Au service du passé : critique du Alias vodka-paëlla de Netflix

Lino Cassinat | 4 février 2022 - MAJ : 04/02/2022 10:49
Lino Cassinat | 4 février 2022 - MAJ : 04/02/2022 10:49

En espagnol, "oui" ça donne "sí". En russe, ça donne "da". Logiquement donc, en russo-espagnol, "oui" donne le SIDA, et si vous ne voulez pas attraper un truc pire que la Covid, on vous conseille de dire un grand non à Au service du passé, l'Alias mi-espagnol, mi-russe et 100% nul de Netflix. En effet, le studio signe là une de ses pires créations depuis Iron Fist. Posez votre cerveau, sortez le collyre, vous venez de vous jeter la tête la première dans la gueule de l'ours. Ou du taureau.

BUENOS BESOS DE RUSIA

À Madrid, trois personnes lambda perdent le contrôle d'elles-mêmes, et, comme en transe, tuent ou blessent gravement une personne qu'elles ne connaissent ni d'Ève ni d'Adam (Fahrenheit quoi). Alors qu'elle y accompagne sa fille Becca pour une compétition internationale de patinage artistique, l'ancienne tueuse soviétique Anya - dite "le Murmure" - vivant désormais cachée derrière une identité américaine, est enlevée par la CIA. Cette dernière entend la forcer à coopérer et mettre ses capacités surnaturelles à contribution afin de résoudre ce mystère, qui pourrait bien cacher un complot et mener à la Troisième Guerre mondiale.

Qu'on s'entende bien, si le marketing d'Au Service du passé s'est beaucoup concentré sur l'aspect espionnage, il s'agit en réalité d'un récit pulp riche en action et en péripéties invraisemblables. Aucun traitement réaliste à attendre ici donc, Au Service du passé assume, voire revendique, totalement une intrigue pulp et des codes pop - ce qui est d'ailleurs cohérent avec le parcours du showrunner Adam Glass, jusqu'ici créateur de comics uniquement. Niveau espionnage et complot géopolitique, on est plutôt sur un traitement à la Metal Gear Solid que Le Pont des espions.

 

Au service du passé : photoNom de code : Ursa Stupidus, prête à te tirer l'oreille

 

AU CERVYX SECRET DE LA NULLITÉ

Ceci n'est évidemment pas un problème en soi, et ne cherche nullement à discréditer Metal Gear Solid (dont l'auteur de ces lignes est fan). Ce qui pose problème en revanche, c'est que l'écriture est à peu près aussi consistante et cohérente qu'une très mauvaise fan fiction du jeu, à l'intrigue épaisse et aux personnages rachitiques. Un simple coup d'oeil sur le premier épisode suffit à s'en convaincre : Anya est présentée comme la tueuse la plus mortelle et insaisissable que la Russie ait jamais connue.

Quelques cuts plus tard, elle se fait dégommer par trois pauvres hommes de main incapables de faire une clé de bras sans se faire une triple fracture ouverte du périnée - et ce n'est même pas possible physiologiquement.

 

Au service du passé : photo Mais qui c'est qu'est teubé ?

 

Le niveau de puissance et d'intelligence des personnages varie ainsi de Dieu stellaire en fusion à sardine édentée en fonction des besoins du récit, ce qui rend impossible tout investissement émotionnel dans les différentes péripéties de la série tant tout obstacle, tout retournement paraît artificiel, toute lutte paraît forcée. De faux suspenses en twists bidons, Au Service du passé livre un spectacle navrant et mal ficelé qu'on endure plus qu'autre chose. Exemple le plus frappant, la gestion des langues est parfaitement lunaire, sautant du russe à l'espagnol à l'anglais sans aucune raison, au point que régulièrement des personnages non-anglophones parlent anglais entre eux avec un accent à couper de la paëlla au cimeterre.

Mais on peut trouver pire facilité d'écriture encore. On reste atterré notamment par cet homme de main qui se laisse tuer par un train à cause d'un pauvre petit bout de manteau coincé dans une porte... alors qu'il suffisait d'enlever son manteau. Ou encore par Anya, elle-même, qui refuse obstinément d'utiliser ses pouvoirs en combat (qu'elle gagnerait tous en une respiration si elle daignait se rendre invisible). Ou qui, devant produire un grand bruit pour briser une emprise hypnotique sur sa fille, ne trouve rien de mieux à faire que de tirer avec son pistolet à côté de l'oreille de sa fille, si près qu'elle en saigne. La voilà bien partie pour jouer dans Sans un bruit 3.

 

Au service du passé : photoJAMAIS J'ABANDONNERAI MON GUCCI

 

NETFLIX, C'EST PAS CHIX

Rien ne tient la route narrativement, mais heureusement pour Adam Glass, côté technique, c'est pire encore, au point de presque faire diversion. Alliant incompétence et mauvais goût en croyant peut-être naïvement que moins et moins feront plus, Au Service du passé se vautre dans les abymes de la laideur beauf, reprenant maladroitement une esthétique mi-néon techno mi-urbain craspec sans la moindre once de finesse. Le tout a des allures de film érotique moldave que même feue NT1 n'aurait pas osé diffuser à 4h du matin. C'est un peu comme si Atomic Blonde avait sniffé du viagra sur le capot d'une Lada - mais fallait-il attendre autre chose de la part d'une série dont la vedette a été vue dans l'abominable Future World ?

On remarque d'ailleurs que Netflix a quelques paraphilies obsessionnelles puisque comme dans The Witcher, on retrouve ici une scène de dialogue sérieuse entre deux comploteurs aux sourcils très froncés pendant qu'une trentaine de figurants partouzent en arrière-plan comme si de rien n'était. Il n'y a aucune construction d'ambiance. Aucune n’explore un tant soit peu le décor madrilène ou n’introduit de la variété dans les différents plateaux - alternant entre hangars gris, boîtes de nuits bleues et chambre Ikea beige - qui sentent tous le studio à plein nez : Au service du passé patauge. Mais la cime du désespoir visuel reste à venir : les scènes d'action. 

 

Au service du passé : photoMais déclenche ton invisibilité bon sang !

 

On veut bien entendre toutes les justifications du monde, mais il est inadmissible d'en arriver à ce degré d'amateurisme quand on s'appelle Netflix. De même qu'on ne croit pas un seul instant à l'intrigue tant elle est mal racontée, on ne croit pas non plus une seule seconde à la moindre beigne à cause d'un manque évident de savoir-faire et d'inventivité. Aucun sens de l'espace, un bon million de coupes à la seconde, dont environ 999 999 faux raccords : quand Au Service du passé s'active, elle passe d'ennuyeuse à éreintante, presque douloureuse. Et si vous n'aviez pas encore mal à la tête, le mixage sonore agressif mêlé à la parodie de techno qui tient lieu de BO achèvera de vous passer l'occiput au papier de verre.

 

Au service du passé : photoÉclairé par AlienWare

 

ANYA, ALIAS : ALIAS

C'est peu de dire que l'exécution est ratée, mais y a-t-il lieu de s'acharner, d'essayer de repêcher le concept d'Au service du passé pour la saison 2 que la série a de toute évidence déjà sous le coude au vu des ultimes images de cette saison 1 ? Hélas, même en faisant un gros effort, c'est difficile, étant donné qu'Au service du passé est à peu près incapable d'articuler correctement son intention, au point de régulièrement la saboter et contredire son propre propos pourtant louable.

En mettant en scène une héroïne d'action plongée dans un univers d'espionnage hostile et masculin, dépeignant un univers dur et adulte avec un ton (pseudo-)cool et déluré, juvénile, voire adolescent - le vrai coeur de cible de la série -, Au Service du passé apparaît comme une sorte d'Alias post-#MeToo à la fois plus désenchanté et plus agressif. Visiblement, la recette d'hier charme toujours le public, cependant on reste très circonspects quant aux outils employés pour donner un nouvel écho contemporain à son sujet sexiste et à sa violence inhérente.

 

Au service du passé : photoEn voilà une symbolique toute en finesse

 

Comme une certaine The Handmaid’s Tale, Au Service du passé tend dangereusement vers une forme de complaisance vis-à-vis de sa représentation des violences misogynes, et cela a deux effets délétères. Le premier est très simple : les antagonistes masculins tous en proie à une liquéfaction du cerveau doublée d'un tenace rigor penis sitôt qu'un individu féminin ente dans le cadre, sont lassants et interchangeables. Et cette redondance produit un appauvrissement terrible non seulement du récit, mais aussi du discours qui le sous-tend.

Le second est son miroir inversé : à force d'humilier son personnage principal sans prendre la peine d'explorer ses traumas, Au service du passé nuit à son propre propos. Aux entournures du scénario, par petites touches, la série verse dans une forme de voyeurisme auto-satisfait à quelques encablures d'une espèce de torture porn, certes soft, mais néanmoins lourd et dont l'effet recherché inspire une légère méfiance tant il demeure à ce jour opaque à cause du manque de positionnement de la mise en scène - ou plutôt du manque de mise en scène tout court.

 

Au service du passé : photoQuand tu vois le loup

 

Quel imaginaire exactement structure cette scène flashback où trois inconnus montrent leur sexe à Anya et sa petite amie sur un quai de métro sale ? Que penser encore de cette scène où un personnage vit à travers les caméras intégrées dans les yeux d'Anya une relation sexuelle non désirée avec un antagoniste pour ne pas compromettre sa couverture ? Néant : pourtant dérangeantes, ces scènes sont reléguées au rang de simples péripéties, à côté desquelles la mise en scène passe, indifférente. Comme s'il s'agissait de remplissage. Dommage : il était là le sujet.

Au Service du passé est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 28 janvier 2022 en France

 

Au service du passé : Affiche US

Résumé

Ratage narratif, thématique, artistique et technique, Au service du passé n'est même pas capable de passer correctement à côté de son sujet et de tirer dans le tas. Après une saison 1 confuse et pénible, que Dieu nous garde d'une saison 2.

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Lecteurs

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commentaires
Moixavier58
07/02/2022 à 02:23

Selon le "le createur', c'est sa femme qui lui souffla l'inspiration. Et la serie Esprit criminel

Jeff
06/02/2022 à 09:34

Bien sûr qu'on est à des années lumière de Spy game !! Mais on peut dire que les espagnoles sont rudement bons pour nous sortir des séries divertissantes et rythmées ! Une espionne "loup garou" bien marrante et sexy et vive le N-ième degré. Certes ce n'est pas du niveau de la Casa, mais entre notre cher et déprimé Alex Hugo et quelques heures d'action totalement incohérentes mais fort divertissantes, mon coeur balance....

Lilou25
04/02/2022 à 20:19

Merci, votre commentaire m'a fait rire tellement il est juste et bien tourné. Le coup du manteau, dans le métro, si encore les deux pans avaient été pris, cela aurait pu être crédible, mais un pan ? Comme si n'importe qui n'aurait pas vite fait d'enlever le bras de là. Quel délire ! Les langues, là aussi, une incohérence incroyable. Les combats absurdes, avec une héroïne incroyable à un moment, et étonnamment faible à un autre... Bref... On peut le voir, ce n'est pas désagréable, mais il faut avoir un peu de second degré sinon, on rate l'essentiel : bien se marrer devant l'inventivité dans la nullité.

christiane.decrescenzo@sfr.fr
04/02/2022 à 13:49

Complètement en désaccord avec cette critique. Analyse qui se veut chiadée mais débile, car tellement à charge. Car si vous prenez tous les block buster actuels, il y a tellement plus d'invraisemblances, de violence gratuite, d'humour et d'érotisme à deux balles. Tout n'est pas parfait mais on se laisse embarquer car les quelques outrances sont largement au-dessous de tout ce qu'on voit actuellement....

Titis 54
04/02/2022 à 13:44

Votre critique est nulle venant apparement d une personne aigrie et rabat joie, mon entourage et moi même avons aimé , pas que nous puisque cette série est l une des plus visionnée sur netflix

Miami82
04/02/2022 à 13:05

"n'est même pas capable de passer correctement à côté du sujet. Vous m'avez fait rire!

Madolic
04/02/2022 à 12:14

"Logiquement donc, en russo-espagnol, "oui" donne le SIDA"
Euh ouais, pas trop sûr de cette blague là

Sprig
04/02/2022 à 11:56

999 999 faux raccords ? C'est Michel et Michel qui vont être contents.

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