Infiniti : critique d'une série Canal+ interstellaire

Matthias Mertz | 22 avril 2022
Matthias Mertz | 22 avril 2022

Dans InfinitiThierry Poiraud ambitionne de montrer la fin de vie de la conquête spatiale telle qu'on l'a connue dans les livres d'histoire. À travers la perspective de deux personnages incarnés par Céline Sallette (Vernon Subutex) et Daniyar Alshinov (A Dark, Dark Man), l'espace est montré comme une curiosité presque mystique pour les terriens. Il faudra toutefois s'y rendre pour réussir à démêler une affaire étrange dans ce polar ambitieux. Sommes-nous donc face à un grand cru Canal+ ?

L'opium du peuple

Le postulat d'Infiniti, c'est que cette cloison en apparence épaisse entre la science, la religion, ou encore la philosophie pourrait n'être qu'une construction. Pour rappel, la série narre l'enquête autour de la découverte du corps d'un cosmonaute retrouvé sur Terre dans une étrange disposition.

Pourtant, ce dernier semble toujours en vie, puisqu'il envoie simultanément des messages de détresse depuis la Station spatiale internationale (désormais dans un piteux état), photos à l'appui. Résoudre le paradoxe de ce cosmonaute mort et vivant à la fois, c'est le but d'Anna Zarathi, spationaute française écartée du programme spatial, et Isaak Turgun, un flic kazakh désavoué par sa hiérarchie.

Et lorsqu'il s'agit de naviguer entre philosophie, science et religion, la série excelle. En montrant des pauvres hères devenus adeptes du zoroastrisme au milieu des steppes kazakhes irradiées, ou en mettant en scène la folie des hommes pour qui la conquête spatiale a un sens presque mystique, Infiniti attire notre attention et donne du grain à moudre à la réflexion. Il ne s'agit plus simplement d'un crime dont on attend la résolution, mais d'une réflexion nourrie. Pourquoi allons-nous dans l'espace, et qu'y recherchons-nous si ce n'est nous-mêmes ?

 

Infiniti : photoInfiniti parvient à faire du beau, constamment

 

Toujours est-il que ce mystère est coriace, et qu'il est d'autant plus enrichi par les nombreux personnages de la série, et les sous-intrigues qu'ils entretiennent. Tandis qu'Isaak questionne les parias de la société kazakh (avec tout ce que ça implique de patriotisme ou au contraire de corruption avec la Russie, pays dont le Kazakhstan a longtemps été un satellite) pour résoudre le mystère du corps du cosmonaute Anthony Kurz, Anna essaye de convaincre le programme spatial de l'envoyer dans l'espace afin de vérifier si la Station spatiale internationale est bel et bien vide.

Ces deux segments, amenés à se rejoindre, contiennent d'autres intrigues, menées de façon organique. Les collègues d'Isaak ne souhaitent pas éveiller la colère des Russes et lui mettront des bâtons dans les roues, de la même façon que le programme spatial, composé de représentants de divers pays, doit faire face aux dissensions géopolitiques de ses membres.

 

Infiniti : photo, Céline SallettePas question de faire ressembler les séquences dans l'espace à du fond vert

  

Et avec de nombreuses intrigues concordantes vers une conclusion entre philosophie, religion, science et fantastique, Infiniti s'impose avec un final très déstabilisant, rappelant les meilleures heures de séries comme Lost : Les Disparus. Le spectateur n'est pas préparé aux surprises que le programme lui réserve.

Pour certains, la stupeur sera totale face à des révélations invraisemblables et une dimension encore aperçue nulle part dans la série. Pour d'autres, il s'agira au contraire d'un manque de cohérence résolu en forçant la serrure. D'une illusion où le vaguement rationnel se confond avec le fantastique, pour permettre à la série de parvenir à réaliser le tour de force de tenir un postulat très intriguant du début à la fin de sa narration. En ce qui nous concerne, ce final fonctionne et agit comme l'apothéose d'un brouillage des genres qui justifie pleinement le visionnage de la série.

 

Infiniti : photoDans ce décor abandonné, les militaires ne sont que les porte-flingues d'intérêts plus grands

 

Facile, Emil

L'acte de foi consistant à accepter d'être un peu trop crédule pour laisser avancer la série est en revanche régulièrement problématique et surtout, une mauvaise idée. Outre son final qui est une véritable épreuve du feu si l'on n'accepte pas de se prêter au jeu, la série prend quelques libertés avec sa cohérence de façon récurrente dans des séquences ou des dialogues.

On peut noter des personnages qui passent d'une langue à une autre pour être compris par un interlocuteur dont ils ne savent encore rien, des protagonistes enlevés la minute suivant des révélations tonitruantes par ces derniers, ou encore des flics ripoux qui font suffisamment confiance à des inconnus pour leur laisser leur arme (pratique pour se sortir de situations inextricables).

  

Infiniti : photoLes steppes kazakhes n'ont jamais été aussi animées

 

Alors que le mystère n'en est encore qu'à son postulat, les discussions d'Anna et de ses collègues à propos de la Station spatiale internationale sont cryptiques pour les néophytes (et franchement peu divertissantes). Au contraire, la découverte d'Isaak, flic incorruptible et prêt à tout pour se venger, semblant tout droit sorti d'un film de David Fincher, est une bouffée d'air frais.

En résulte le sentiment d'une inégalité durant la première moitié de la série, qui repose alors presque intégralement sur le personnage d'Isaak et ses pérégrinations dans les bas-fonds d'une société qui a abandonné tout espoir depuis la chute de l'URSS. 

Pour ne rien arranger, la relation amoureuse entre Anna et le cosmonaute dont le corps a été retrouvé (qui est annoncée très tôt dans l'intrigue, promis, on ne vous divulgue rien) est niaise, pour ne pas dire précipitée. Sa narration par flashbacks n'aide pas, puisqu'elle vient parfois entraver d'autres séquences.

 

Infiniti : photo, Céline SalletteSi Céline Sallette est crédible, elle écope d'une histoire d'amour difficile à porter

 

No Mis-steppe

Heureusement, il faudra être concentré (pour ne pas dire tatillon) pour observer certains manques de cohérences de la série, grâce à une mise en scène soignée. On pense ici à certaines transitions faisant le pont entre Anna et Isaac (un hélicoptère lâchant sa cargaison devient tout d'un coup des glaçons qui tombent dans du whisky), ou la majorité de l'action dans les steppes (où l'épisode 4 s'impose comme le meilleur de la série).

Sa direction artistique est quant à elle diablement séduisante. Dans les décors, d'abord, il faut noter une capacité d'Infiniti à faire le lien entre les steppes kazakhes, l'espace (qui ne ressemble jamais à du carton ou un fond vert), et les interminables bureaux de l'agence spatiale, propices à toutes les trahisons et complots.

 

Infiniti : photo, Céline Sallette, Daniar AlshinovDaniyar Alshinov, notre pépite

 

Et si ces décors témoignent de l'ambition de la série, cette dernière est internationale à tous les titres. D'abord dans ses enjeux, puisque de nombreux pays coopèrent au sein de la mission spatiale (permettant au passage quelques sous-intrigues géopolitiques pas dénuées d'intérêt), mais aussi dans son casting. Vlad Ivanov, Céline Sallette ou Daniyar Alshinov incarnent tous des personnages ayant la même nationalité qu'eux, qui oscillent entre français, anglais, russe ou encore kazakh.

Si les trois interprètes parviennent à livrer une excellente prestation, Daniyar Alshinov dans son rôle mutique de porte-flingue dans le désert de sa propre solitude s'impose comme la meilleure addition de cette série dont on peut dire avec un large sourire qu'il s'agit définitivement d'un grand cru des séries Canal+.

Infiniti est disponible en intégralité sur MyCanal depuis le 4 avril 2022

 

Infiniti : photo

Résumé

Si Infiniti nous laisse parfois avec plus de questions que de réponses, en partie à cause d'un de manque de cohérence certain, cela n'empêche en rien la série d'être à la hauteur de ses ambitions : offrir un polar spatial et international passionnant sur la forme comme le fond. Un grand cru.

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Lecteurs

(2.7)

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commentaires
Carlos
26/10/2022 à 17:57

Llegas al último episodio pensando que es la serie del año o una estafa... Los responsables de la serie hacen esfuerzos para que no logres entender nada hasta el último episodio enganchándote hasta el final pero... Te das cuenta fácilmente que estás en una encrucijada será una serie que te sorprenderá o será un fake una estafa... Finalmente después de verla se confirma la sospecha es una gran estafa no tiene sentido el final incoherente con muchísimas inexactitudes incomprensible... Me siento engañado.. eso sí una fotografía muy cuidada y una buena producción pero el guión y algunas actuaciones horribles.

Tiloudeliege
21/06/2022 à 18:41

La fin est totalement incompréhensible !!!!
Où sont passés les 2 astronautes quand le robot ouvre la capsule spatiale ?
Il n’y a pas eu de tempête solaire à ce moment là .
Donc pas de transfert dans un monde parallèle .
Vraiment moche de terminer ainsi cette série pourtant excellente !
Quelle erreur scénaristiques !!
Cela demande quelques explications !!!

Miss M
25/04/2022 à 13:25

Le gros point négatif de cette série pour moi est le jeu de l'actrice qui incarne Anna. On la croirait toute droit sortie d'une école d'acteurs financée par AB Productions. Elle "récite" ses répliques sans conviction, sans saveur, sans....rien. Dommage que le choix ce soit arrêté sur elle.

molaire1
25/04/2022 à 11:58

Une série très bien

Matthias Mertz
23/04/2022 à 20:57

@Mokuren ; C'est un grand cru dans la mesure où les ambitions sont presque toutes réalisées par la série. Certes, pour certain ça ne sera que de l'esbrouffe mystico-je ne sais quoi (et ils n'auraient pas tord de le penser), mais c'est bien mis en scène, le tout avec une vision et une intelligence peu commune.

Mon conseil : Foncez. Si l'intrigue est trop lente, ou si ça ne vous apparaît pas crédible, vous pourrez toujours laisser la série en plan ou vous ruer sur la fin pour déballer le cadeau avant Noël. Je crois pour ma part que ce tour de magie, même si on a vu la carte dans la manche de l'illusionniste, mérite d'être vécu.

Mokuren
23/04/2022 à 12:09

J'avoue que votre article me donne envie de tenter le coup, mais votre verdict m'a un peu décontenancée. Vous citez le manque de cohérence comme argument phare, mais vous arrivez à la conclusion que c'est un grand cru. Pour moi c'est contradictoire. Cette conclusion donne l'impression d'une oeuvre ambitieuse mais inaboutie.

zigzag
22/04/2022 à 19:51

J'ai vu des glaciers avancer plus vite que cette série... dommage car les moyens étaient là.

Deny
22/04/2022 à 13:54

"la première moitié de la série, qui repose alors presque intégralement sur le personnage d'Isaak" C'est la meilleur partie de la série, le reste c'est de l'esbrouffe, du blabla mystico scientifique. Et cette Anna est insupportable, fait toujours la tête et parle entre ses dents avec une voix inaudible. La musique est jolie, mais trop pompeuse et présente. "un de manque de cohérence certain" carrément d'accord, c'est fatiguant à suivre. Pour moi, c'est une série décevante qui veut trop en faire qui se perd dans son scénario pompeux. Avec un peu de simplicité et d'humilité cette série aurait pu être intéressante. NB: Encore un film où se prendre une balle c'est comme se faire piquer par un moustique!

Fab69
22/04/2022 à 12:51

des personnages qui parfois disparaissent un peu trot rapidement dans l'indifférence des scénaristes et un score sans personnalité souvent là la faiblesse des production française
alors que les talents sont disponibles, mais une belle surprise tenue et rigoureuse comme l'était la saison 2 de Maroni, Le territoire des ombres sur Arte, une belle réussite de production française pour le petit écran ...

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