Shining Girls : critique d'un tueur-voyageur dans le temps sur Apple TV+

Alexandre Janowiak | 2 juin 2022 - MAJ : 02/06/2022 17:12
Alexandre Janowiak | 2 juin 2022 - MAJ : 02/06/2022 17:12

Adapté du roman Les Lumineuses de Lauren BeukesShining Girls est la nouvelle série immanquable de Apple TV+Elisabeth Moss, star de The Handmaid's Tale, affronte un serial killer capable de voyager dans le temps (quelques années après avoir affronté un terrible homme invisible dans l'excellent Invisible Man).

JOURNEYS OF MURDER

1964. Un homme (Jamie Bell) se joint à une petite fille jouant sur les marches de sa maison. Alors qu'il la félicite pour ses constructions reproduisant un cirque miniature avec son fil de fer, sa grande roue et sa cage au lion, il finit par arracher les ailes d'une mouche/abeille, lui retirant la possibilité de s'envoler. Puis, il donne à la petite fille une petite figurine de pégase en bois, lui demandant de la garder jusqu'à ce qu'il revienne. La gamine refuse avant qu'il affirme : "Tu le prendras, tu le fais toujours", ce qu'elle finira par faire quelques secondes plus tard quand il sera au loin.

Dans cette ouverture énigmatique, Shining Girls pose les jalons du récit qui attend les spectateurs : cet homme mystérieux semble avoir déjà vécu la situation. Voyage-t-il dans le temps ? Connaît-il cette jeune fille ? Quel rapport a-t-il avec elle ? Qui est-elle elle-même ? Autant de questions sans réponses que la série va continuer à formuler durant son premier épisode pour mieux introduire son intrigue particulièrement exigeante.

 

Shining Girls : Photo Jamie BellMysterious Man

 

Car la série bascule en 1992, dans la chambre d'une jeune femme, Kirby (Elisabeth Moss toujours parfaite). Elle prend des notes dans un carnet, écrivant des éléments se trouvant dans sa pièce et notamment le nom de son chat. Elle vit avec sa mère et travaille au Chicago Sun Times, où elle égraine les archives pour trouver des indices sur l'agression à laquelle elle a survécu six ans plus tôt.

Lorsqu'une femme est retrouvée dans les égouts de la ville, Kirby est convoquée par l'inspecteur en charge de son enquête. Il lui confie que le meurtre présent des similitudes avec son agression. Elle comprend alors que l'auteur du crime est le même ayant essayé de la tuer et qu'il est donc toujours dans les parages, flottant comme une menace dont elle espère se débarrasser pour de bon.

Toutefois quelque chose cloche. D'abord, elle semble se tromper de bureau, puis quand elle rentre chez elle, elle découvre dans la nuit que son chat est en fait un chien... avant qu'en fin d'épisode, elle constate qu'elle n'habite plus au 2B (comme en début d'épisode) avec sa mère et un chien, mais au 3B avec son collègue (et compagnon) Marcus et un chat. En un seul épisode, Shining Girls met donc tout de suite en lumière la grande folie qui attend les spectateurs.

 

Shining Girls : Photo Elisabeth MossUn petit objet qui relie les époques

 

MASTUEUR OF TIME

Shining Girls n'est en effet pas une série aussi évidente qu'il n'y paraît. Derrière ses petits airs d'enquête meurtrière classique, le thriller se mêle au genre de la science-fiction avec son tueur voyageant dans le temps. Et ainsi, la showrunneuse Silka Luisa va complètement chambouler les codes du thriller et nous transporter dans une proposition déconcertante. Autant dire que la série met très largement à contribution l'esprit en ébullition des spectateurs et que manquer d'attention devant Shining Girls pourra vite mener à une grande confusion.

Au premier visionnage des huit épisodes, on ne peut pas nier qu'il est difficile de pleinement comprendre l'ensemble de l'intrigue vu l'ambition du récit. En jonglant sur les incertitudes de son héroïne, les modulations de son environnement (un chien, un appartement, une voiture, une relation...) et les trouvailles de son enquête (aux côtés du journaliste Dan, aka Wagner Moura), Shining Girls confronte le spectateur au même désarroi que Kirby. De fait, l'adaptation du livre de Lauren Beukes déconcertera de nombreux spectateurs, lesquels pourraient rester sur le pas de la porte, la série se refusant en grande partie à leur tenir la main.

 

Shining Girls : Photo Elisabeth Moss, Wagner MouraUn duo particulièrement attachant

 

Pourtant, c'est justement ce qui fait aussi toute l'authenticité de Shining Girls et la rend passionnante. En laissant autant de questions sans réponses immédiates, la série offre un vrai casse-tête troublant et plein de tension. La série se transforme même en véritable expérience sensorielle grâce à la superbe mise en scène des trois réalisatrices se succédant derrière la caméra (Michelle McLaren, Daina Reid et Elisabeth Moss elle-même). Les trois femmes jouent admirablement des jeux de miroirs, d'angles, de portes et de petits éléments disséminés dans chaque plan pour agrémenter le récit de détails majeurs pour l'intrigue (clés, parapluie...).

Et même si les spectateurs ont un petit avantage sur Kirby, en suivant en parallèle les recherches du duo Kirby-Dan et les meurtres de Harper (dont on sait qu'il a abordé Kirby à son plus jeune âge dès le début de la série), c'est donc une vraie course contre la montre qui s'engage à la fois pour l'héroïne (qui pourrait bien y laisser sa peau) et le spectateur, conscient d'un danger devant lequel il reste impuissant. Car à l'image de cette mouche dont il a ôté les ailes, Harper a arraché la tranquillité de ces femmes pour les empêcher d'échapper à leur condition de victimes, les suivant dès leur plus tendre enfance pour en faire ses proies.

 

Shining Girls : Photo Jamie BellUne ombre qui plane

 

lady resilience

La narration non-linéaire, sautant en permanence du passé au présent puis au futur, est d'ailleurs un sublime moyen de rendre le psychopathe coursant Kirby à travers le temps encore plus menaçant. Comment ne pas être effrayé par un serial killer capable de se volatiliser d'une année à une autre ? Comment repérer un assassin que l'on pourrait ne pas recroiser avant plusieurs années ? Comment surpasser un ennemi en capacité de maîtriser le temps et d'en connaître les finalités ? Comment, par ailleurs, donner une chance aux victimes de se reconstruire si même le poids des années ne peut leur venir en aide pour cicatriser leurs blessures intérieures ?

En huit épisodes, Shining Girls propose donc une vraie énigme à travers les époques, les espaces et les timelines. La création de Silka Luisa se révèle au fil des épisodes un thriller d'une originalité folle qui façonne un peu plus son mystère à chaque plan, chaque victime féminine (le très joli personnage de Philippa Soo), chaque étape d'avance de son meurtrier (l'épisode 6 est formidable) et chaque déconvenue de son héroïne. Car le grand sujet de Shining Girls se trouve là : derrière l'hommage au grand journalisme d'investigation (pas sans rappeler Zodiac ou Spotlight), la série confronte Kirby à toutes ses blessures émotionnelles.

 

Shining Girls : Photo Elisabeth MossElisabeth continue à impressionner dans un rôle qu'elle connaît par coeur 

 

Cet examen des troubles traumatiques est incontestablement l'un des points forts du récit. En ne laissant aucune possibilité à Kirby de se poser dans un cadre fixe, un environnement durable, l'héroïne est en manque de repère permanent, à la recherche d'une stabilité qui semble inatteignable. Une héroïne perdue qui sied complètement à Elisabeth Moss. En continuant à ausculter les thématiques proches de ses personnages dans The Handmaid's Tale, Invisible Man voire Top of the Lake, entre la vengeance, les traumatismes, les violences faites aux femmes... l'actrice se crée une véritable carrière à la ligne directrice forte et constante.

Avec un rôle dont elle connaît toutes les subtilités grâce à son expérience acquise au fil des années, Elisabeth Moss offre ainsi un jeu tout en nuance, à la fois déterminé et torturé, l'obligeant à jongler entre une certaine retenue et une ténacité puissamment furieuse. Elle transcende le parcours de son héroïne, accentue ses angoisses et donc démultiplie les espoirs des spectateurs, désireux qu'elle surmonte son trauma pour enfin atteindre cette liberté salvatrice qu'elle pourchasse inlassablement.

Shining Girls est disponible en intégralité sur Apple TV+ depuis le 3 juin 2022

 

Shining Girls : Affiche US

Résumé

Sous ses airs de petit thriller, Shining Girls se révèle une grande enquête troublante, parfois un peu trop exigeante, mais capable de sublimer les frontières classiques de la narration pour explorer sous un angle inattendu le traumatisme de son héroïne.

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Lecteurs

(3.9)

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commentaires
NadiaTn
02/07/2022 à 05:43

Waouh , j'ai eu un énorme coup de coeur pour cette série , j'ai regardé pour Elisabeth Moss à la base, mais la claque , franchement me sentir aussi désorientée qu'elle , c'était puissant. Impossible de lâcher , le jeu des acteurs , l'histoire , on frôle la perfection , tellement original , je regrette même de l'avoir fini , je sais que ça va être long avant que je puisse de nouveau autant apprécier une série.

Kyle Reese
11/06/2022 à 18:42

La série de l'année pour ma part pour le moment. Tout ce que j'aime, Stephen King lui même n'aurait pas fait mieux. Je crois que je vais devoir lire le roman tellement j'ai aimé l'ambiance.
Ce que j'ai apprécié c'est le basculement vers le fantastique et une monté progressive de ce que je préfère dans ce genre d'histoire, le vertige. Quelque chose s'ouvre, vers ailleurs.
Et on découvre par petite touche l’étendu de la bascule. La brèche vers la non-logique jusqu'à ce que le cerveau commence à vriller. J'adore cette sensation..
Cette série mérite un bon 4,5 pour moi. Moss est formidable, comme d'habitude ça en devient lassant, mais non.Comment fait-elle pour être aussi juste. Et Jamie Bell est excellent dans un rôle que je n'attendais pas. Bref j'ai tout aimé, j'ai adoré.

Apple+ bravo.

targuet16
04/06/2022 à 01:19

@Eddie Felson
Je demande simplement si la série est w*k* pour savoir si ça vaut le coup de regarder ou non. Par ailleurs, ce que tu vois entre guillemets, c'est la définition du mot W****, vu qu'il est maintenant censuré dans l'espace commentaire d'écranlarge. Je n'affirme rien et c'était bien une question ... Try again et calme tes ardeurs

Nicc
04/06/2022 à 00:18

A noter la très bonne performance de JAMIE BELL, à souligner quand même…

MoiLeVrai
03/06/2022 à 16:41

Une série vraiment ambitieuse portée par des acteurs tous excellents (seuls sont en dessous certains perso secondaires mais la, c’est chipoter). Globalement c’est très prenant.

Je ne trouve pas la série “lente”, elle est toujours interessante et chaque scène apporte quelque chose.

Eddie Felson
03/06/2022 à 14:21

@Targuet16
Et ça veut dire quoi? Une question et une affirmation dans une même phrase! Try again…

targuet16
03/06/2022 à 10:22

C'est pas trop "SJW et je dois prendre conscience des problèmes raciales de notre système" ?

Kyle Reese
02/06/2022 à 21:08

Ma prochaine série surement, Stephen King a adoré.

hubessss
02/06/2022 à 20:57

J'ai adoré. Le slow game et l'entrée en matière fantastique très lente est hyper bien maîtrisée.

Eddie Felson
02/06/2022 à 20:47

@JR
Je prends note.
Merci pour le conseil:)

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