La Chronique des Bridgerton saison 2 : critique Noblesse oblige sur Netflix

Antoine Desrues | 29 mars 2022 - MAJ : 29/03/2022 14:35
Antoine Desrues | 29 mars 2022 - MAJ : 29/03/2022 14:35

Il faut bien l’avouer : la première saison de La Chronique des Bridgerton a pris tout le monde de court. En quelques semaines, la série romantique au cœur de la noblesse anglaise du XIXe siècle s’est imposée comme l’un des plus grands succès de Netflix. Après une première saison centrée sur la jeune Daphné, c’est au tour de son frère Anthony de vivre sa propre intrigue amoureuse. Continuation prometteuse ou déception pour la production Shonda Rhimes ?

Netflix et vieilles dentelles

Dans le domaine des accords juteux, il est clair que Netflix a de quoi se frotter les mains depuis son contrat d’exclusivité avec Shonda Rhimes. La créatrice de Grey’s Anatomy et de Scandal a façonné un empire sériel unique avec sa boîte de production Shondaland, dont le logo apparaît d’ailleurs fièrement à chaque début d’épisode de La Chronique des Bridgerton.

Et même si le méga-carton Netflix est techniquement showrunné par Chris Van Dusen, impossible de ne pas voir la patte que la productrice a imposée sur près de vingt ans de télévision. Avec sa régence uchronique arborant avec fierté une mixité ethnique, Bridgerton prolonge la méthodologie inclusive de Rhimes, qui utilise la durée des formats sériels pour développer des interrogations sociétales contemporaines.

Mais surtout, le succès de la série romantique est clairement à mettre sur le compte de l’héritage de Grey’s Anatomy, qui s’est toujours amusé à moderniser les codes du soap opera en les bardant d’effets tape-à-l'œil et ouvertement kitsch. Pop-music calée aux endroits les plus improbables, montages sur des personnages en pleurs dignes d’AMV, voix-off pince-sans-rire, mais inspirante : tous les élans les plus décomplexés de la méthode Rhimes se retrouvent dans Bridgerton, jusqu’à cette idée cool (bien qu’un peu risible) de prendre des tubes contemporains pour les remixer à la sauce musique de chambre.

 

La Chronique des Bridgerton : Photo Jonathan Bailey, Phoebe Dynevor"C'est nous les champions !"

 

Les Aristochastes

Dès lors, tous ceux qui sont tombés en pâmoison pour la première saison seront ravis de savoir que la série basée sur les romans de Julia Quinn a décidé de continuer sur cette voie, en trouvant au passage l’occasion de corriger certains de ses principaux défauts de fabrication. Oubliez les nuits américaines horribles et son étalonnage globalement aux fraises ; la saison 2 s’oblige à une certaine élégance dans sa photographie, au point même de quitter dans de rares instants sa mise en scène très fonctionnelle.

Pour autant, rassurez-vous, Bridgerton n’en a pas perdu ses fondamentaux, de ses idées les plus amusantes (des séquences à l’ironie lourde de sens, comme ici une partie de jeu de maille où la tension sexuelle règne) à ses plus ridicules (les longs regards langoureux de ses personnages, l'usage de la caméra à l’épaule lorsqu’ils ont le souffle court...). Après le parcours de Daphné, c’est au tour du frère aîné, Anthony (Jonathan Bailey) de trouver l’amour. Alors que ses responsabilités de vicomte l’incitent à viser un mariage avec le "diamant de la saison", la jeune Edwina Sharma (Charithra Chandran), il comprend trop tard qu’il en pince plutôt pour sa sœur, l’intrépide Kate (Simone Ashley).

 

La Chronique des Bridgerton : photoPop-music, silences gênants, regards langoureux : on est chez Shonda Rhimes !

 

Malheureusement, c’est un peu à cause de ce concept que cette deuxième salve d'épisodes dans la famille Bridgerton tend à décevoir. Avec cet enjeu digne d’un sous-Jane Austen, la saison 2 traîne sérieusement la patte, alors même que le parcours psychologique de ses personnages est cousu de fil blanc. À force de se reposer uniquement sur l’attraction-répulsion de ses protagonistes filmés comme des aimants, on en vient à bien plus se passionner pour les intrigues secondaires du récit, même si celles-ci sont parfois bâclées.

À vrai dire, ce manque de folie est d’autant plus perceptible par rapport à une saison 1 qui se permettait tout, même le pire. En redistribuant les cartes à mi-parcours suite au mariage de Daphné, La Chronique des Bridgerton réussissait à tenir en haleine et à bouleverser son rapport au couple. Par ailleurs, on ne saurait enlever à cette première mouture le fait d’avoir façonné sa mise en scène autour de la question d’un regard féminin obligé de découvrir par soi-même un désir qui fait figure de tabou.

 

La Chronique des Bridgerton : Photo Simone Ashley, Jonathan Bailey, Luke ThompsonUn léger effort sur la photographie... merci Netflix !

 

De l'eau dans le (female) gaze

En bref, malgré l’absence totale de finesse de son approche (les ralentis publicitaires sur un mec qui remonte ses manches...), la série est parsemée d’une réelle réflexion sur le female gaze, forcément amoindrie dans une saison 2 centrée sur un personnage masculin. Néanmoins, on peut tout de même saluer le fait que Bridgerton explore grâce à Anthony les travers d’une société patriarcale qui amène les hommes à un refoulement total de leurs émotions.

L’étiquette de la noblesse est plus que jamais une prison morale qui enferme les personnages dans leur malheur, mais là encore, la saison 2 manque de subtilité sur le sujet. Le parcours de Daphné reposait autour de sa naïveté, de sa découverte d’un monde dont on l’avait coupée, tandis qu’Anthony est d’ores et déjà un patriarche averti, qui a dû prendre la place de son père prématurément décédé.

 

La Chronique des Bridgerton : Photo Claudia Jessie, Nicola CoughlanLady Lanceur d'alerte ?

 

Du coup, tout le rapport de la série à une certaine émancipation semble assez déplacé au vu de son romantisme béat, qui observerait une révolution des mœurs uniquement du point de vue de la noblesse, et donc des dominants. Le peuple, qu’il s’agisse des passants ou des domestiques visibles dans la plupart des plans, est invisibilisé, comme écarté d’une époque où il a pourtant joué un rôle fondamental. Via le personnage d’Héloïse, qui cherche désespérément à trouver sa place dans la cause féministe, la série ne fait que mettre en exergue le confort de personnages qui ont le luxe de se mettre en danger, ou de réfléchir à leurs sentiments en regardant la fenêtre pendant des heures.

Cela n’enlève rien au plaisir que peut susciter Bridgerton par sa nature de soap de luxe aux allures progressistes revigorantes, mais sa maladresse, presque touchante dans sa première saison, affiche ici ses limites.

La saison 2 de La Chronique des Bridgerton est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 25 mars 2022

 

La Chronique des Bridgerton : affiche française

Résumé

La Chronique des Bridgerton conserve certains de ses acquis jubilatoires, y compris ses élans kitsch, mais troque son regard féminin fascinant pour un récit plus contrôlé et programmatique, qui se perd sur la durée.

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Lecteurs

(3.4)

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commentaires
Doriane
22/11/2022 à 11:22

Je trouve personnellement que le jeu d'acteur des protagonistes n'est vraiment pas terrible dans le saison 2, c'est regrettable.

Natty
30/03/2022 à 13:50

J'ai adoré la saison 1 et la 2 mais je trouve décevant que la réalisatrice ait pris autant de liberté à modifier le roman. L'histoire n'est plus la même. Ça se coupe et recoupe entre les 8 volumes. L'identité caché de Penelope, l'abeille sur le décolté de Kate et qui fait qu'ils se marient. Il n'y a pas de mariage annulé...
Mais je regarderai la saison 3 en râlant encore mais avec plaisir. J'ai hâte de voir Sophie. Et normalement Penelope doit perdre quelques kilos dans son chapitre "Colin"

Kimfist
30/03/2022 à 11:55

Difficile de décrocher, je voulais regarder un épisode hier soir pour "commencer" et faire durer le plaisir... J'en ai regarder 5 :0 !

J'aime l’idée de prendre un thème aussi futile et ridicule que "la saison des amours et des bals" et d'en faire la problématique central du monde Victorien ^^

Pour répondre à @François il s'agit d'une Uchronie rose bonbon assumé, et pô une "réécriture de l'histoire"

Elle est pour une fois porté et intégré à 100%, à 200% même, s'en est presque déconcertant de réussite.

Cette fois on intègre pas une minorité à la truelle par une pirouette scénaristique, du style "mon père à rencontré ma mère dans une Colonie ou elle était servante...."(on a vue ça mille fois et à la longue ça fait teeeelement artificiel !)

Le terme même de minorité n'existe pas, tout anglais faisant parti de l'empire britannique est par définition "anglais"

Est-ce que c'est progressiste ? même pas. Mais est ce que c'est original, bon sang ça oui !!

Francois
30/03/2022 à 11:03

@SImon Riaux

Calmez vous :) Ce que vous êtes sensible

"Bref, ce qui semble vous agacer, si votre souci premier est une certaine exigence culturelle, curiosité historique et sophistication intellectuelle, devrait vous réjouir au plus haut point."
Moi pas compris phrase.

Simon Riaux
30/03/2022 à 10:38

@Francois

"Réécrire l'histoire", c'est le principe d'absolument toutes les fictions historiques. Toutes. Et si vous considérez certaines comme échappant à ce principe, c'est que vous avez avalé la ligne de la propagande avec l'hameçon, jusqu'à la canne à pêche.

Plaquer la vision d'une époque sur une autre, c'est même le principe de base de la plupart des chefs d'oeuvres de la littérature française. Il ne vous échappera pas que pour l'essentiel, Corneille et Racine ont passé l'essentiel de leur carrière à revisiter l'antiquité avec leurs yeux d'auteurs tragiques français du XVIIe.

Bref, ce qui semble vous agacer, si votre souci premier est une certaine exigence culturelle, curiosité historique et sophistication intellectuelle, devrait vous réjouir au plus haut point.

Madolic
30/03/2022 à 09:24

@Francois
Qui a un jour prétendu que c'était une série historique ?
Une greffe de cellules neuronales serait peut-être à envisager ^^

Francois
30/03/2022 à 07:16

Alors l'histoire est divertissante et c'est bien le but d'une série.
Ce qui est par contre hallucinant c'est cette volonté inébranlable de réécrire l'histoire, de donner une image fausse du passé. Par le biais de série dite historique on essaie de calquer à tout prix, nos moeurs actuels, notre morale actuelle. C'est une propagande insidieuse et permanente.

Julia
30/03/2022 à 01:36

Je suis complètement d'accord avec cette critique, merci !

Sascha
29/03/2022 à 22:15

Tout comme Nesse, j'ai une préférence pour cette saison (même si la 1ère était bien à me yeux).
La photographie est magnifique, les couleurs sont chatoyantes et lumineuses. Ca fait du bien à la rétine.
Les dialogues sont plutôt bien écrits et construits.
Après, oui, c'est cousu de fil blanc : on s'est dès le départ comment cela va se finir. Mais la galerie de personnages est tellement attachante qu'on se laisse prendre au jeu (et je trouve les personnages mieux écrits et plus profonds).
En tout cas, j'ai passé un très bon moment.

@La_Rédaction : pensez-vous faire une critique de la saison 2 de Raised by Wolves ?

Nesse
29/03/2022 à 19:32

Contrairement à la saison 1 (trop de cul, histoire d'amour à l'eau de rose) j'ai préféré la saison 2 la faute à Jonathan Bailey, bien que 3, 4 episodes suffisait largement. J'attends maintenant la saison d Éloïse( personnage que j'apprécie)

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