En thérapie saison 2 : critique du thriller en psychanalyse de Arte

JL Techer | 7 avril 2022 - MAJ : 07/04/2022 18:07
JL Techer | 7 avril 2022 - MAJ : 07/04/2022 18:07

Succès surprise d’Arte, En thérapie a happé le public malgré sa proposition peu vendeuse sur le papier avec sa première saison. Adaptation de Be Tipul, la production française se concentre sur unité de lieu unique, presque en huis clos, et des personnages dont les sourires cachaient des gueules cassées. Elle est l’anti-télé-réalité : montrant la réalité du traumatisme du quotidien par la fiction. Avec sa saison 2, supervisée par Clémence Madeleine-Perdrillat à l'écriture et toujours menée par Frédéric Pierrot en psychanalyste, la formule conserve son cadre intimiste et sa sobriété pour se muter en un thriller discret et addictif.

tout change, mais rien n’est différent

La dernière consultation du Dr Philippe Dayan remontait au 8 janvier 2016 dans la diégèse. La première saison d'En thérapie avait laissé le psychanalyste presque sur le carreau, empreint de doute sur sa pratique, et sur sa relation à ses patients. La série avait abandonné le public avec une question lourde de conséquences : que devient le soignant quand il ne peut plus, ou ne croit plus en sa capacité à soigner ceux qui sont en détresse ?

Cinq ans plus tard, soit le 18 mai 2020 dans le temps de la série, le psychanalyste est de retour, de nouveau en période de crise. Après le traumatisme des attentats du Bataclan du 13 novembre 2015, c'est au lendemain du premier confinement provoqué par la pandémie de Covid-19 que l'on retrouve le psy. Cinq années au cours desquelles Dayan a acquis un nouveau cabinet en banlieue parisienne, où il reçoit de nouveaux patients, et où il gère de nouvelles emmerdes. 

 

En thérapie : photoLa barbe ça change un psy

 

L'analyste a dû gérer un divorce, mal digéré par ses enfants, et doit vivre avec l'épée de Damoclès d'un procès qui ronge son quotidien. Suite au décès d'Adel Chibane (Reda Kateb) dans des circonstances étranges alors qu'il était parti combattre Daesh en Syrie lors de la première saison, la famille de ce dernier a amené Dayan devant les tribunaux, souhaitant faire reconnaitre sa responsabilité dans le décès de son patient. 

Malgré ces casseroles bien bruyantes, Dayan tente de se reconstruire, et le personnage incarné par le génial Frédéric Pierrot continue à être la colonne vertébrale de toute la série. Bien que tout se soit effondré autour de lui (famille en ruine, réputation entachée, patients perdus...), le psy maintient le cap sur une mer mouvementée, d'autant plus agitée que la navigation se fait au lendemain d'un nouveau trauma pour la population : celui de la Covid-19, qui a assené la claque du Memento Mori

Dans sa forme, la série créée par Olivier Nakache, Eric Toledano et Laetitia Gonzalez conserve la formule efficace de la première saison, avec ce système de "un épisode : un patient", sauf rares exceptions et consultations de Dayan avec sa contrôleuse. Cependant, si le dispositif est identique, tout est bien plus sensible, et plus difficile, car la cure repose désormais sur les épaules d'un analyste en proie au doute et à un complexe du sauveur face à des patients aux symptômes rongés par des angoisses de mort. 

 

En thérapie : photoPenser à ses emmerdes, volume 2

 

tranche de vies (triol)

Bien que la série ait conservé sa recette gagnante, elle n'est pas restée en stagnation pour autant. Pour cette deuxième saison, la formule est bien plus affûtée que pour la première, tutoyant même le thriller dans sa construction haletante et sa réalisation au cordeau. Si la parole est le moteur de toute avancée, tant dans le scénario que dans la progression de la cure des patients, Nakache et Toledano ont également pris le soin d'aménager des moments de silence, tout aussi signifiants que ces temps de parole. 

Loin d'être un gadget de mise en scène, le silence dans la cure, qu'il soit le silence de l'analyste, tout entier tourné vers l'accueil de la parole du patient, ou le mutisme des analysants. Dans les séminaires de Jacques Lacan rassemblés sous le titre L'Amour et le Transfert, l'auteur avait déclaré : "certains moments de silence dans le transfert représentent l’appréhension la plus aigüe de la présence de l’autre comme tel". Cette deuxième saison d'En Thérapie met en image cet aphorisme lacanien, et plus encore, en fait presque le fil rouge de ces nouvelles consultations. 

En thérapie : photoPhoto de famille

 

Nouvelles consultations pour de nouveaux patients, car en cinq ans Dayan a renouvelé son carnet d'adresses. Le fait de dire adieu aux anciens patients donne un nouveau souffle à la série, mais la libère surtout de certaines entraves bien incommodantes. À commencer par Ariane la chirurgienne (Mélanie Thierry) si encombrante, dont la présence et sa relation transférentielle un peu fumeuse avec Philippe Dayan avaient pris beaucoup trop de place dans la première saison. 

Exit Camille, adolescente dont les pulsions suicidaires étaient le symptôme d'une relation parent-enfant toxique et d'un besoin fondamental de prise de contrôle sur sa vie. De même Esther, contrôleuse de l'analyste, son personnage téléphoné de bourgeoise distante coincée dans une relation conflictuelle avec Dayan a pris le large. De la première saison ne subsiste que Léonora et Damien, ce couple en perdition, à la séparation consommée, qui apparaitra ponctuellement. 

 

En thérapie : photo, Reda Kateb, Mélanie ThierryCiao Ariane (tant mieux)

 

Paradoxalement, Adel Chibane est plus que jamais présent, hantant le nouveau cabinet du psychanalyste. Sa disparition a ébranlé Dayan, au point de pousser le médecin dans ses retranchements et de bouleverser son rapport à la cure. Un rapport d'autant plus complexe à gérer face à une galerie de nouveaux patients, qui sont tous autant de symptômes d'une société malade, agissant tantôt comme le miroir de l'analyste, le renvoyant à ses propres échecs et angoisses, ou comme la métaphore d'une population confrontée à la réalité de la mort.  

Dans Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, Freud disait : "Nous tendons de toutes nos forces à écarter la mort, à l’éliminer de notre vie. Nous avons essayé de jeter sur elle le voile du silence". La question du deuil et plus encore de la prise en compte du principe de réalité est au coeur du sujet de cette saison 2. La galerie de personnages invoquée pour cette saison est presque tout entière dédiée au fait que la mort est partie intégrante de la vie. Une idée intolérable que le monde s'est pris de plein fouet avec la Covid-19 et son premier symptôme : le confinement. 

 

En thérapie : photoDistance minimum imposée par les gestes barrières

 

Eros, thanatos et les autres

Première recrue de ce nouveau casting, l'excellente Eye Haidara incarne Inès, une brillante avocate spécialiste des dossiers médicaux, qui conseille Philippe Dayan dans l'affaire qui l'oppose à la famille Chibane. Elle a été confrontée au psy vingt-trois ans auparavant, alors qu'elle n'avait que 17 ans, lors d'un rendez-vous dans un planning familial. Elle est l'incarnation des regrets du passé, portée par une parole entre humour, cynisme et désespoir, et confronte Dayan à ce qu'elle considère être sa responsabilité de médecin, faisant double écho à l'affaire Chibane, et aux "erreurs" d'un psy débutant.

Robin (Aliocha Delmotte), fils du couple défaillant Léonora/Damien de la saison 1, est un gamin en surpoids paumé, victime de harcèlement scolaire, qui a vécu le confinement comme un isolement libératoire, le séparant de ses tortionnaires. Bourré de TOC, l'adolescent vit en permanence avec l'angoisse de mort liée à la Covid, et dans le même temps avec le poids de la culpabilité de la séparation de ses parents. Incapable de faire le deuil de leur relation passée, son point de vue sur le divorce renvoie Dayan à sa propre relation au divorce vécu récemment, et à sa relation abîmée avec ses enfants. 

 

En thérapie : photoInès, avocate à la solitude intolérable

 

Suzanne Lindon est l'incarnation même du conflit entre pulsion de vie et de mort. Atteinte d'une maladie grave, son personnage pousse le psychanalyste dans ses retranchements, et le force à prendre position dans la cure, le réaffirmant en tant que médecin, mais aussi dans son obsession de vouloir à tout prix sauver les autres, pris qu'il est dans un simili complexe messianique.

Le personnage le plus saisissant de cette saison deux est sans conteste Alain, PDG d'une entreprise pris dans un shitstorm médiatique suite au suicide d'une de ses employées. Miroir de Dayan, il semble être l'autre facette du médecin, ou plutôt la facette que Dayan aurait voulu être, souhaitant se détacher de sa responsabilité dans la mort d'Adel. Et pourtant cet idéal est foncièrement instable, Alain souffrant de violentes crises d'angoisses. À la fois miroir déformant, et miroir tout court de Dayan, le personnage incarné par Jacques Weber est la grande réussite de cette saison.  

 

En thérapie : photoJacques Weber, impérial

 

Personnage un peu rentré au forceps dans l'équation d'En Thérapie, Claire Brunet (Charlotte Gainsbourg) est la nouvelle contrôleuse de Dayan. Sorte d'avatar d'Anne Dufourmantelle, à la fois analyste et essayiste, elle s'installe comme un alter ego à l'analyste, dans une relation presque égalitaire, plutôt que dans un rapport analysant/analysé. Sans doute l'arc le moins intéressant de cette nouvelle saison, tant la projection réciproque des peurs et désirs de l'un et l'autre est évidente, tuant un peu la tension de la série. 

Un nouveau casting qui n’est pas un simple renouvellement, mais tous sont autant de symptômes post-covidesques d'une époque étrange, dans un scénario construit comme un jeu d’échecs, où chaque coup, chaque parole, chaque épisode amène vers un final flamboyant, intime, et profondément humain, qui s'achève sur une prise de parti audacieuse, et ouvre un champ des possibles particulièrement intéressante pour la suite des événements. 

En Thérapie est disponible en intégralité sur Arte.tv et est diffusée à partir du 7 avril sur Arte

 

En thérapie : Affiche française

Résumé

La saison 1 d'En Thérapie était une belle réussite, et la série parvient à transformer l’essai de la saison 2 en poursuivant une formule gagnante, tout en y injectant un nouveau souffle de tension permanente. Une recette addictive, doublée d'une écriture qui éclaire ces zones sombres de l'âme humaine que l’on refuse de regarder. Vivement la prochaine consultation.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(4.2)

Votre note ?

commentaires
Flo
24/05/2022 à 19:48

Encore une fois des mécanismes scénaristiques visibles, malgré le talent des acteurs, tous bons ou surprenants à leur manière :
Mal-être, puis auto-dépréciation, puis frère « fantôme », puis problèmes physiques, puis déni carabiné et enfin douce acceptation… Pour tous, et synchronisés pareils à chaque semaine ! C’est un peu gros comme coïncidence, un peu comme si on pouvait se contenter de une seule thérapie de patient, les autres n’étant que des variations.
Antithèse de la première saison puisque allant vers un optimisme salvateur.
D’utilité publique pour la profession médicinale, et pour l’art de l’écoute empathique.

Sand
19/05/2022 à 14:13

La saison 1 m'a agréablement surprise, je me suis attachée à ce thérapeute et ses patients....mais la saison 2 n'a pas pris, j'ai lâché vers l'épisode 6 je crois

Alice
30/04/2022 à 16:23

"Succès surprise d’Arte, En thérapie a happé le public malgré sa proposition peu vendeuse sur le papier"...
Comme quoi toutes ces mesures d'audiences pour cerner ce qui plaît aux téléspectateurs ne reste bien qu'un outil mathématique qui mesure ce qu'on lui propose.
Enfin un peu d'humanité ! Comme ça fait du bien.! Et il semblerait que je ne sois pas la seule... Je me fous de savoir si cette série est mieux interprétée ou moins bien qu'une autre. J'aime rencontrer ces personnages, découvrir leur histoire au fil des séances. C'est une histoire de rencontres. Et c'est pour moi ce qui est le plus touchant :un moment de confidence et d'échange.
Belle suite à cette série !

Sophie
09/04/2022 à 15:48

Je ne peux plus m'en passer.... A dévorer sans modération.

Coach
08/04/2022 à 18:10

Merci à tous ces acteurs qui mettent l 'intime et l humanismeau cœur de nos séances télés
Une série inspirante pour tous ceux qui mettent la relation au cœur de leurs vies personnelles ou professionnelles
J ai trouvé Charlotte assez fine dans son jeu face à un confrère n ayant pas une demande claire . J ai moins aimé son parti pris un peu trop présent de psy sauveur.
Frédéric Pierrot est exceptionnel.
A voir et à revoir en attendant une autre saison

Christo55
08/04/2022 à 16:43

Dommage qu'il y aient autant de pubs entre les séquences, ça coupe le rythme ..

Kevo
08/04/2022 à 12:00

Je n'arrive toujours pas à voir ce qu'apporte cette adaptation française a part le parquet parisien et les dialogues sur-écrits. C'est surjoué... La version américaine était deja beaucoup plus juste. Très bien pour ceux qui découvrent mais vraiment pas le meilleur des adaptations de la série originale.

Hank Hulé
08/04/2022 à 09:31

Le canapé est très bien !

Amnorian
08/04/2022 à 09:27

Une deuxième saison aussi réussi que la première qui suit par contre complètement la série d'origine en présentant les même patients, quelques petites différences dans les script en intensifiant sur le COVID.
Je trouve la série française mieux jouée que la version américaine (en analyse) avec des personnages plus touchant.
Autant je suis d'accord avec vous pour charlotte gainsbourg qui ne brille pas (face à une carole bouquet de la saison 1 qui était impressionnante et parfaite dans son rôle), autant le PDG, pourtant bien joué, est une histoire vraiment peu intéressante tout comme dans la version américaine.

Nine
08/04/2022 à 07:35

Trop de fautes de syntaxe de la part de Charlotte Gainsbourg.

Plus
votre commentaire