Euphoria saison 2 : critique du chaos sur OCS

Alexandre Janowiak | 1 mars 2022 - MAJ : 01/03/2022 15:15
Alexandre Janowiak | 1 mars 2022 - MAJ : 01/03/2022 15:15

Après deux ans et demi d'attente, et la mise à disposition de deux épisodes spéciaux pour nous faire patienter entre temps, Sam Levinson et HBO ont enfin dévoilé la deuxième saison de l'impressionnante EuphoriaUne deuxième saison qui a démarré sur les chapeaux de roue pour mieux offrir aux spectateurs une véritable expérience du chaos tout au long de ses huit épisodes menés, entre autres, par Zendaya.

Vaines obsessions ?

À n'en pas douter, cette deuxième saison de Euphoria est plus compliquée à aborder que la première. Lors de son lancement en 2019, la série HBO avait marqué les esprits grâce à sa liberté de ton, la dureté des sujets qu'elle abordait et surtout sa mise en scène impressionnante, Sam Levinson proposant des tours de magie visuels rarement vus sur le petit écran. Et avec le premier épisode de sa saison 2Euphoria a montré qu'elle n'avait rien perdu de sa technicité, de son esthétisme et évidemment de ses personnages.

Toutefois, au fur et à mesure de l'avancée de l'intrigue de cette saison 2, il était difficile d'avoir une idée d'où elle souhaitait mener le spectateur. À tel point que cette nouvelle salve d'épisodes a largement décontenancé le public et notamment de nombreux fans. Finalement, la série a-t-elle vraiment quelque chose à dire sur ses personnages ou cache-t-elle, derrière sa maestria visuelle, un vide aussi profond que celui qui ronge sa bande d'adolescents ? La question avait le mérite de se poser, car il est vrai que cette saison 2 a été sacrément foutraque.

 

Euphoria : Photo Hunter SchaferPas beaucoup de Jules, étonnamment

 

Multipliant les intrigues, les points de vue, voire les époques (avec le sublime épisode centré autour de Cal ou à travers les réminiscences bouleversantes de drames passés), Euphoria n'a pas toujours semblé savoir où elle se dirigeait elle-même. Ainsi, plusieurs personnages ont disparu (quid de McKay vis-à-vis de la relation entre Nate et Cassie ?), ont été mis de côté au fil des épisodes (quid de Kat, étonnamment discrète) et des arcs pleins de tension ont finalement été balayés d'un revers de main pour ne plus jamais refaire surface (tout le récit concernant Laurie et le trafic de drogues).

De quoi se questionner sur la bonne tenue narrative de cette saison 2 qui, indiscutablement, a parfois été victime de sa propre opulence. Et en même temps, ce chaos narratif est justement ce qui fait de cette saison 2 une belle réussite, elle qui a su, encore une fois, bousculer les spectateurs, leurs attentes et renverser des habitudes que le récit avait prises (les prologues centrés sur un personnage largement abandonné). En se refusant à conserver une trajectoire aussi rectiligne que la première saison et en refusant d'avoir un fil conducteur proéminent, Euphoria s'est revitalisé et a su s'ouvrir de nouvelles portes.

 

Euphoria : Photo Barbie FerreiraCri dans le vide pour un personnage abandonné ?

 

levinson's way

Dans le dernier épisode de cette saison 2, un des personnages de la série affirme, pour consoler l'ambitieuse Lexi Howard (Maude Apatow) sur les déboires de sa pièce de théâtre, que "l'art doit être dangereux". Et cette petite phrase est peut-être celle qui résume le mieux les desseins de Sam Levinson avec sa série adolescente audacieuse, percutante et régulièrement au coeur de polémiques (pour sa nudité, sa violence...) sur les réseaux sociaux.

Sam Levinson, à la fois au scénario, à la production et à la mise en scène, n'a en effet aucune limite avec Euphoria. Très vite (dès la saison 1 d'ailleurs), on avait compris qu'il ne laisserait personne lui mettre des bâtons dans les roues. Au contraire, il est prêt à tout pour bousculer les codes quitte à déplaire plutôt qu'à contenter chaque spectateur avec une oeuvre fade et morne.

 

Euphoria : Photo Sydney Sweeney, Alexa Demie, Barbie Ferreira"Ma série ne sera pas comme toutes les autres, ok ?????????"

 

Il n'est donc pas étonnant que la série soit aussi violente psychologiquement et physiquement. D'autant plus que l'objectif est évident : chaque spectateur doit être confronté aux traumatismes des personnages pour mieux les cerner, les pardonner et les accepter tels qu'ils sont ou tels qu'ils visent à devenir. Alors forcément, à prendre des risques, le style de Sam Levinson sombre parfois dans une surstylisation un peu trop tape-à-l'oeil au fil des épisodes, des scènes, voire au sein même de certaines séquences.

Toutefois, c'est aussi parce qu'il s'expose, expérimente, change de registre ou de tonalité que Sam Levinson réussit à faire d'Euphoria une série aussi déboussolante et addictive. Et cette saison 2 est la meilleure manière de le prouver puisqu'avant même le milieu de saison, les perspectives du spectateur changent.

 

Euphoria : Photo Maude Apatow, Angus CloudUne relation passionnante et touchante

 

body double

Alors que Rue et Jules (excellente Hunter Schafer) étaient les personnages au centre de la série depuis ses débuts, Sam Levinson décide de faire des anciens personnages secondaires, certains de ses personnages principaux. Une manière puissante d'explorer d'autres personnalités et en particulier celles de Fez (le jeune trafiquant incarné par Angus Cloud) et Lexi donc. Avec sa pièce de théâtre au centre du double-épisode final, la jeune adolescente parvient à rebattre largement les cartes, livrant une vision complètement nouvelle des récits vécus jusqu'ici par les personnages et donc par les spectateurs (les seconds couteaux, eux aussi, ont vécu des traumas similaires et méritent d'être au centre des attentions).

Et si le personnage de Zendaya reste au coeur du dispositif narratif, Sam Levinson se sert de la pièce de théâtre de Lexi pour venir transcender son héroïne originelle (Rue), chacun ayant un rôle à jouer (ou un impact) pour l'autre. Le jeune cinéaste choisit ainsi de faire de l'art, une jolie porte de sortie, une sorte de lumière dans l'obscurité capable de guider ces âmes en perte de repères, en quête d'identité et pour Rue, tristement perdue entre réalité et illusion à cause de son addiction, d'être le déclic d'une possible rédemption (arc évident pour plusieurs notamment Nate depuis sa confrontation avec son père Cal et également Fez, par exemple, dans le sublime épisode 2).

 

Euphoria : Photo Aja Bair, Maude ApatowUne révélation pour Rue

 

Car au fond, si la série parle énormément d'amour avec les multiples relations amoureuses et amicales de sa bande d'adolescents, elle parle aussi et surtout de jeunes complètement égarés. La mise en abyme finale est une façon de révéler leur désillusion, leurs failles, leur manque d'amour tout autant que leur besoin maladif d'être aimé (ou inversement) aux yeux du monde et à leurs yeux tout court. Elle plonge les personnages dans un chaos tendre et pathétique, doux et violent, poétique et tragique, moqueur et admiratif, les obligeant à stopper leur fuite en avant sentimentale, familiale...

Et mieux encore, dans un geste meta bienvenu, Sam Levinson vient surtout asséner à ses détracteurs une réponse ingénieuse : la série a beau parler de sujets profonds et majeurs sérieux, ce qu'elle raconte de ses personnages reste avant tout de la fiction. Le montage à six mains de Julio C. Perez IV, Darrin Navarro et Aaron I. Butler jonglant entre les scènes réelles et les reconstitutions théâtrales, souvent dans un même mouvement, dans une même lumière, frôle à de multiples reprises le génie et rappelle le caractère fictionnel de la série (d'autant plus avec les décors utilisés, Lexi ayant apparemment le budget d'une pièce à succès de Broadway, comme une sorte de fantasme de son spectacle parfait).

 

Euphoria : Photo Maude ApatowUne mise en abyme jouissive

 

casualties of drugs

D'ailleurs, alors que la série est régulièrement accusée (à tort) d'esthétiser la consommation de drogue, Sam Levinson livre peut-être l'une des plus belles réponses imaginables à ses critiques avec l'épisode 5 de cette saison 2. Suivant Rue en pleine rechute dans un dispositif extrêmement minimaliste, cet épisode plonge l'héroïne et le spectateur dans une descente aux enfers d'une brutalité sans pareille.

Rue s'en prend violemment à toute sa famille dans un déchaînement de fureur causé par son manque, accentué par sa panique devant la situation dans laquelle elle s'est empêtrée (la drogue confisquée n'est pas la sienne) et évidemment incontrôlé vu son absence de lucidité. En résulte un véritable uppercut pour le spectateur, découvrant (s'il ne l'avait pas déjà compris) la véritable facette de l'addiction, ses conséquences physiques et mentales et le danger encouru (pour rappel, Rue frôlait déjà la crise cardiaque dans l'épisode 1).

 

Euphoria : Photo ZendayaPartir en vrille pour mieux renaître

 

Ainsi, Euphoria remet les pendules à l'heure dans une heure éprouvante où le spectateur reste impuissant, subissant la course folle contre la déchéance de Rue. Un épisode intense et furieux où l'angoisse ne retombe jamais qui prouve l'intelligence de la série, capable d'offrir autant de moments d'émerveillements que de grands chambardements intérieurs chez les spectateurs. Parce que comme le confie Lexi sur scène, tant pis si une oeuvre "vexe certaines personnes... parfois, les gens ont besoin d'être secoué".

La saison 2 de Euphoria est disponible en intégralité sur OCS en France depuis le 28 février 2022

 

Euphoria : Affiche US

Résumé

En prenant plus de risques, la saison 2 d'Euphoria décontenance quelquefois mais ouvre surtout de nouvelles perspectives toujours plus passionnantes et émouvantes.

Autre avis Mathieu Jaborska
Toujours traversée de fulgurances esthétiques et émotionnelles uniques, cette saison joue la carte du bigger and louder artistique et narratif, au point de s'auto-parodier. Les lourdeurs du style Levinson sautent d'autant plus aux yeux, alors qu'il sacrifie des pans entiers de son univers pour pousser certains personnages dans leurs retranchements.
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Lecteurs

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commentaires
Ozymandias
27/11/2022 à 05:32

Magnifique saison, j'ai adoré tout comme la première. Rien à redire pour ma part. Un style unique pour une série unique.

Miss M
01/03/2022 à 18:25

Zendaya a passé sa saison à tordre sa bouche de côté et à surjouer une camée décalquée à longueur de journée, sauf dans les derniers tours d'écrous de la saison ou elle a déployé un jeu incroyable. PLus que sa détresse c'est son fol égoïsme qui m'a sauté aux yeux, comme pour Lexie, Cassie, Jules, etc. Chacun pense à sa gueule, jalouse untel ou untel, au mépris de ce que ses actes engendre. Il y a pourtant de réels moments de grâce (autres que simplement photographiques ou musicaux) de la part de ces acteurs(trices) qui restent très talentueux dans l'ensemble. Mais on diraitbque le succès de la saison 1 a fait gonfler le melon de la série dans sa globalité. On a même tenté de nous tenir en haleine sur la possible mort de Rue alors que bon.... à l'heure où tout est annoncé avant même que le succès soit au rdv, on savait déjà qu'une S03 était dans les clous. Et sans Zendaya... ça semblait peu probable. Pas pressée de voir la suite me concernant.

Jomini
01/03/2022 à 17:57

D'ailleurs, je suis presque déçu de savoir qu'une saison 3 a été commandée tant la fin de la saison 2 serait une fin quasiment parfaite pour la série

Jomini
01/03/2022 à 17:54

It's not TV, it's HBO

Tout simplement

Franken
01/03/2022 à 14:57

C’est beau, le chaos !

Jojo
01/03/2022 à 14:37

Excellente saison 2 avec certaines scènes magistrales !!!
Cette saison fait aussi la part belle aux personnages secondaires dont Lexi, le père de Nate et Ethan.

Mouais
01/03/2022 à 13:25

Cette série est quand même aussi le paroxysme de la vision fantasmé des "adolescents" : des corps musclés et plantureux de 25 ans.

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