The Witcher saison 2 : critique du monstre aux petits pieds de Netflix

GER-ALT F4

The Witcher saison 2 commence exactement là où la saison 1 nous avait laissé : au terme de la première saison au format semi-anthologique, l'intrigue s'intensifie et les nœuds dramatiques se resserrent autour de la prophétie entourant la destinée de Ciri, l'enfant porteuse du sang ancien, liée par magie à la destinée du sorceleur Geralt par la loi de l'enfant-surprise. Geralt, dont le destin individuel est également lié par magie à celui de la puissante sorcière Yennefer, privée de ses pouvoirs après ses prouesses destructrices en fin de saison 1.

Pendant que Geralt cherche à éclaircir les mystères qui entourent sa protégée et qui pourraient mettre le monde en péril, le monde est justement en proie à une autre menace : l'instabilité politique. L'appétit de conquête de l'empire Nilfgaardien sur les royaumes du Nord n'a pas été entamé par sa défaite à la bataille de Sodden, ni l'obsession de l'empereur pour la capture de Ciri, et ce qu'il n'a pu obtenir par la force, il l'aura par le complot. Et quoi de mieux qu'armer une minorité elfe violemment oppressée pour noyer une terre entière dans un bain de sang et faire sortir une princesse de son trou ?

Qui veut une witch lorraine

LAISSEZ-MOI BROUXER

Les premières critiques de la saison 2 annonçaient une nette amélioration par rapport à la saison 1, et ô joie, cela se vérifie dès le premier épisode de cette nouvelle fournée, probablement le meilleur de toute la série jusqu'à présent. Faisant la part belle à son duo de personnages principaux (Geralt et Ciri donc) et à la chasse au monstre, The Witcher cesse, du moins temporairement, de se prendre les pieds dans le tapis de sa toile de fond et offre à ses spectateurs ce que The Witcher a de meilleur à offrir : une aventure prenante, avec un mystère intrigant, une malédiction cruelle, un monstre énervé et un dénouement à la morale tragique.

À tout seigneur tout honneur donc, la série a des atouts à mettre en avant. Le premier d’entre eux s’appelle Henry Cavill. Déjà impressionnante dans la saison 1, la prestation de l'acteur est encore plus habitée qu'avant, et surtout proche d'un modèle de perfection technique, capable de transmettre une émotion ou une intention de son personnage si peu loquace par un simple grommèlement, un froncement de sourcil ou encore un tressaillement dans la mâchoire.

En voilà un bon épisode !

Dommage qu'à contrario le reste du casting soit aussi bancal à côté de ce premier violon virtuose. Si la plupart des acteurs principaux s'en sortent bien, la qualité baisse drastiquement dès que l'on s'enfonce dans les strates secondaires du casting et certaines prestations comme celle de Nenneke relèvent plus du craquage de slip qu'autre chose.

Autre qualité : le bestiaire si particulier du matériau d'origine trouve ici une transposition de qualité, forte de propositions de designs si soignées que l'on a vite fait de fermer les yeux sur quelques animations mal fignolées. Dévoilés dans des extraits diffusés par Netflix, le myriapode ou encore Nivellen sont plus que convaincants et amènent cette saveur mi-merveilleuse mi-épique si propre à la fantasy. Clairement, même si Torque ou Duny par exemple étaient très réussis, du chemin a été parcouru depuis le dragon doré très moyen de la saison 1.

Ni veau ni Velen 

ABLETTE IT GO 

Mais tous ces points forts indéniables sont malheureusement entravés par la volonté manifeste de la série de courir après des chimères. On sait que c'est devenu une facilité pénible, mais la comparaison avec vous-savez-quelle-série va cette fois s'avérer parlante. The Witcher tente vainement de copier ses qualités, mais ne fait que reproduire ses défauts au lieu de compter sur ces forces propres, et cela a des répercussions à tous les étages. Le principal problème de The Witcher, c'est qu'elle tente de raconter trop d'histoires en même temps, mais ne se donne pas le temps de le faire correctement - cela vous rappelle quelque chose non ?

En résulte un recours abusif à des raccourcis scénaristiques grossiers, un manque constant de contexte et de justifications claires aux différentes actions et décisions des personnages, et même de nombreuses béances aberrantes lors de certaines péripéties. Ce n’est que la saison 2 et pourtant le syndrome Game of Thrones gangrène déjà The Witcher qui refuse, elle aussi, de faire le choix suivant : accepter de prendre le temps de tout raconter correctement, ou raconter moins de choses.

Mais comment t'es arrivée ici toi alors que tu ne sais plus te téléporter ?

À ce jour, rien ne justifie l'apparition fortuite de Yennefer au temple de Melitele dans l'épisode 6 (alors que même Jaskier demande ce qu’elle fait là !), si ce n'est que c'est bien pratique pour la narration. De même, il y a de quoi devenir fou furieux lorsqu'un immense et terrifiant Tchornobog se fait dégommer en moins de 6 secondes et sans véritable affrontement grâce à un triple axel numérique immonde de Geralt - comme un certain Roi de la Nuit tué par une TP-jump de l'espace par Arya Stark.

Ou encore de quoi crier à l'arnaque lorsque Yennefer parvient à saboter une exécution publique parce qu’il n’y a pas un seul garde, parvient à franchir des murs, semer des poursuivants ou même traverser des continents par la simple magie de la coupe cinématographique. C'est d'ailleurs un peu comme l'armée de Daenerys et à peu près tout ce qui bouge dans la saison 8 de la série dont on ne doit pas prononcer le nom. L'avantage c'est que cette magie-là n'est pas réservée qu'aux sorciers.

Logiquement, puisqu'il n'y a pas le temps de respecter la cohérence spatio-temporelle, de raconter les péripéties de bout en bout, ou d’expliquer pourquoi untel débarque comme un pet sur une toile cirée avec la babiole magique cruciale, vous imaginez bien qu'il n'y a certainement pas le temps de développer correctement les personnages secondaires ou tertiaires.

Pardon, mais... vous êtes qui vous ?

NAME OF THRONES

C'est probablement sur ce point-là que cette adaptation à la tronçonneuse opère sa pire boucherie, et les fans du livre ne pourront pas ne pas s'en rendre compte. La série ne s'intéresse tout simplement pas à ses personnages, et les traite avec autant de déférence qu'une canette de 86 percée dans un caniveau.

Rien que le très attendu duo Lambert et Eskel est un scandale en soi : le premier est un PNJ mal coiffé qui traîne bourré dans un coin en attendant qu'un personnage daigne lui adresser la parole. Quant à Eskel, il se fait juste dégager du scénario dès l'épisode 2 comme un militant de SOS Racisme à un meeting de Zemmour. Et en plus, il est mal coiffé lui aussi.

Vesemir, visiblement fan de gomina

On aurait pu citer également Rience (dont la mutilation est devenue ridicule), Vesemir (personne ne sait se coiffer dans ce monde ou quoi), Dijkstra, et bien d'autres encore : autant de visages et noms affadis, interchangeables. Ils sont privés d'identités propres, comme des pantins dont la seule utilité serait de faire avancer à marche forcée une intrigue somnambule racontée si confusément que même ceux qui la connaissent de bout en bout auront du mal à la suivre, et ce, malgré l'abandon de la chronologie absurde de la saison 1 (Dieu merci).

Plus la série avance, et plus il apparaît que la moindre scène sans Geralt ou sans monstre se transforme en concours de bâillements. Et ce, malgré les efforts poussifs de l’histoire pour faire grossir ses enjeux en fin de saison avec l'arrivée de la Chasse Sauvage et la révélation du visage de l'empereur Emhyr var Emreis, qui tombent toutes les deux plus misérablement à plat qu'un deck de Gwent orienté Scoia'Tael.

Oui alors il y a la Chasse Traque Sauvage, mais n'espérez pas y comprendre quoi que ce soit

TON WITCHER TOUSSE DANS SON COIN

Heureusement, The Witcher se réveille un peu lorsqu'elle cesse de nous infliger des réunions diplomatico-politiques de l'ONU sur la production nanique de soja bio et se recentre sur ce qui fait la particularité de cette saga : l'aventure et la chasse aux monstres. Dès que le récit à protagoniste prend le pas sur la toile de fond pesante et mal cousue, l'intérêt remonte automatiquement, bien que ces moments soient toujours trop brefs. C'est certes toujours bordélique, toujours un peu bête, mais au moins, c'est amusant. Même le travail photographique se met à reprendre des couleurs et tente de s'extraire au-dessus du bourbier terne qui sert de cachet visuel à la série.

Alors qu'il suffit parfois d'un bel extérieur au lieu d'un fond vert horrible

On insiste, mais le fait que l'épisode 1 de la saison 2 soit à ce point au-dessus des autres ne relève pas non plus du hasard : lorsque l'aventure revient, The Witcher est bien obligée de se mettre à faire du storytelling, à travailler ses ambiances et donc à penser son découpage et ses effets.

Cela ne signifie pas pour autant que tout devient parfait dès que l'action s'emballe, attention : il y a toujours des fonds vert ultra-voyants et des partis pris pour le moins douteux - on ne se fera jamais à ces plans en accélérés horribles même quand ils nous donnent à voir quelque chose d'aussi satisfaisant qu'un nourrisson égorgé. Toutefois, il y a au moins quelque chose à regarder pour détourner l'attention du mauvais goût global de la direction artistique, monstres exceptés.

"- Eclaire pas trop, sinon ça va se voir que la série est moche - Pardon, mais t'es qui toi aussi ?"

De ce côté-là, The Witcher maintient son niveau de la saison 1, qui offrait des choix mi-navrants mi-hilarants, rarement enthousiasmants, qu'on ne saura mieux résumer qu'avec le nouveau manteau en cuir rouge de Jaskier, sorte de fantasme mouillé de biker médiéviste probablement volé à Niobe dans Enter The Matrix ou à Jared Leto pendant sa période 30 Seconds to Mars.

De même, depuis la séquence "culte" de Blaviken, certaines scènes d'action s'appuient sur des automatismes proprement hideux, mais lorsque la courte focale et les cadres débullés (le combo gagnant des calendriers de production trop serrés) sont abandonnés et que The Witcher prend le temps de conceptualiser au lieu d’improviser, cela se ressent immédiatement. Et ça donne de belles choses, voire un peu de créativité, à l'image de l'épisode final, consistant aux trois quarts en une giga baston gourmande contre de réjouissantes grosses bestioles.

Coooooome, break meeeeeeee down ! Bury me, bury me !

Pourquoi tout n'est pas comme ça ? Un excellent premier épisode, un très bon épisode final, et au milieu, rien, si ce ne sont des mages qui complotent, des elfes qui ourdissent, des rois qui fomentent. Sauf que The Witcher n'est pas Game of Thrones : c'est une saga qui vit et respire quand elle est prise pour ce qu'elle est vraiment, à savoir un récit d'aventure, d'action et d'exploration à protagoniste, traversé par des personnages certes secondaires, mais pas de seconde classe.

Peut-être serait-il temps de prendre le matériau d'origine pour ce qu'il est, de se recentrer vraiment sur les aventures de Geralt au lieu d'essayer de chasser opportunément un phénomène du passé. Netflix a un gros tri à faire entre ses bons grains et son ivraie.

The Witcher saison 2 est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 17 décembre 2021. La saison 1 est toujours disponible sur Netflix