Pachinko : critique de la grande série coréenne d'Apple TV+

Alexandre Janowiak | 29 avril 2022
Alexandre Janowiak | 29 avril 2022

Adaptée du best-seller éponyme de Min Jin Lee, Pachinko plonge les spectateurs dans une grande épopée romanesque au coeur du Japon (et de la Corée) du XXe siècle. Réalisée par le duo de cinéaste Kogonada et Justin Chon et showrunnée par Soo Hugh, la série americano-coréenne confirme-t-elle la quasi-excellence des productions Apple TV+ ?

SUNJA À TRAVERS LE SIÈCLE

Le défi d'adapter Pachinko en série n'était assurément pas aussi élevé que celui de s'attaquer à Dune ou Fondation. Cependant, il fallait avoir une vraie audace pour se lancer dans l'adaptation d'une fresque aussi vaste, débutant dans les années 1910 pour se clore, en tout cas dans le bouquin, aux portes des années 90.

Le livre, avec une vraie intelligence narrative, suit plusieurs personnages d'une même famille sur environ quatre générations différentes. Débutant au coeur de la Corée sous colonisation japonaise en passant par la séparation de la Corée en deux à la fin de la Seconde Guerre mondiale, jusqu'au rebond économique japonais des années 80 et l'ouverture au monde, notamment vers l'Amérique, la saga familiale explore un large spectre de l'histoire des deux pays asiatiques.

 

Pachinko : PhotoDe l'innocence...

 

Elle s'intéresse en particulier à une famille de Zainichi, soit une famille de Coréens venus s'installer au Japon (celui actuel géographiquement) lors de la colonisation de la Corée par l'Empire entre 1910 et 1945. Une histoire racontée par l'autrice Min Jin Lee de manière chronologique dans son roman, permettant d'avancer avec une aisance remarquable dans le récit, le développement de ses personnages ou tout simplement de leur évolution vis-à-vis des événements de l'Histoire avec un grand H.

C'était sûrement le meilleur moyen d'avancer plus confortablement pour raconter toute l'épopée de la famille de Sunja et donc, pour l'adapter à l'écran. En effet, il y avait quelque chose d'assez évident à choisir un récit linéaire pour s'attaquer à ce roman-fleuve, plongeant ses lecteurs au coeur des vies de nombreux personnages, au milieu de nombreuses villes différentes et parfois avec de très longues ellipses séparant leurs péripéties. Pourtant, cette narration, Soo Hugh, la scénariste et showrunneuse de la série Apple TV+, l'a très courageusement abandonnée pour un résultat impressionnant d'harmonie.

 

Pachinko : Photo Youn Yuh Jung... à l'expérience

 

A Bittersweet Life

Dès le premier épisode de Pachinko, les spectateurs n'ayant pas lu le bouquin comprendront très vite que le personnage de Sunja sera le plus important du récit, elle qui va traverser les époques et donc, logiquement, les (més)aventures de sa famille. Incarnée par trois actrices différentes, Yu-na pour l'enfance, Kim Min-ha pour l'adolescence et le jeune âge adulte puis l'oscarisée Youn Yuh Jung pour sa version âgée (environ 60-70 ans), elle était le centre du roman et conserve donc cette importance majeure tout au long de la saison 1.

Sauf qu'au lieu de se reposer uniquement sur son avancée avec un récit chronologique, la série va se diviser en deux lignes temporelles distinctes, jonglant entre flashbacks (le parcours de Sunja) et flashforwards. De fait, l'épisode 1 se déroule directement sur plusieurs époques. Alors que Yangjin, la mère de Sunja, craint de faire une nouvelle fausse couche en 1910 à Busan, l'épisode transporte le spectateur à New York en 1989, le faisant rencontrer le jeune Solomon (arrière-petit-fils de Yangjin, comme le récit l'explicitera plus tard).

Le moyen habile pour la série de rattacher ses personnages, et surtout les membres de cette famille liés pour toujours, en effaçant la distance du temps les séparant.

 

Pachinko : Photo Jin HaBasculer immédiatement dans le temps

 

Quelques détails futiles au premier abord se transformeront en véritable point d'ancrage entre les générations. Un simple objet obtenu par un personnage au début du siècle se révélera un élément primordial à la survie d'autres quelques décennies plus tard ou sera le déclencheur de leur future disparition. Une sorte de voyage temporel qui vient déclencher des émotions profondes chez les spectateurs, bousculés avec vigueur par les souvenirs nés de ces découvertes ancestrales et des réminiscences passées.

Car en se déroulant sur près d'un siècle, Pachinko dresse évidemment le portrait d'une femme (Sunja), mais parle aussi de destinée et d'héritage familial. Les Zainichis ont longtemps subi (et subissent toujours) de violentes discriminations au Japon, notamment à cause d'une vieille pensée raciste du colonialisme ayant provoqué une véritable hostilité des Japonais envers les Coréens et leurs ressortissants.

 

Pachinko : Photo Steven SangHyun NohLa religion, aussi au coeur de l'évolution culturelle de cette famille

 

roule ta bille

Grâce à ce montage fascinant, juxtaposant parfois des mêmes scènes à travers les décennies et les langues (le récit alternant entre le coréen, le japonais et l'anglais), la série s'offre la possibilité de transcender les liens unissant chacun. Mieux, elle donne vie à leur quête d'identité respective au fil de cette malédiction transmise de génération en génération les poursuivant, les sublimant, les paralysant, les ressuscitant. 

Au coeur de l'épisode 6, il y a d'ailleurs le joli monologue sous la pluie d'un personnage dont on taira le nom pour éviter les spoilers : "Avec elle, j'ai cette impression que ma vie peut, peut-être, avoir une importance d'une manière ou d'une autre. Pas à grande échelle, mais j'ai le sentiment que je peux faire quelque chose. Je ne veux pas que mon enfant grandisse dans un monde comme celui-ci. Je veux que mon fils ou ma fille s'accepte entièrement comme il est et je veux qu'il s'épanouisse. Mon frère, nos enfants ne méritent-ils pas au moins cela ?".

 

Pachinko : Photo Steven SangHyun NohRegarder en avant sans pouvoir échapper à l'ombre de son passé

 

Plus que de penser à leur propre avenir, les personnages essayent évidemment d'en construire un meilleur pour leur descendance. Un mantra dépassant donc les frontières du temps, chaque décision personnelle pouvant devenir une avancée sociale ou économique majeure pour le futur de sa communauté ou au contraire, un obstacle de plus à surmonter pour les générations futures. D'où ce titre : Pachinko.

À l'instar des billes du célèbre jeu japonais se mouvant vers une destination inconnue au gré de leurs vitesses et impacts sur des clous, la famille de Sunja avance au gré de ses rencontres, confrontations, choix, mouvements... dans une succession de causes à effets à grande échelle (contrairement à ce que peut imaginer le personnage cité au-dessus). Car qu'ils essayent ou non de vivre au jour le jour, leurs actions auront des conséquences sur toute leur famille, leurs amis, leurs proches, mais aussi sur des personnes qu'ils ne connaîtront jamais.

 

Pachinko : Photo Jin HaUn pachinko révélateur

 

after sunja

Alors, Pachinko déploie toute son ampleur au fil de ses huit épisodes extrêmement denses, passionnants et visuellement remarquables. Incontestablement, Apple TV+ a encore mis le paquet pour être à la hauteur du vaste récit mis en scène. De son générique coloré et entraînant au son du Let's Live for Today de The Grass Roots à la douceur des plaines coréennes, en passant par l'âpreté d'un Osaka miséreux ou l'envergure d'un Tokyo moderne, rarement aura-t-on vu une série aussi distinguée dans l'horreur ou la joie, la misère ou le luxe. 

Avec intelligence, Soo Hugh a d'ailleurs compris qu'il était proprement impossible de raconter toute l'oeuvre de Min Jin Lee en une seule saison. Et si la saison 2 n'a pas été commandée officiellement (ce serait une honte de ne pas avoir de suite vu la richesse restante à exploiter), cette liberté structurelle a été le moyen pour la showrunneuse de s'attarder un peu plus sur des personnages moins développés par le bouquin, notamment lors d'un épisode 7 exceptionnel.

 

Pachinko : Photo Lee Min-ho, Kim Min-haLa rencontre qui va tout changer

 

Réalisé par Kogonoda (After Yang, Columbus), il offre une parenthèse bienvenue sur le personnage de Hansu (Lee Min-ho). Alors qu'il est plutôt détestable pour les spectateurs, vis-à-vis de ses choix et actions, la scénariste et créatrice donne ainsi les clés pour mieux le comprendre, s'y attacher. Elle lui offre un arc plus profond, plus complexe, tout en continuant, en plus, son geste ambitieux (et fou) d'implanter ce récit intime fictionnel au coeur de l'Histoire, en confrontant le personnage au violent séisme de Kanto (source de bien des maux).

À l'image de la plupart des épisodes, magnifiquement accompagnés par la musique de Nico Muhly (qui n'est pas sans rappeler régulièrement le travail du formidable Nicholas Britell chez Barry Jenkins), il en résulte une intensité bouleversante, dépeignant la beauté-atrocité-poésie naturelle d'une histoire aussi simple que celle d'une famille à travers les décennies. C'est d'ailleurs la grande force de Pachinko : sa capacité à faire du simple récit de vies ordinaires, la fresque tentaculaire de destinées extraordinaires. Vivement la suite.

Pachinko est disponible en intégralité depuis le 29 avril 2022 sur Apple TV+

 

Pachinko : Affiche officielle

Résumé

Immense fresque sur le destin, l'héritage et l'identité, Pachinko est de ces oeuvres qui traversent le temps pour mieux l'explorer, le sublimer et le suspendre.

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Lecteurs

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commentaires
MoiLeVrai
27/08/2022 à 15:12

Je viens de finir. Vraiment top. Mon seul regret étant que la saison donne un léger gout d’inachevée, l’histoire ne concluant pas réellement d’Arc ni rien de réellement tangible. Mais en dehors de ça c’était proche de la perfection.
J’apprécie également très fortement le générique. L’idée d’y situer tous les personnages, dans ce decors de pachinko, sur une musique entraînante et de le mêler à des “photos d’époque” est très efficace. Je n’avais pas vu de générique aussi bien pensé depuis très longtemps.

Mary
08/05/2022 à 18:17

Exceptionnelle serie. Divinement bien joué jusqu’au moindre détails. Profondément touchant. Bravo pour la réalisation et vivement la saison 2.

Youte
01/05/2022 à 22:57

S'abonner à Appl pour pachinko est ce valable ? Car il faut que le reste des séries ou films soient intéressants. Je suis déjà abonnée à Netflix qui a un catalogue bien fourni.

Roukesh
29/04/2022 à 18:26

J'avais l'impression que apple tv+ ne proposait pas grand chose, et là severance, la saison 2 de for all mankind, et visiblement ce Pachinko, ça fait plaisir.

Deny
22/04/2022 à 14:05

j’espère ne pas m’ennuyer comme avec le soporifique et surcôté "Drive my car"

Méméduse
16/04/2022 à 14:51

Tout à fait d'accord avec votre analyse ! Pachinko le drama est aussi passionnant et émouvant que Pachinko le roman ! Et les acteurs sont éblouissants de charisme, Lee Min-ho en tête !

Ozymandias
30/03/2022 à 17:31

Bon ben dans ma liste aussi ^^

Franken
30/03/2022 à 16:30

La b.-a. avait retenu mon attention, cette critique est une bonne petite poussée dans le dos…
Je sens qu’elle va faire du bien, cette série !

Hank Hulé
30/03/2022 à 16:04

Sur ma liste...

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