accord sur le fait que les anciennes compagnes n'apportent rien. Elles ont chacune une trajectoire différente mais leur retour apporte de la gravité ( Répercussiondes actes passés du docteur). On suit avec intérêt leurs péripéties et elles sont traitées comme des personnages féminins puissants . Spoiler. Les 2 scènes où elles retrouvent leurs docteurs respectifs sont totalement déchirantes. Fin Spoiler
L'épisode est surtout une lettre d'amour à la période classique.

Ange Beuque - Rédaction
28/12/2022 à 14:22

@Un connaisseur : Absolument ! Quelle étourderie grossière ! Manifestement, votre serviteur n'est pas doté de trois hémisphères cérébraux en pleine période de festivités. Cela trahit manifestement son humanité - contrairement à notre cher Seigneur du temps.

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