Dr. Brain : critique du temps de cerveau disponible sur Apple TV+

Mathieu Jaborska | 18 décembre 2021
Mathieu Jaborska | 18 décembre 2021

Apple TV+, fidèle aux principes de la maison mère, continue de jouer la carte "prestige" pour concurrencer Netflix, Disney+ et autres Amazon Prime. Avec Dr. Brain, la plateforme chapeaute un autre auteur populaire, Kim Jee-woon, coscénariste et metteur en scène des 6 épisodes. Le réalisateur de J'ai rencontré le diable et Illang : La brigade des loups va-t-il faire honneur à sa réputation ? Peut-être pas, et là est tout l'intérêt.

Brain damage

Révélé grâce aux horrifiques The Quiet Family et 2 Soeurs, Kim Jee-woon a véritablement fasciné les amateurs de cinéma coréen quand il a laissé transparaître de manière frontale son obsession pour la violence dans les bains de sang A Bittersweet Life et J'ai rencontré le diable. Une obsession qu'on prête d'une posture morale mal assumée à bien des cinéastes, la plupart du temps à tort, mais qui est largement décelable dans la plupart de ses essais, d'autant plus explicites qu'ils bénéficient d'une esthétique particulièrement soignée.

D'ailleurs, ces thématiques ont plusieurs fois rencontré avec violence les exigences de l'industrie, en témoigne son remake de Jin-Roh, la brigade des loups, généralement considéré comme son film le plus faible, en dépit d'une ambition esthétique mémorable. Alors que la concurrence vient de sortir une belle excroissance de son cinéma (le très sympathique Night in Paradise sur Netflix, mis en scène par Park Hoon-jeong, justement scénariste de J'ai rencontré le diable), il persiste à se diversifier en adaptant le webtoon de Hong Jac-Ga en série, une première pour lui.

 

Dr. Brain : photo"Bienvenue chez Apple"

 

Il s'empare donc d'un récit de science-fiction aux airs avérés de série B. À savoir l'histoire de Sewon, neuroscientifique qui vient de perdre son fils, puis sa femme, plongée dans un profond coma. Lorsqu'il développe une technologie permettant de se connecter au cerveau humain, il finit malgré lui par enquêter sur les circonstances du drame. Un concept amusant, dont les relents mortifères (il se synchronise avec des cadavres) rappellent presque les restes d'une tradition horrifique occidentale, captivés par la figure du scientifique trop entreprenant, voire le techno-thriller pur.

On anticipe volontiers un ton plus léger, adapté à une telle intrigue à tiroir, se révélant de manière très classique alors que notre docteur cerveau pousse sa machine cérébrale jusqu'à ses limites. Mais le cinéaste - crédité à la production, à l'écriture et à la réalisation, ce qui lui garantit un vrai contrôle - n'en a cure : il préfère traiter les mésaventures de son héros placide avec un sérieux palpable et discourir pendant six heures sur les possibilités mentales humaines, quand bien même le scénario flirte avec l'absurde dès le deuxième épisode.

 

Dr. Brain : photo, Park Hee-soon, Lee Sun-kyunLe public face aux deuxième et troisième épisodes

 

Loin de l'esprit punk du Bon, la Brute et le Cinglé, il persiste même à apposer son style clinique sur ces 6 épisodes. Et ce, y compris au moment de s'attarder sur les conséquences des connexions intracérébrales qui peinent parfois à restituer l'originalité du processus. Overdose d'austérité maîtrisée oblige (ne vous y trompez pas : c'est techniquement très abouti), ses implications quasi philosophiques, revendiquées lors des interviews de l'auteur et de son comédien principal, Lee Sun-kyun, en pâtissent.

Kim Jee-woon est pris à filmer les élucubrations synaptiques de ce hacker cervical comme il filme les vengeances sanglantes et putrescentes des monstres qui peuplent ses films les plus acclamés. Il parait se complaire dans sa froideur cynique, laquelle considérerait le cerveau humain comme une matière de plus à corrompre, alors qu'en fait, il mène en bateau le spectateur arrogant en même temps que son personnage.

 

Dr. Brain : photo, Seo Ji-hyeL'enquête piétine... ou pas

 

Remue-méninges

En effet, le cinéaste a beau revendiquer un intérêt pour les abîmes de l'esprit humain, explorés bien maladroitement, il s'emploie surtout à pirater les intentions qu'on lui prêtait en début d'article, à travers les évolutions de son protagoniste. Au début de la série, celui-ci incarne à lui tout seul les thématiques chères au réalisateur : incapable de sentimentalisme, il porte à ses proches une attention purement mathématique. Bien que le terme ne soit jamais employé, il correspond au profil du psychopathe, selon une convention culturelle (la réalité est bien sûr plus complexe).

Ce premier épisode, le plus sombre de tous de l'aveu même de son metteur en scène, nous conforte dans nos certitudes. Horrifique sur les bords, il permet à sa caméra de capter l'indifférence d'un homme face à la brutalité d'un monde et d'observer durant de longues secondes un spectacle de violence, à travers les yeux d'un mort, au gré d'un plan absolument superbe... qui ne trouvera jamais d'équivalent par la suite. Et pour cause : c'est une fausse piste. Il n'est en fait pas question de se regarder contempler la mort en face, mais bien de voir le héros échapper à sa torpeur à force d'empathie.

 

Dr. Brain : photo, Lee Sun-kyunPoker face

 

Il faut se mettre à la place des autres pour mieux s'inquiéter de leur présence. C'est lorsqu'elle s'empare de cette maxime que Dr. Brain brille, malgré ses défauts. La quête de Sewon devient, en filigrane, émotionnelle et on en vient à s'attacher à lui comme lui finit par s'attacher à son entourage. Un exercice casse-gueule, surtout quand il est effectué au détour d'une enquête technologique aux multiples sinuosités narratives, mais réussi, grâce à une certaine subtilité et au jeu de Lee Sun-kyun.

Le comédien renvoie à ses performances dans Take Point et Parasite pour mieux les dépasser et laisser peu à peu ses émotions poindre, sans jamais en faire un enjeu littéral. L'exercice est royal pour un acteur tel que lui : il s'agit de jouer une renaissance sentimentale, d'emporter progressivement son personnage dans une tornade d'émotions, sans qu'il ne s'en rende compte directement. Il s'en sort avec brio, et porte sur ses épaules l'aspect le plus réussi de la série.

 

Dr. Brain : photo, Lee Sun-kyunL'une des scènes les plus intéressantes de la série

 

De même que Kim Jee-woon élargit petit à petit l'ampleur des virées cervicales, jusqu'à un voyage intime qui dénote parmi les circonvolutions d'un scénario définitivement trop rigide pour son propre bien, ne serait-ce que grâce à une photographie plus chaude. À première vue apathique, ou même prétentieuse, Dr. Brain demande d'abandonner les a priori sur son créateur et exige de se concentrer sur la trajectoire de son personnage principal. Le jeu (de piste) est laborieux, mais il en vaut la chandelle.

Dr Brain est disponible en intégralité sur Apple TV+ depuis le 10 décembre 2021 en France

 

Dr. Brain : Affiche

Résumé

Kim Jee-woon se débat avec son format et son concept, mais parvient tout de même à en tirer le portrait touchant d'un homme en quête inconsciente de ses propres sentiments. Soit l'exact inverse de ce qu'on attendait de lui.

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(3.5)

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commentaires
Frank F. Drebbin
19/12/2021 à 14:47

Embalé par les 2 premiers épisodes...le 6e frôle le ridicule. Série à voir pour la réalisation et pour l'acteur principal. Rien de plus.

Merci pour l'article/critique.

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