Five Days at Memorial : critique en pleine tempête sur Apple TV+

Alexandre Janowiak | 20 septembre 2022 - MAJ : 20/09/2022 16:34
Alexandre Janowiak | 20 septembre 2022 - MAJ : 20/09/2022 16:34

A l'origine d'une catastrophe naturelle majeure des Etats-Unis, l'ouragan Katrina a causé la mort de 1836 personnes lors de son passage et blessé un nombre incalculable (véritablement) d'habitants de La Nouvelle-Orléans et de la Louisiane. Et à travers la série Five Days at Memorial, visible sur Apple TV+, les showrunners John Ridley et Carlton Cuse reviennent sur les conséquences de l'ouragan pendant et après son passage en racontant l'histoire de l'hôpital Memorial, où des centaines de personnes ont été bloquées durant cinq jours, menant à des morts mystérieuses et une longue enquête.

cinq jours en enfer

Le cinéma et les séries recèlent d'histoires rocambolesques. Tellement invraisemblables qu'elles deviennent, à force, difficilement croyables ou simplement crédibles et forcément, en tant que spectateur, on lâche l'affaire, notre suspension d'incrédulité finissant par sauter. C'est un peu le cas devant Five Days at Memorial tant le récit de la série développe des pans d'intrigues et de mésaventures complètement dingues tout en enchainant les situations farfelues, voire tout bonnement inimaginables. Car face aux cinq premiers épisodes de la série Apple TV+ menée par Vera Farmiga, impossible de ne pas penser un seul instant que tout cela est irréel.

Entre l'ampleur et la violence de l'ouragan Katrina – dignes des plus grands films catastrophes à la Roland Emmerich –, l'absence de réaction du gouvernement pendant plusieurs jours, les transports de patients sur plusieurs étages à la seule force des bras, l'atmosphère de plus en plus étouffante dans cet hôpital privé d'électricité, la paranoïa grandissante des survivants, les dilemmes moraux mortels du personnel médical... Five Days at Memorial semble tout droit tiré d'un esprit tordu, satisfait de faire vivre un véritable cauchemar à ses personnages (plutôt qu'à créer une histoire vraisemblable).

 

Five Days at Memorial : photoLe début des emmerdes

 

Et puis, soudain, l'apparition d'images d'archives nous rappelle à une triste vérité. Ces situations inimaginables, ce silence de mort des autorités, cette famine des populations bloquées dans leurs maisons inondées... ne sont que la retranscription d'un désastre humain. Et forcément, quand on se souvient, au bout de seulement quelques secondes d'absence ou quelques minutes de déni, que l'histoire contée est tirée d'une histoire vraie, Five Days at Memorial prend une tout autre dimension, laissant à la porte l'imaginaire de fiction pour nous ancrer pleinement dans l'horreur d'un réel passé.

C'est d'ailleurs dans cette reconstitution en quasi-huis clos des cinq jours de sauvetage et de survie des soignants et patients de l'hôpital Mémorial de La Nouvelle-Orléans (un des plus grands de l'État de la Louisiane) que la série impressionne le plus. En jouant avec les codes du film catastrophe puis des soap médicaux (oui bon parfois on a la sensation d'être dans Grey's Anatomy ou Urgences), la série Apple TV+ jongle habilement entre les destins de ses différents personnages. Pendant cinq épisodes, elle offre une montée crescendo de la tension, de la peur et des conséquences du fléau en cours.

 

Five Days at Memorial : photoUne plateforme d'évacuation aux airs de montagne impossible à gravir

 

black storm

Un cataclysme aussi bien climatique qu'hospitalier qui résonne forcément un peu plus, 17 ans plus tard, alors que la planète fonce tête baissée vers une débâcle environnementale et vient de vivre une des pires crises sanitaires de son histoire avec le Covid-19. Une catastrophe qui semble avoir été, d'ailleurs, l'une des nombreuses sonnettes d'alarme que nous avons ignorées, les multiples gouvernements étant si décidés à laisser notre monde tomber en décrépitude.

Et s'il résonne mondialement, l'écho de Five Days at Memorial à notre époque est encore plus terrible lorsqu'il étudie avec férocité les défauts des États-Unis pour mieux les dénoncer. Difficile de ne pas évoquer avant tout la réaction lente et mal proportionnée (voire carrément impropre) de l'administration Bush, dont la négligence semble presque volontaire. Une interrogation persiste alors : si la ville de San Francisco avait été aussi durement touchée, la réaction aurait-elle été la même ? La Nouvelle-Orléans a-t-elle été si peu rapidement aidée parce que sa population est composée à plus de 55% d'Afro-Américains ?

 

Five Days at Memorial : photoUne course contre la montre ahurissante

 

La série a le courage de se poser la question ou, en tout cas, d'évoquer la possibilité, en recontextualisant les nombreuses images d'époque où l'on aperçoit ses familles afro-américaines appelant désespérément à l'aide sur le toit de leur maison et entend le dégoût des habitants bloqués sans nourriture ni eau aux abords du Superdome. Five Days at Memorial le fait aussi judicieusement à travers ses personnages et leurs rencontres avec les habitants de la ville cherchant à se confiner à leur tour à l'hôpital, espérant y trouver une aide précieuse qu'ils attendent depuis plusieurs jours.

Et forcément, cela donne matière à la série pour analyser la complexité des décisions que les membres de l'hôpital ont dû prendre. Alors qu'ils sont d'ores et déjà en situation périlleuse, les voir refuser d'autres patients en difficulté pour espérer sauver ceux déjà présents à l'intérieur de leur mur, est un tourment émotionnel de fiction. Mais plus encore, c'est surtout un creusement involontaire bien réel du déchirement social et racial en cours, la plupart des habitants demandant de l'aide étant Afro-Américains et les soignants les rejetant (car en incapacité d'aider) étant majoritairement blancs. 

 

Five Days at Memorial : Photo Vera FarmigaLa crainte de l'attente

 

american crime

La série parvient ainsi à créer un sentiment de colère grandissant, le spectateur voyant le monde s'entre-déchirer un peu plus au moment même où il devrait s'unir plus que jamais. Et lorsqu'elle s'attaque inévitablement, après cinq épisodes de pur huis clos dans cet hôpital en perdition, à l'enquête entourant les décisions des soignants pour sauver ce (et ceux) qu'ils pouvaient, l'exaspération n'en est que plus forte.

On ne l'a pas encore évoquée, mais la série s'ouvre sur la découverte d'une quarantaine de corps dans l'hôpital Memorial quelques jours après la fin de l'ouragan Katrina. Une enquête est alors lancée lorsque l'autopsie de plusieurs d'entre eux révèle qu'ils ont été drogués. Le personnel a-t-il donc préféré tuer ces patients afin de se faciliter la tâche pour évacuer ? Ou étaient-ils consentants lorsque ces doses mortelles leur ont été administrées ? Ces questions sont au coeur des trois derniers épisodes de Five Days at Memorial et force est de constater qu'il s'agit probablement des moins captivants.

 

Five Days at Memorial : Photo Michael Gaston, Molly HagerUne enquête intéressante mais moins dynamique

 

Le spectateur ayant pu assister aux décisions prises par les soignants et notamment celles du Dr Anna Pou (Vera Farmiga donc), il aura tôt fait de se faire une idée sur la question. Par ailleurs, comme les trois épisodes d'investigation ne révèlent aucun élément nouveau pour le public, difficile de s'accrocher aux découvertes des enquêteurs. Reste toutefois une belle exploration sur le pouvoir que l'on peut/doit accorder aux soignants dans de telles situations.

Ont-ils pris la bonne décision ou simplement la décision la plus simple à leurs yeux ? Peut-on juger leur courage ou leur lâcheté alors que personne n'a vécu leur position ? Avaient-ils seulement vraiment le choix ? Les vrais coupables d'un drame aussi mortel ne sont-ils pas plutôt les financiers restés silencieux et ayant laissé à l'abandon leurs propres employés ? Avec intelligence, la série se refuse véritablement à trancher et ouvre des pistes de réflexion morales assez passionnantes. De quoi relever (une fois encore) la profondeur de son récit, à défaut de lui conférer la tension tonitruante de ses premiers épisodes.

Five Days at Memorial est disponible en intégralité sur Apple TV+ depuis le 16 septembre 2022

 

Five Days at Memorial : Affiche US

Résumé

Malgré une perte de rythme dans sa dernière ligne droite, Five Days at Memorial livre un huis clos tendu captivant tout en n'oubliant jamais de questionner les dérives des Etats-Unis et les dilemmes moraux de l'être humain.

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Lecteurs

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commentaires
Terryzir
21/09/2022 à 17:14

Losing Alice, Black Bird, Severance, Slow Horses, Wecrashed, Téhéran, etc.

Apple TV + surpasse toutes les autres plateformes en termes de qualité d'oeuvres produites.

Et cette mini-série n'en démord pas.

Bravo à eux.

Birdy en noir
20/09/2022 à 23:33

Apple est au moment ou j'écris en production de 150 films et séries dans le monde.
Ne vous en faites pas pour son catalogue.

fbuffart
20/09/2022 à 17:35

la scène d'Air Force One survolant Nouvelle-Orléans dans l'épisode 4 est hallucinante, tout un symbole du dénis et l'immobilisme de l'administration Buch, un des point culminant de cette série inconfortable et courageuse ....

DL
20/09/2022 à 17:01

Il va vraiment falloir que je me réserve un mois ou deux où je vais m'abonner à Apple TV+ pour rattraper toutes les oeuvres que je dois rattraper : For All Mankind / Fondation / Severance / Pachinko / Five Days at Memorial / Shantaram (qui m'a l'air bien sympathique au regard de la BA) .. et je dois en oublier ^^ (mais ça fait déjà pas mal de temps de visionnage !)

MoiLeVrai
20/09/2022 à 16:16

Regardé recemment, et je suis en désaccord sur les trois derniers episodes.

Globalement, j'ai trouvé la série bien (pas incroyable mais bien) mais les trois derniers episodes étaient particulièrement interessants sur ce qu'ils signifient relativement à la catastrophe. Que le puritanisme et systeme administratif americains encouragent tant à enquêter sur ces personnes mortes trouvées dans deux hopitaux frappés de plein fouet par un ouragan, coupé du monde et d'éléctricité, est particulièrement fort je trouve.

La catastrophe est incroyable, le personnel hospitalier a du faire face a une situation exceptionnelle, dans des conditions folles, et malgré tout la question de l'euthanasie et de son rapport a un assassinat prend le dessus. J'ai personnellement trouvé ça fort de le rappeler.

Ozymandias
20/09/2022 à 16:13

Cool ! Je l'avais dans ma liste ;).

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