Sans Limites : critique qui conquistador pas sur Amazon

Lucas Jacqui | 29 juin 2022
Lucas Jacqui | 29 juin 2022

Le premier tour du monde effectué par Fernand de Magellan (Rodrigo Santoro) et Juan Sebastian Elcano (Álvaro Morte) est un exploit digne de l’alunissage pour l'époque, et ça méritait amplement une oeuvre pour le raconter. Ainsi, le créateur espagnol de la série Patxi Amezcua a pu, grâce à Amazon Prime Video et plusieurs productions espagnoles, faire le récit de ce voyage au bout du monde à la façon d'un blockbuster réalisé par le cancre Simon West. Le périple se déroule-t-il sans encombre ?

captain spain

En 1519, les cinq caraques commandées par Magellan partent d'Espagne pour un voyage censé trouver un passage au sud du continent américain, ouvrant ainsi une nouvelle voie maritime. Ce n’est que trois ans plus tard que se terminera ce premier tour du monde, un périple qui impliqua sacrifices et privations pour les marins. Sans Limites de Patxi Amezcua tente de nous en faire témoin durant six épisodes, au moment même du cinquième bicentenaire du tour du monde de Magellan et Elcano.

Si l’histoire de cette prouesse maritime est celle de l’humanité qui découvre sa planète et ouvre de nouveaux horizons, c’est aussi une guerre de patrimoine féroce entre Espagne et Portugal. Le célèbre navigateur d'origine portugaise trouva un financement pour son expédition auprès de la couronne espagnole, le roi portugais ayant préalablement refusé. Ainsi, encore aujourd’hui, Portugal et Espagne se disputent la paternité de la découverte historique de Magellan. Et Sans Limites étant de production espagnole, l’esprit patriotique du showrunner parasite l’intention de la série. Il ne se prive pas de faire des Portugais les méchants trop bêtes d'avoir loupé l'occasion de marquer l'Histoire.

 

Sans Limites : photo, Rodrigo SantoroÇa tire à plombs réels

 

En revanche, la figure de Magellan n’est jamais écaillée, tout comme les hommes qui l’accompagnent. Il est un homme imperturbable et parfait, comme tout héros au service d'une volonté de flatter une nation. Difficile de s’y identifier donc, son ambition étant la gloire alors que sa femme l'attend sagement à la maison. Le charisme et l’énergie que déploie Rodrigo Santoro (300, Westworld) auraient pu rattraper cette écriture sans aspérité, mais son cabotinage en Magellan au bord de la folie frôle trop le surjeu. Alvaro Morte (La Casa de Papel) est finalement plus juste même si tout aussi lassant à être presque inhumain dans son dévouement indéfectible au capitaine Magellan, comme le reste de l'équipage.

Plus problématique, Amezcua refusant d’entacher le mythe, l’histoire prend des airs de western à la John Wayne de la Renaissance mettant les blancs colons contre les sauvages indigènes, ou à la rencontre des gentils autochtones aux seins nus et aux paniers garnis de fruits. Il n’y a aucune remise en question des massacres de Magellan, préférant faire de lui un martyr des explorateurs. La série va jusqu'à accepter le harcèlement sexuel des locaux, car « les marins peuvent mourir d'un jour à l'autre », mettant sous silence les viols des femmes de tribus d’Amérique du Sud qui tueront tout espoir de pacifisme.

 

Sans Limites : photo, Álvaro MorteTrou de côlons

 

la folie des grandeurs

"Si les Américains avaient eu un rôle là-dedans [comprendre un rôle dans la découverte du Nouveau Monde, ndlr], il y aurait eu depuis longtemps des films ou des séries sur ce sujet", expliquait le scénariste Patxi Amezcua en interview. En prenant pour exemple l’habitude qu’a Hollywood de raconter, et réécrire son Histoire à son avantage, le showrunner montre clairement sa volonté de jouer dans la cour des grands et de faire de Sans Limites une série patriotique. Avec un budget de 20 millions d’euros, le projet en utilise chaque centime pour représenter le voyage de Magellan, ambitionnant d'en faire un Apocalypse Now du XVe siècle où la démence guette les explorateurs naviguant sur des mers inconnues.

 

Sans Limites : photo"C'est à la proue qu'on chante, qu'on chante... !"

 

Sans Limites ne craque pas sous les coutures, tant dans les costumes d’époque très détaillés que dans les décors réels somptueux faits de plages ou d’anciens châteaux filmés en Espagne et en République Dominicaine. Ce sont évidemment les navires fidèlement reconstitués qui impressionnent le plus et nous témoignent de la folie de l'entreprise de Magellan. Les limites de la production nous sautent aux yeux uniquement lors des incrustations mal détourées sur les ponts des bateaux, rendant ses scènes simplement immondes.

Musicalement, Sans Limites fait aussi preuve de bonne volonté en ne lésinant pas sur l'envie de faire dans le grandiose à la manière de Pirates des Caraïbes et 1492 : Christophe Colomb, dont les bandes originales fantastiques portent à un haut niveau les films sur l'époque. Ainsi, le compositeur Federico Jusid force sur les coups de cor typique, et assourdissant, à la Hans Zimmer comme pour maintenir le spectateur aux aguets. Heureusement, se calant parfois au milieu de ce brouhaha (qui sert de thème principal), la musique a quelques envolées orchestrales excellentes plus adéquates à ce récit d’aventures historique épique.

 

Sans Limites : photo, Álvaro MorteAu loin, l'horizon monochrome d'un fond vert

 

Simon à l’Ouest

Pour mettre en scène toutes ces envies et intentions un brin révisionnistes, les producteurs ont jugé bon d’appeler Simon West, réalisateur à l’origine de quelques trucs appelés films comme le premier Lara Croft : Tomb Raider, The Expendables 2, Stolen avec un Nicolas Cage dans sa période nanar-gagne-pain, ou Gun Shy avec un Antonio Banderas en roue libre. Ainsi, avec West à la mise en scène, ce projet ambitieux cher aux cœurs des Espagnols se perce lui-même la coque.

La touche personnelle de Simon West : son don pour filmer sans réflexion ce qu’il veut raconter. Rompu à l’art des longs-métrages de série B n’existant que pour le chèque de l’acteur principal, West pose de fait des plans clichés et en décalage total avec le sérieux de la narration et du contexte historique. D’autant qu’il met en image son incapacité à diriger des comédiens puisqu’à plusieurs reprises la caméra reste béate devant un acteur qui l’est tout autant. Ainsi, nous voilà constamment spectateurs des émotions des marins plutôt que d’essayer de nous faire ressentir la même chose qu’eux.

 

Sans Limites : photo, Rodrigo SantoroMagellan au bout du rouleau/monde

 

Cette impression de passer à côté de tout est ce qui agace le plus. Car Simon West accomplit l'exploit de continuellement manquer l’action des scènes, les rendant incompréhensibles. En exemple, on citera ce moment où en pleine bataille navale, un bateau surgit inexplicablement sur le bord du navire des héros avant de disparaître dans les plans suivants. Et le montage hasardeux n’aide pas à rendre le tout lisible. La clarté de l’action n’étant jamais prise en compte, puisque chaque scène est charcutée. Il en ressort une impression de succession d’idées qui n’ont pas été réfléchies avant d'allumer la caméra.

Tous ces défauts de mise en images trouvent leur paroxysme dans la gestion de l’espace. Alors que les caraques sont les seuls lieux de la série, Simon West n’essaie même pas de différencier les cinq navires de Magellan, jetant par-dessus bord toutes possibilités de comprendre où est qui. En résulte une spatialisation étriquée du bateau qui n’a ni proue ni poupe et que Simon West ne cherche jamais à rendre vivant à l’écran, à la différence de Ron Howard dans Au cœur de l'océan. On est souvent perdu dans ces décors de bois humides alors que les échelles de plans pour les mettre en scène varient entre être clouées au pont ou suspendues dans les cieux à un kilomètre de hauteur.

 

Sans Limites : photo, Álvaro Morte"Je vais peut-être retourner braquer des banques finalement."

 

Finalement, la série sur Magellan trouve ses limites dans les hommes qui la racontent. Elle se résume à un enchaînement de scènes à la mise en tension mal installée et sans réflexion sur le légendaire explorateur par peur d’en briser l’aura. Sans Limites avait matière à raconter derrière le mythe du navigateur portugais, mais ce n’est qu’un très beau déroulé d'une page Wikipedia sans intention de réalisation.

Sans Limites est disponible sur Amazon Prime Video depuis le vendredi 24 juin 2022

 

Sans Limites : Affiche espagnole

Résumé

L'envie de contenter le patriotisme espagnol du créateur de Sans Limites l'empêche d'explorer au-delà des faits connus de l'aventure incroyable de Magellan et Elcano, un récit qui méritait d'ailleurs un réalisateur autre que le lourdaud Simon West pour lui faire honneur.

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commentaires
Déconstructionavantb
03/07/2022 à 14:18

Merci pour cette analyse qui m'a donné envie de voir cette série !

Gégé l'ancêtre
29/06/2022 à 14:15

Simon West ? Mince le réalisateur des "Ailes de l'enfer" sur un tel projet, c'est complètement dissonant. Dommage, la série avait l'air pleine de bonnes promesses.

Kyle Reese
29/06/2022 à 13:24

Simon West ... fallait pas ! Bien dommage car cette histoire mérite d'être raconté de la meilleur des manières.

Flash
29/06/2022 à 12:32

Mince, j’en attendais beaucoup de cette série qui traitait d’un sujet passionnant.
Bon, je jetterai un œil pour voir si je vais au bout.

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