Jack Ryan saison 3 : critique d'une mission pas possible sur Amazon

Lino Cassinat | 20 décembre 2022 - MAJ : 20/12/2022 15:04
Lino Cassinat | 20 décembre 2022 - MAJ : 20/12/2022 15:04

Jack Ryan, le héros créé par Tom Clancy, revient pour sa troisième saison sur Amazon Prime Video, encore incarné par John Krasinski et accompagné de Wendell Pierce dans cette série produite par Michael Bay. Et après deux saisons peu convaincantes, les scénaristes Carlton Cuse et Graham Roland, s'ils parviennent à relever légèrement le niveau, n'arrivent toujours pas à proposer autre chose que du NCIS à gros budget.

QUE DES REMORDS

Le thriller politique d'espionnage est un exercice dangereux, où le moindre faux pas peut transformer votre À la poursuite d'Octobre Rouge en diarrhée patriotique paranoïaque, entre croisade contre tout ce qui est non occidental et traque du fameux ennemi intérieur. Plus d'une œuvre ont d'ailleurs décidé de botter en touche, la franchise Mission : Impossible ayant par exemple choisi il y a bien longtemps de se servir du genre uniquement pour déchaîner une avalanche d'action, plutôt que d'essayer de produire des effets de sens ou de compréhension du monde.

 

Jack Ryan : photo, John KrasinskiIl a grandi Tom Cruise

 

Jack Ryan ne fait pas ce choix-là malheureusement, et avec sa doctrine America-Fuck-Yeah-mais-on-n'a-pas-le-budget, marche à la fois sur tout esprit de subtilité et sur toute tentative de spectacle. Et si Tom Clancy était loin d'être le dernier des chauvins conservateurs, toujours est-il que son travail passionnant et extrêmement renseigné a su avec brio (du moins au début) appuyer sur les contradictions et les hypocrisies de son pays. Sa capacité à mettre en avant (là encore, du moins jusqu'à Sans aucun remords) un héros gratte-papier, à distance des modèles virilistes tous flingues dehors des années 80 qui l'ont fait connaître, témoignait aussi d'une conception plus complexe du patriotisme rejetant le bellicisme benêt.

De cela, Jack Ryan ne retenait déjà que les grosses pétoires et le combat contre tous ceux qui veulent la mort de MacDonald's au cours de ses saisons 1 et 2, et n'en retient encore rien de plus pour sa saison 3. C'est d'ailleurs particulièrement manifeste sur la figure de Jack Ryan lui-même : l'itération de John Krasinski est toujours aussi parfaitement lisse, comme un Ethan Hunt à qui on aurait décollé les oreilles pour faire diversion. Jack Ryan saute, court, flingue, castagne, n'a jamais aucun bobo ou les cheveux décoiffés. Même lâché par sa hiérarchie, recherché par Interpol, la CIA et des terroristes russes, pas question de tacher son sourire Colgate. Jack Ryan est comme Bob Morane : il n'a jamais peur, c'est le roi de la Terre.

 

Jack Ryan : photo, John Krasinski, Michael KellyCe n’est pas parce qu'on fait une opération spéciale qu'on ne doit pas se laver les cheveux

 

BONS BAISERS DE L'ENNUI

Surtout, Jack Ryan est gentil. Très gentil. La preuve, il ne traîne qu'avec des gentils de la CIA, qui est elle-même très gentille, tout le monde le sait. Après les méchants islamistes et les méchants cabróns, cette fois ce sont les méchants Russes qui sont ressortis du placard. Et pas au bénéfice d'une relecture actualisée depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, cette saison ayant d'ailleurs été tournée avant. Non, comme d'habitude, il s'agira d'arrêter une organisation souhaitant provoquer une Troisième Guerre mondiale et restaurer l'URSS en faisant détonner une tête nucléaire acquise sur le marché noir. Un défaut de délicatesse qui fait d'autant plus mal en 2022, où il n'est plus temps de jouer à la dînette sur ce sujet.

Le monde et la guerre froide ont changé de visage, mais pas Jack Ryan, désespérément coincée dans une histoire à la géopolitique clichetonnante niveau CP qu'on aurait pu entendre dans un Call of Duty, un podcast d'Alex Jones ou une chanson du dernier album de Megadeth – à ce titre, le générique crypto-complotiste est particulièrement éloquent. C'est si peu inspiré et si bas du front que Ramin Djawadi, toujours aussi délicat qu'une mitraillette à parpaings, ne peut refouler le réflexe pavlovien de nous coller un choeur de l'armée rouge chaque fois qu'un Russe prononce une syllabe.

 

Jack Ryan : photo, Nina HossNon mais eux ils ont le droit, ils sont Tchèques

 

Bien entendu, on y retrouve également une gestion calamiteuse des langues, qui impose à des acteurs anglophones de parler avec un accent russe à couper au couteau et empêche de profiter des talents de l'impérial James Cosmo et de l'amer Peter Guinness. Tout cela donne à Jack Ryan une patine extrêmement vieillotte, et si ce n'était pour quelques effets numériques, on pourrait facilement croire que cette production s'est échappée de la crypte des années 90 un soir de biture à la Budweiser en hurlant Sweet Home Alabama. Ce serait beau si c'était un maniérisme, mais c'est bien un archaïsme, et on s'étonne que pareille série ose voir le jour après ne serait-ce que 24 heures chrono.

 

Jack Ryan : photo, Michael Kelly, Wendell PierceMoi gentil, toi méchant ?

 

GHOST RE-CON

Faut-il en conclure que Jack Ryan est irregardable ? Peut-être pas non plus. Comme face à un gros épisode de JAG ou de Air Force One, on a plus à faire à quelque chose de gentiment concon qu'à un véritable pamphlet nationaliste. Le genre d'œuvre qui essaye de convaincre qu'il faut faire la guerre pour éviter la guerre, persuadée d'être dans le camp du bien et de l'innocence. Cela étant, pas la peine de compter sur la réalisation ou l'action pour compenser ces fatigantes béances.

Pour un produit estampillé Michael Bay, Jack Ryan étonne par son absence totale d'inventivité picturale, et par la petitesse de ses quelques emballements, trop sages et disparates. Aucun morceau de bravoure ne vient interrompre l'enchaînement d'inserts sur des flingues qui font pan-pan et les plans de course-poursuite qui se limitent à quelques clampins en costume qui courent dans la rue. De même, peu nombreuses sont les scènes de tensions viscérales, et aucune ne parvient à transporter, tant nos héros et leurs alliés sont tous invulnérables. Ici, seuls les figurants ont le droit de mourir, et le frisson de Jason Bourne est totalement absent.

 

Jack Ryan : photo, John Krasinski, Wendell PiercePas besoin de gilet pare-balles, j'ai mon costume en peau de scénarium

 

Il y aura bien ça et là une course-poursuite en voiture dans l'épisode 1 et un gros attentat déjoué au dernier instant (ou pas) dans l'épisode 6 pour nous réveiller vaguement. Mais dans l'ensemble, pour ce qui est de se prendre de passion pour la série, Jack Ryan rend à nouveau la mission impossible, malgré un ultime épisode 8 bien plus réussi. Normal : il refait mot à mot À la poursuite d'Octobre Rouge, avec des bateaux à la place des sous-marins. Dommage, on a failli être sympa.

La saison 3 de Jack Ryan sort en intégralité sur Amazon Prime Video le 21 décembre 2022

 

Jack Ryan : photo

Résumé

Molle, neuneu, totalement quelconque et au moins vingt ans en retard... On erre dans Jack Ryan comme Jim Halpert dans The Office : on attend que ça passe en silence et l'air désespéré, entouré de vieux fantômes coincés dans un monde qui n'existe déjà plus et s'agitent dans tous les sens pour essayer de divertir. Ce serait drôle si c'était une comédie, mais on n'est pas dans Archer.

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Lecteurs

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commentaires
Shanks
02/03/2023 à 09:11

Saison 3 regardé en x2 au bout d'un épisode après avoir eu le confirmation que c'était bien nanardesque.
Le ton, les enjeux, les jeux de pouvoir entre les différentes institutions sont ultra serieux et sont annihilés par des scènes d'action abracadabrantesques qui nous ramènent immédiatement à la condition de série.

Jack Ryan prend d'assaut un bateau, Jack Ryan sécurise une bombe nucléaire, Jack Ryan en mission 1vs100 en territoire russe. C'est le plus fort ! <3

Picasso sensei
05/02/2023 à 16:10

J'ai bien aimé même si le scénario était assez prévisible et la légèreté des raccourcis des 2 derniers épisodes trop risible. L'accès au président russe via le passage secret, reflète à suffisance l'envie de ne pas pousser la réflexion très loin, pourtant il y avait tellement à faire !!!!
Mais perso chapeau au personnage secondaire russe qui conclut la narration de la série, il est la lanterne de cette saison.
En fait, les seconds roles ont été meilleurs dans cette saison que les protagonistes principaux.
Mais dommage que la Russie soit présentée aussi pitoyable, la République Tchèque comme un sous pays, et les USA comme une grande puissance en pétard.
Bref, si saison 4, interdiction de ne pas sortir la perfection

Olidolce
29/12/2022 à 20:56

Malgré le côté classique et gentiment ringard des deux premières saisons on se laissait embarquer dans l'histoire.
Là c'est plus possible tellement ça paraît avoir été écrit entre deux mauvais hamburgers dans un van au milieu d'un nuage de CBD.
Tout sonne faux et toc, c'est un peu ce qui peut se faire de plus ringard actuellement en série US.

Redwan78
25/12/2022 à 21:03

Je crois que l’épisode 5 ou 6 m’a achevé. Le gars de la cia et la présidente tchèque se balade tranquillement à Moscou et tombe sur un passage secret avec la pancarte pour le Kremlin. L’agent de la cia se balade tranquille au Kremlin,conseille le président russe en plein coup d’état de son ministre de La Défense. Après ça,mon cerveau s’est déconnecté. Ils avaient utilisé le même principe dans la saison 2. Soyez au moins réaliste. Très peu de personnes arrivent à approcher de Poutine en temps normal.

rientintinchti2
23/12/2022 à 14:47

@Bananabra
Les fondements du communisme ne sont pas à mettre en cause dans ce que vous dites. C'est son instrumentalisation qui doit être remise en cause.
Par contre, le capitalisme est forcément dévastateur et meurtrier dans ses fondements idéologiques.

Rokuban
22/12/2022 à 12:55

C'est une série basée sur des romans de Tom Clancy.

Vous lui reprochez d'être trop proche du ton des romans de Tom Clancy.

Vous n'avez pas l'impression d'avoir raté un truc ?

Bananabra
22/12/2022 à 08:26

@Lino Cassinat - Rédaction

Il y a aussi quelques livres sur un certain communisme qui a su être bien meurtrier aussi. Ça ne se remarque pas trop en Europe mais en Amérique du Sud et surtout en Asie, ça aura été assez populaire.
La seule chose que j'ai dit, c'est que l'extrême droite n'est pas responsable de tout les maux du monde, je n'en fais clairement pas fait la promotion et loin de moi l'idée d'en faire pour un extrême ou l'autre.
Bref tout ça pour dire que je trouvais le remaniement de réalité vénézuélienne de la S2 vraiment limite surtout sur une série aussi actuelle et que ça faisait peur avec cette S3 (pas encore regardée, j'attends ce week-end) qui se passe contre la Russie... là ou vous en avez justement parlé, les MI prennent le chemin du divertissement pur, Jack Ryan a l'air de vouloir apporter des réflexions sur la politique actuelle.

Pasvu
22/12/2022 à 00:06

Pas encore vu la saison 3. Il faudrait peut-être arrêter de regarder la télé et essayer de faire des parallèles avec la réalité. Il faut le prendre pour ce que c'est : du divertissement. Si ça ne vous amuse pas ne le regardez pas. J'aime bien le commentaire de Jacks Rient ! :)

Lino Cassinat
21/12/2022 à 19:45

@Jacks Rient
Aucun anti-américanisme ici, le texte ne fait que critiquer un ensemble de représentations et leurs effets de sens qui, dans le cadre de Jack Ryan, ne peuvent que prendre une tournure politique étant donné que la narration de la série est d'envergure géo... politique. On ne peut pas faire autrement.

@Bananabra
Alors, on voudrait pas être désobligeant ou vous faire trop de mal en vous apprenant qu'il y a eu une Seconde Guerre mondiale, mais quelques livres d'histoire sur l'extrême droite et le fascisme risquent de vous chagriner sur l'étendue des responsabilités de ce courant politique dans les maux du monde.

jacksparrow
21/12/2022 à 18:55

C'était pareil dès la saison 1 ce degré de médiocrité. Vous en avez pas marre de vous infliger des merdes de séries à foison, tout ça pour dire "c'est trop du caca" au final? Vous devez avoir une vie de merde pour perdre autant de temps avec netflix et compagnie mdrrr

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