The Staircase : critique pleine de soupçons sur Canal+

Arnold Petit | 13 octobre 2022 - MAJ : 14/10/2022 15:50
Arnold Petit | 13 octobre 2022 - MAJ : 14/10/2022 15:50

Inspirée de la série-documentaire Soupçons de Jean-Xavier de Lestrade sur le procès de Michael Peterson, accusé et reconnu coupable du meurtre de sa femme Kathleen, The Staircase suscitait un intérêt ne serait-ce que pour son prestigieux casting (avec Colin Firth et Toni Collette, entre autres) et son intention de revisiter cette célèbre affaire criminelle. Et la mini-série créée par Antonio Campos (Le Diable, tout le temps) qui arrive sur Canal+ n'est pas juste une copie d'American Crime Story ou une reconstitution opportuniste. Attention spoilers sur l'affaire évidemment !

ESPRIT DE L'ESCALIER

Dans la nuit du 9 décembre 2001, Michael Peterson, citoyen notable de la ville de Durham, en Caroline du Nord, et romancier à succès, appelle le 911 avec une voix affolée. Alors qu'il allait se coucher et rejoindre sa femme Kathleen, qui travaille comme cadre chez Nortel, il vient de la trouver au pied de l'escalier de leur grande maison, gisant dans une mare de sang. Le temps que la police et les urgences arrivent, Kathleen Peterson est morte.

Michael, qui buvait un dernier verre au bord de sa piscine, leur explique qu'il n'a rien vu ou entendu, mais face aux éclaboussures sur les murs, à la quantité de sang sur la scène de crime et aux traces de lacérations sur le crâne de Kathleen, les enquêteurs suspectent immédiatement le mari d'avoir tué son épouse.

Tandis qu'il clamait son innocence, une longue et tumultueuse bataille judiciaire et médiatique s'est engagée pour l'écrivain. Condamné à la prison à perpétuité en 2003, il obtient une libération conditionnelle en 2011 à la suite d'une erreur judiciaire jusqu'à un nouveau procès en 2017, qui s'est conclu par un "plaidoyer Alford" (un accord où l'accusé plaide coupable, mais affirme être innocent).

 

The Staircase : photo, Colin FirthColin Firth, aussi troublant et dangereusement inquiétant que son personnage

 

Cette histoire (vraie) a déjà été racontée sous la forme d'une série-documentaire réalisée par Jean-Xavier de Lestrade (Un Coupable Idéal) : The Staircase (ou Soupçons en français). La série, qui a eu un retentissement international et redéfini les codes du true crime par son intrigue à rebondissements, son témoignage du système judiciaire américain et son accès privilégié, voire intime, à la maison et la vie de Michael, s'est poursuivie au rythme de l'affaire. D'abord avec deux épisodes supplémentaires en 2012, puis trois autres en 2018 lorsqu'elle est arrivée sur Netflix.

Il n'y a donc, a priori, aucun intérêt à revenir dessus, et The Staircase ressemble, à première vue, à une adaptation passionnante même si classique du genre, avec un casting ahurissant, une réalisation soignée et l'atmosphère pesante d'un thriller, mais sans point de vue particulier. Cependant, au fil des épisodes, la mini-série d'Antonio Campos et de la co-showrunneuse Maggie Cohn (American Crime Story) prend du recul, de l'ampleur et se désintéresse du fait divers pour développer une autre histoire : celle qui s'écrit au fur et à mesure à partir des traumatismes et des différents points de vue.

 

The Staircase : photo, Colin Firth, Toni ColletteHérédité

 

ESCALIER DE SCHRÖDER

Inévitablement, The Staircase passe en revue tous les événements de l'oeuvre de Jean-Xavier de Lestrade. Dans une impressionnante reconstitution, Antonio Campos et la co-réalisatrice Leigh Janiak reprennent même certaines séquences à l'identique, avec la même image granuleuse et tremblante du documentaire. Toutefois, la série n'a pas autant de temps à consacrer au procès, aux preuves ou aux stratégies juridiques et résume donc l'affaire schématiquement.

Le scénario, qui suit trois chronologies (le passé avant la mort de Kathleen, le déroulé de l'affaire et son dénouement en 2017), jongle entre les temporalités et les points de vue en explorant l'ambivalence de Michael et la façon dont la tragédie élargit les failles au sein de cette famille à la recomposition complexe.

 

The Staircase : photoJoyeux fêtes et faux-semblants

 

Alors que les révélations et les mensonges de Michael esquintent l'image du mariage heureux et de la vie bourgeoise parfaite, des flashbacks présentent Kathleen comme une femme d'affaires angoissée, une mère dévouée à garder sa famille unie et une épouse qui supporte de moins en moins le rythme de vie de son mari écrivain et pseudo politicien. Son personnage, même s'il n'est pas assez creusé, trouve de la profondeur grâce au talent de Toni Collette, et son absence se ressent particulièrement auprès des différents enfants, peu présents dans la série-documentaire.

Caitlin (Olivia DeJonge), la fille de Kathleen, reste absente du fait qu'elle se soit retournée contre beau-père pour rejoindre ses tantes, Candace (Rosemarie DeWitt) et Lori (Maria Dizzia), qui sont convaincues que Michael est meurtrier. Mais la série s'attarde surtout sur les deux fils de Michael et ses deux filles adoptives : Todd (Patrick Schwarzenegger) se retrouve obligé d'être le soutien indéfectible d'un père auquel il veut échapper et Clayton (Dane DeHaan) trouve enfin un moyen de se rapprocher de ce paternel qui l'a toujours méprisé, tandis que Martha (Odessa Young) et Margaret (Sophie Turner) traversent le drame en doutant de tout, leur famille ou leur identité.

 

The Staircase : photoTrois soeurs, trois visions différentes

 

Dans cette mosaïque formée par toutes les personnes impactées par l'affaire et Michael Peterson, tous les autres personnages finissent par révéler deux facettes ambivalentes, y compris les personnages secondaires comme l'avocat de la défense David Rudolf (le génial Michael Stuhlbarg), le procureur Jim Hardin (Cullen Moss) ou même son assistante Freda Black (Parker Posey). Les ressorts sont souvent grossiers, mais la fascination pour l'histoire et les acteurs et actrices, aussi excellents les uns que les autres, maintiennent l'intérêt pour la série au terme des huit épisodes de plus d'une heure malgré le rythme confus et les quelques longueurs.

 

The Staircase : photo, Colin Firth, Michael StuhlbargL'incertitude permanente

 

ESCALIER DE PENROSE

The Staircase réimagine l'affaire de Michael Peterson comme un drame familial prenant, mais la série se distingue réellement de son matériau d'origine au bout de quelques épisodes, en intégrant la série-documentaire de Jean-Xavier de Lestrade au récit et en traitant le réalisateur (Vincent Vermignon), son producteur Denis Poncet (Frank Feys) et la monteuse Sophie Brunet (Juliette Binoche) comme des personnages. 

Tous les membres de l'équipe sont caricaturaux et la relation qu'a eue Sophie Brunet avec Michael Peterson sert surtout à emprunter plusieurs raccourcis et raccrocher certaines intrigues avec de grosses ficelles (dont la fameuse "théorie de la chouette"). Néanmoins, avec cet élément méta, la série donne une nouvelle perspective à l'histoire et prend une autre dimension.

De la recherche du sujet au tournage dans la maison des Peterson en passant par le choix des séquences pendant le montage ou la composition de la mélodie funèbre du générique, Antonio Campos revient sur toute la production du documentaire. Il démontre que chaque décision et chaque élément montré (ou non) représente une opinion, un parti-pris ou un moyen de fabriquer du suspense, de l'émotion ou n'importe quelle autre réaction chez le spectateur.

 

The Staircase : photoLa fabrique de l'image

 

Derrière la tragédie, le procès ou le documentaire, The Staircase s'interroge sur la façon dont chacun transforme le récit, les personnages et l'interprétation des faits pour les faire correspondre à une certaine narration : l'avocat David Rudolf et le procureur Jim Harlin face au jury ; les médias avec le public ; Jean-Xavier de Lestrade, Denis Poncet et Sophie Brunet durant la conception de la série-documentaire et même Antonio Campos avec cette nouvelle adaptation. 

Poussant sa réflexion jusqu'au bout, la série recrée même tous les scénarios de la mort de Kathleen. Des scènes brutales, terribles et perturbantes, qui donnent du crédit à chaque théorie et confrontent le spectateur à cette violence atrocement macabre qu'il vient pourtant chercher.  

Jusqu'au bout, The Staircase explique qu'il est impossible de savoir si Michael a tué Kathleen ou non, puisque les faits, les mensonges et les différentes versions s'empilent, se déforment et sont manipulés sans fin dans une quête de la vérité que chacun croit pourtant détenir.

The Staircase est disponible depuis le 13 octobre sur Canal+

 

The Staircase : Affiche française

Résumé

The Staircase commet quelques erreurs d'écriture et suit un schéma relativement classique au départ, mais se rattrape par son travail de reconstitution, son fabuleux casting et sa réflexion sur la mise en scène de la vérité que chacun choisit de montrer aux autres.

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commentaires
Feliu
28/12/2022 à 23:28

Soupçons c'est tellement mieux !
L’avocat mérite un oscar !

Dan 88
10/11/2022 à 09:19

La succession outrancière de flash-back est insupportable ,on perd le fil et à défaut d'être d'une
résistance et d'une obstination à toute épreuve ,on finit par jeter l'éponge.
Dommage, car l'interprétation des personnages est impeccable;

Camille
14/10/2022 à 12:10

Interminable...long...lent, jen'ai pas tenu 2 épisodes

Sam75
14/10/2022 à 02:24

Depuis l'avènement des docu-series ces dernières années qui ont atteint des qualités exceptionnelles (The Jinx, Night stalker, Making a murderer...) , je n'arrive plus regarder des séries policières et encore moins celles inspirées de faits réels, pourquoi voir une fiction quand on a les documentaires réels ?

Bordel
13/10/2022 à 20:27

C est moi où le fond noir rend illisible le texte ?

Kyle Reese
13/10/2022 à 17:38

Regarder la série ou le documentaire ...?

Sachant que j'ai entendu que le réalisateur du doc n'est pas très content (voir furax) des changements effectués dans la série notamment à son sujet et sur son équipe, ou elle montre des méthodes discutables qu'il n'a jamais utilisé ... je dirais d'abord le documentaire.

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