Delhi Crime saison 2 : critique d'une mission impossible réussie sur Netflix
En 2019, l’excellente première saison de Delhi Crime débarquait en fanfare sur Netflix. Après trois ans d’attente, la série avec Shefali Shah reprend enfin du service pour une nouvelle enquête aussi dérangeante que captivante. Pourquoi est-ce qu’il faut absolument la découvrir ?
Indian crime story
Il y a peu de choses plus difficiles pour une série policière que d’offrir une deuxième saison captivante quand la première se suffisait largement et bouclait toute son enquête. On peut tenter l’anthologie façon True Detective, mais en essayant de ne pas se planter lamentablement comme Nic Pizzolatto. Ou alors on part sur un nouveau cas, en espérant qu’il sera à la hauteur du premier. C’est ce défi quasiment impossible que choisit Delhi Crime pour sa deuxième saison. Un pari d’autant plus délicat que le réalisateur Richie Mehta, qui dirigeait avec brio toute la première saison, a quitté le navire en cours de route.
Malgré ce changement non négligeable, on retrouve avec plaisir l’immense maîtrise technique qui caractérise Delhi Crime. Le cinéaste Tanuj Chopra soigne particulièrement sa mise en scène. Chaque plan déborde d’intelligence et de finesse. Dès la séquence d’ouverture, il joue avec l’obscurité et le symbolisme. En cachant sa caméra derrière une fenêtre recouverte de pluie, il évoque subtilement la surveillance, l’intrusion et le voyeurisme.
Non content d’égaler la réussite visuelle de Richie Mehta, le réalisateur dirige également ses acteurs à merveille. Tout particulièrement la brillante Shefali Shah, qui illuminait déjà nos écrans le mois dernier avec l’excellente comédie noire Darlings.
Autre nouvel arrivant, le directeur de la photographie David Bolen fait un travail admirable. Il traite Delhi comme une sorte de Gotham à l’indienne. On découvre alors une ville tentaculaire, nocturne, aux teintes rouges et vertes, qui fourmille d’une vie étrangement menaçante. Pour sublimer cette atmosphère pesante, la partition discrète de Ceiri Torjussen ne fait qu’amplifier la force des images.
Et pour couronner le triomphe technique, la monteuse Antara Lahiri saisit parfaitement les enjeux de la narration. À l’image d’un polar nordique, Delhi Crime vise à capturer une tension sourde, progressive. Inutile d’ajouter un faux dynamisme au montage pour rythmer le tout, c’est la lenteur vénéneuse de l’enquête qui fait toute son efficacité.
Toute tentative de dynamisme sera rejetée
on vit danS une société
Suite à l’immense succès récolté par sa première saison, Delhi Crime semble avoir réalisé l’importance de son regard sur la société indienne. Et c’est bien le seul problème majeur de cette seconde saison. Trop consciente de son impact social et culturel, la série tient absolument à ce que l’on remarque sa pertinence.
On se retrouve alors avec des dialogues parfois trop appuyés, qui ne font que souligner une morale que l’on assimilait aisément sans qu’on nous fasse la leçon. Citons par exemple ce petit-déjeuner lors duquel notre enquêtrice commente les statistiques de la police avec la subtilité d’un Michael Moore. Étrangement, c’est souvent les dialogues en anglais qui pèchent par excès de zèle là où ceux en hindi retrouvent un équilibre plus appréciable.
Dans cette même envie de dépeindre l’Inde moderne, la série prend parfois le risque de s’éparpiller en voulant aborder trop de thèmes. Dès le premier épisode, on nous lance une dizaine de thématiques sociales, dont le poids des traditions, les pensions qui ne sont pas versées aux retraités ou encore la difficulté pour les femmes indiennes d’évoluer dans le monde du travail. Passionnant, mais trop riche pour être digeste.
Cela pousse parfois Tanuj Chopra à négliger la fluidité de sa narration. Malgré tout son talent, difficile pour lui de toujours trouver l’équilibre entre ces thématiques, les problématiques que rencontrent ses personnages au quotidien et l’enquête principale.
Quand tu réfléchis trop à trop prochain dialogue
La loi de Delhi
Paradoxalement, même si l’équilibre n’est pas parfait, cette envie de tout raconter est également une des forces centrales de Delhi Crime. La série parvient miraculeusement à offrir une enquête passionnante, tout en étant un drame hautement politique et à échelle humaine. Si la première saison s’attaquait aux maux de tout un système, on plonge cette fois-ci dans l’intimité de Vartika et ses collègues. Le récit est plus sensible et touchant.
Pour l’aspect social, cette saison s’attaque aux TNR (tribus non répertoriées) et à la façon dont ces populations sont ostracisées. On se retrouve alors avec des séquences hallucinantes d’arrestations massives et de corps indistincts entassés comme du bétail dans des commissariats. De quoi évoquer le choc anxiogène qu’était La Loi de Téhéran à plus d’un titre.
Pour accompagner cette descente aux enfers, Delhi Crime raconte un système entier qui s’effondre. Le corps policier y est constamment en crise, sous la pression des politiciens et d’une presse à scandale en quête de polémique.
L’enquête patine par incompétence et préjugés à la manière du sublime Ugly d’Anurag Kashyap. Il faudra d’ailleurs trois épisodes d’égarement avant de trouver enfin une piste tangible. D’autant que la série n’hésite jamais à nous montrer que son héroïne est faillible, soumise comme tout le monde au conditionnement du système dans lequel elle évolue. En cinq épisodes à peine, on atteint un niveau de clairvoyance et de finesse qui transcende totalement les quelques limites d’une série une fois de plus passionnante.
La deuxième saison de Delhi Crime est disponible sur Netflix depuis le 26 août 2022
Lecteurs
(4.5)05/09/2022 à 20:39
Effectivement @Prisonnier, il y a quelques jours la sortie de Liger est sortie...c'était quand même 1/5 avec une critique incendiaire ! Idem pour Valimai il y a quelques temps. Mais il faut bien avouer que l'année indienne nous a réservé pas mal de pépites.
Merci beaucoup @Brosdabid :D
05/09/2022 à 20:28
Clément a bon goût même pour les films Anglo Americano
05/09/2022 à 16:10
La première saison était un must injustement passée inaperçu (auprès du public)
Hâte de voir celle ci
05/09/2022 à 15:49
@Prisonnier
On a déjà publié des articles négatifs (tout récemment : un dossier consacré à Hiss), mais évidemment on met l'accent sur ce qu'on aime. Clément gère seul ce secteur, donc on choisit où on met notre énergie :)
05/09/2022 à 14:49
En vrai, j'ai comme l'impression que chaque fois que vous faites une critique sur un film ou série Indienne, c'est top. :)