Le Seigneur de Bombay : critique de la perle cachée du catalogue Netflix

Clément Costa | 23 janvier 2022
Clément Costa | 23 janvier 2022

Dans le flot continu de nouvelles séries originales Netflix, on passe parfois à côté de véritables pépites. Immense phénomène culturel en Inde et dans plusieurs autres pays, Le Seigneur de Bombay est pourtant passé inaperçu par chez nous. Et s’il était temps de redonner une chance à cette série aussi sombre que passionnante ?

25 JOURS CHRONO

À l’origine du Seigneur de Bombay, on trouve trois hommes. Tout d’abord Vikram Chandra, auteur du roman éponyme dont est adaptée la série. Un best-seller dont le succès fut tel qu’il fait partie des très rares œuvres littéraires indiennes contemporaines à avoir bénéficié d’une traduction française. Derrière la caméra, deux collaborateurs de longue date : Anurag Kashyap et Vikramaditya Motwane.

Anurag Kashyap, c’est l’enfant terrible de Bollywood, probablement la plus célèbre figure du cinéma indépendant indien à l’heure actuelle. Sa recette est simple, un cocktail de violence crue, de personnages amoraux et de punchlines à la Tarantino. Il a livré avec Gangs Of Wasseypur une des œuvres les plus denses et passionnantes de la décennie passée. Vikramaditya Motwane, de son côté, est synonyme de diversité. C'est un électron libre qui change de genre et de style à chaque projet.

 

Le Seigneur de Bombay : photoÇa va tâcher chérie !

 

L’idée de voir deux talents de cet acabit s’attaquer à la toute première série Netflix indienne avait de quoi enthousiasmer. D’autant que le synopsis posait tous les ingrédients pour un résultat passionnant. Sartaj Singh (Saif Ali Khan), un policier en pleine tourmente juridique, reçoit un soir un appel de Ganesh Gaitonde (Nawazuddin Siddiqui). Puissant parrain de la pègre locale et introuvable depuis 16 ans, Gaitonde prévient le flic d’un danger terrible : il a 25 jours pour sauver Mumbai d’une destruction totale.

Imaginez la traque palpitante de grands mafieux façon Narcos, la folle course contre la montre de 24 Heures Chrono et la brutalité froide de Game Of Thrones. Vous découvrirez alors un univers impitoyable dans lequel les personnages sont en danger à chaque épisode et peuvent disparaître en une scène-choc. Ajoutez une identité radicalement indienne, remuez le tout et vous avez une des toutes meilleures séries du catalogue Netflix.

 

Le Seigneur de Bombay : photoQuand t'es flic entre deux chasses à la Ghoul

 

GANESH UNDERWOOD

Dès ses toutes premières secondes, Le Seigneur de Bombay déborde d’envies de mise en scène et d’une redoutable quête de liberté. Les deux cinéastes se sont divisé le travail de façon logique : Anurag Kashyap réalise les très nombreux flashbacks retraçant le parcours de Ganesh Gaitonde tandis que Vikramaditya Motwane met en scène l’enquête palpitante qui se déroule de nos jours.

Très souvent censuré dans son pays, Anurag Kashyap a même vu certains de ses films tout simplement interdits de sortie, car jugés trop obscènes et provocateurs. Il exprime ici une liberté de ton radicale forcément jouissive. Plus que jamais, le cinéaste exprime toute l’acidité et la cruauté de son cinéma. Non seulement Le Seigneur de Bombay est méchamment efficace et capable d’une violence explosive, mais la série prend également un malin plaisir à tirer à vue sur la société indienne. À l’image d’un House Of Cards, toutes les instances de pouvoir en prennent pour leur grade : politiciens véreux, policiers corrompus, stars de cinéma capricieuses et superficielles.

Mais au-delà de la violence sociale et politique, Le Seigneur de Bombay s’attaque au sujet le plus délicat et brutal divisant le pays : la religion. Comme l’indique son titre original (Sacred Games), en Inde le jeu du pouvoir passe toujours par la foi. Une foi feinte comme excuse pour exacerber les tensions communautaires, enflammer les bas quartiers et dominer sans concurrence. Sans la liberté de Netflix, il est évident qu'une telle œuvre aurait été censurée dans son pays d'origine.

 

Le Seigneur de Bombay : photoToi, tu creuses

 

GAITONDE UNCHAINED

Tout brulot politique qu’elle est, la série n’en oublie jamais d’être férocement prenante. Sur la partie se déroulant dans le passé, on plonge au coeur de trafics de drogue, de manigances politiques et d’un rise and fall mafieux captivant. L’esprit de Gangs Of Wasseypur n’est jamais loin, tant par la violence que le cynisme. Un pur récit à la fois pulp et réaliste, composé d’une galerie de personnages aussi variés que charismatiques.

Mais celui qui vole la vedette à tout le casting, c’est bien l’immense Nawazuddin Siddiqui en Ganesh Gaitonde. Habitué du cinéma de Kashyap, l’acteur trouve peut-être ici le plus grand rôle de sa carrière. Inquiétant, parfois même terrifiant. Il trouve l’équilibre parfait des grands antagonistes, quelque part entre l’empathie et la détestation. Pas étonnant que plusieurs de ses répliques soient devenues cultes en Inde.

 

Le Seigneur de Bombay : photoQue dit-on au Dieu de la Mort ?

 

Le récit au présent relève plus du pur thriller nerveux. Le travail esthétique y est somptueux. Vikramaditya Motwane filme avec passion des enquêteurs perdus au coeur d’une ville tentaculaire éclairée aux néons. Pas question de filmer des super-flics capables de tout résoudre en un claquement de doigts. Dans le monde du Seigneur de Bombay, les héros n’existent pas. La seule question morale sera de savoir à quel point la finalité justifie les compromis. Sans atteindre le nihilisme d’un True Detective, la série embrasse tout de même un pessimisme désarmant dans son analyse d’une humanité égarée.

Au milieu de ces explosions de violence, on s’attachera tout de même à des moments de douceur sublimes. À l’image du personnage de Kukoo, joué par une Kubra Sait déchirante, qui donne vie à certaines des plus belles scènes de la première saison.

 

Le Seigneur de Bombay : photo

Miroir, mon beau miroir

 

Après huit épisodes frôlant la perfection, on pourrait au premier regard penser que la deuxième saison perd un peu en rythme et en intensité dramatique. Mais ce serait passer à côté du fait qu’elle gagne encore un peu plus en méchanceté et en mysticisme. L’arrivée du personnage de Guruji (Pankaj Tripathi) a de quoi rappeler la terrifiante série documentaire Wild Wild Country sortie sur Netflix. Plus libre dans son adaptation du roman de base, cette suite est définitivement une arme de liberté d’expression pour les réalisateurs.

Cela ne fait aucun doute, Le Seigneur de Bombay était la série parfaite pour installer Netflix dans le paysage audiovisuel indien. Une série libre, sans concession, à la fois parfaitement divertissante et socialement pertinente. Maintes fois imitée depuis, tant chez Netflix que chez la concurrence, mais jamais égalée.

Les deux saisons du Seigneur de Bombay sont disponibles sur Netflix.

 

Saison 1 : Affiche officielle

Résumé

Alternant entre pur thriller crépusculaire, course contre la montre et récit de gangsters, Le Seigneur de Bombay est une série aussi novatrice que captivante. Une œuvre qui se place aisément dans le très haut du panier des productions Netflix.

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commentaires
Tsi.
26/03/2022 à 18:20

Je l'ai regardé, car je cherche tout le ciné d'Inde, d'abord, à la recherche de SRK, Shah Rukh Khan, ensuite, à la recherche de pépites ! Et il y a de très bons films hindis voire d'excellents, et en dehors du fameux Bollywood.
Effectivement, Le Seigneur de Bombay l'est.
Merci Netflix !
En revanche, le site a supprimé d'un coup d'un seul, Happy New Year, excellentissime tellement c'est drôle, hilarant, un éclat de rire toutes les cinq minutes, avec tous les clins d'oeil des films Hollywood, sans plus de sept séquences de danse mais, c'est aussi le thème du film. Enfin, le thriller-aventure est dans ce cadre. Avec le séduisant SRK !
Viré aussi Dilwali, c'est un scandale ! SRK et Kajol aaahhhh c'est beau !
Bref, deux scandales d'avoir enlevé ces deux films que j'ai oublié d'enregistrer ! Pff
Bon, je me suis égarée.
Si ça intéresse, je peux lister les films hindis que j'ai trouvés excellents !
À bientôt.

Kouak
24/01/2022 à 16:04

Hello...
Totale confiance en Clément et ses "avis"...
C'est lui qui m'a fait découvrir "Baahubali" et "Minnal Murali"...

Je vais tenter "Panipat" également...En plus de cette série, du coup... ;-)

Brosdabid
24/01/2022 à 15:02

Critique qui donne envie d y jeter un coup d'œil

Felix
24/01/2022 à 09:43

Je vais essayer bien que le cinéma indien ne me passionne pas, la critique et vos commentaires donnent envie de se lancer dans l'aventure indienne..

Yoyo
23/01/2022 à 22:00

J'avais mate cette série un peu par hasard à sa sortie et effectivement c'est une des meilleures séries de Netflix à mon goût. Par contre ça donne pas du tout envie d'aller en Inde...

AdeleP
23/01/2022 à 20:56

Une grande série qui mérite une audience bien plus large en Occident, pour toutes les raisons avancées par Clément. Parce qu'elle est traitée comme un objet cinématographique (et pour cause, avec ces deux icônes du cinéma indépendant !) ; parce que sous l'enveloppe formelle du thriller, c'est une mise en abyme des failles de la société indienne sur plusieurs décennies ; et enfin parce que tous les acteurs sont magnifiques - l'immense Nawazuddin Siddiqui, oui, mais aussi Saïf Ali Khan qui est formidable.

Flash
23/01/2022 à 17:42

@Mysterek, merci ! Du coup je vais regarder.

MystereK
23/01/2022 à 16:55

FLASH rien de tout ça dans cette série.

Flash
23/01/2022 à 14:52

Cette série pourrait m’intéresser, mais j’ai peur qu’à un moment ou un autre, ils se mettent tous à danser et chanter.

MystereK
23/01/2022 à 14:49

Attiré par cette série à cause du roman et du fait que Anurag Kashyap était aux commandes, j'ai été pris dans le tourbillon de ce suspense infernal qui nous laisse à bout se souffle.

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